Le divin rocher de Capri est un nid de légendes dont l'éclat sombre ou doré avive la curiosité des voyageurs nostalgiques des magiciennes, princesses et Sirènes de l'Odyssée, ou des élégants aventuriers du Grand Tour.
Depuis ces temps mythiques, Capri affronte la houle des nouveaux visiteurs, et supporte avec une ironique philosophie la faveur des heureux du monde, sans perdre, ni sa beauté hiératique et oppressante à force de majesté lumineuse, ni ses secrets immémoriaux.
C'est une île qui ne se livre pas au premier venu, fut-il assis sur une montagne d'or. Rompant avec les préjugés, Capri a ses foucades ! elle s'éprend souvent des promeneurs solitaires, des poètes affamés, des amants abandonnés, ou des malades de l'âme et des bronches, cherchant la guérison sans trop y croire.
Ces esseulés, ces meurtris, ces caractères désenchantés, elle les ragaillardira de ses corbeilles de citrons et de son air pur et parfumé.
Le reste se fera tout seul : le solitaire se fera des amis en demandant son chemin, le poète sentira les muses en son cœur, l'amant abandonné sourira à une jeune beauté aux traits grecs, le malade rajeunira en escaladant la Scala Fenicia d'un pas souple, comme enlevé par l'air salubre courant sur les montagnes piquetées de flèches et arrondies d'arcs tendus vers l'horizon bleu nuancé d'argent clair.
Hantée par ses trois Sirènes surgies des mystères antiques,Parthénope, gloire de Naples, et ses sœurs oubliées,(répondant aux noms assez peu mélodieux de Pisinoé et Thelxiépie!) Capri se dérobe, se donne ou se refuse avec une habileté moqueuse.
Si vous persistez dans vos tentatives de séduction courtoise, si vous vous ingéniez à lui prouver que vous valez bien mieux que les êtres agités qui croient lui ravir son âme, il est prudent de lui faire votre cour.
N'est-elle une grande et noble dame vous guettant du haut de ses gigantesques remparts ?
Une Sirène minérale qui jadis attrapa dans ses filets la fine fleur du monde Romain :
Auguste le magnifique, qu'elle arracha à sa mélancolie par un beau matin de printemps.
Cet ensorcellement inexplicable s'abattit sur l'empereur vingt-neuf années avant que ne naisse Jésus, l'enfant radieux annoncé d'abord par les prophètes, ensuite, ô bizarrerie des destins, par l'ami de l'empereur, le poète Virgile.
Hélas, qui lit encore assez d'auteurs latins pour atteindre le comble de l'émotion en découvrant l'annonce éblouissante enlevant la quatrième bucolique, texte étrange où souffle l'Espérance ?
Noël nous tend les bras et nous craignons de le souhaiter à haute voix ! de qui avons-nous peur?Le chantre latin par excellence osa annoncer cette bonne nouvelle à trente-deux ans, au moment où la guerre civile voyait la fin de ses ravages odieux. Virgile eût la révélation d'un enfant prodigieux et son chant le proclame d'une voix qui traverse les siècles :
« Les temps approchent ; monte aux honneurs suprêmes enfant chéri des dieux, noble rejeton de Dieu !
Vois sur son axe ébranlé, se balancer le monde ; vois le terre, les mers dans leur immensité, le ciel et sa voûte profonde, la nature tout entière tressaillir à l'espérance du siècle à venir ! »
Virgile, en dépit des tumultes de la guerre civile, suivit Auguste, une fois la paix rétablie, trente ans avant Jésus-Christ, en ses rêves d'épanouissement spirituel et littéraire de l'empire.
Lui qui fit ses études de philosophie à Naples, qui aimait avec fougue la douce Campanie, propice à ses rencontres avec les muses, comment aurait-il boudé l'île des Pélages, peuple mythique surgi des brumes de l'antiquité ?
Sans aucun doute, le suivit-il à Capri, qui fut bien davantage pour le nouveau maître du monde, ce brillant et vaillant Octave, fils adoptif de César,titré Augustus par le sénat romain en moins vingt-sept, qu'une villégiature où l'on se tordait les chevilles sur les falaises et pointes rocheuses, sous le regard moqueur des îliennes agiles.
Au début pourtant, Capri ignorait l'existence d'Auguste, et l'empereur confondait l'île avec un encombrant écueil à fleur d'eau, inhospitalier refuge de pirates Grecs et de pêcheurs affamés.
L'inconcevable eût lieu : las des batailles, des conflits, le cœur vide et l'âme lourde en dépit de ses combats victorieux en Egypte, le jeune maître du monde sentit un appel irraisonné émanant peut-être des soeurs jalouses de la sirène Parthénope.
Par un bel après-midi de printemps, sa galère fendait les vagues transparentes de la baie de Naples .
Soudain, l'homme en pleine possession de ses forces , dont la vie était tissée depuis l'enfance de luttes et rongée de trahisons, sentit son cœur d'airain battre plus vite à la vue de la forteresse flottante qui haussait ses inexpugnables falaises poudrées d'or et de pourpre sur le bleu diaphane de la mer apaisée.
Or,en face de l'énorme rocher austère et redoutable, s'étalait une montagne verdoyante.
C'était, et c'est encore, l'île d'Ischia, célèbre pour ses sources, jaillissantes ses bois, ses champs fertiles, ses vignobles, et ce qui ne gâtait rien, terre romaine au milieu d'un golfe conquis par les Grecs. Son volcan, l'impétueux Epomeo, rival du Vésuve,menaçait cette prospérité bien ordonnée, mais enfin, en ces temps lointains, les monstres se taisaient et Rome s'enorgueillissait de posséder pareille splendeur au sein de cette mer Tyrrhénienne, hantée par le souvenir confus de ses anciens maîtres les mystérieux Etrusques.
Enveloppée d'un voile de lumière impitoyable,la galère impériale mettait le cap sur ce domaine opulent, quand Auguste donna l'ordre intempestif de virer sur Capri.
Sans doute Hermès lui parlait-il à l'oreille sous la forme d'un patricien ayant à peine quitté la toge prétexte …
Le pilote, obéissant, mais cachant sa frayeur sous une mine sévère, tenta d'abord en vain de se frayer un chemin entre les grottes obscures, ouvrant sur un domaine échappant aux mortels, et les énormes falaises lisses comme des glaives gigantesques. Indifférent, absorbé en ses sombres pensées,l'empereur restait de marbre le long des parois miroitantes, des remparts entassés par les Titans.
Le soleil flamboyant plongeait déjà derrière Ischia quand enfin un cri de joie retentit : une faille étroite s'apercevait entre deux puissants entassements de rocs, les dieux acceptaient leur entrée au sein de cet antre rébarbatif !
Éperonné sans nul doute par un triton plaisantin, le navire d'Auguste fila droit sur une crique protégée de cailloux d'or fauve ; et l'ancre fut lancée sous la bonne garde de deux arrogantes montagnes silencieuses.
Que vit Auguste étonné? Non pas une armée de Cyclopes en colère, mais une coulée de fleurs sur d'humbles et bizarres maisons faisant corps avec la roche, et un aréopage de jeunes beautés aux profils grecs, précipitant leurs barques dans les vagues veinées de pourpre et d'or:
Capri ne savait point encore qu'un hôte illustre venait à sa rencontre.
Auguste contemplait au-dessus de lui ces masses impénétrables de pierre blanche et rousse, les yeux perdus sur ces rocs aiguisés encore par l'éclat rouge du couchant, et il doutait de lui-même.
Pourquoi ce caprice étrange l'avait-il mené sur ce roc intangible ? Vraiment, était-ce là l'île des enchantements, l'heureuse villégiature d'Hermès, le verger enchanté de Thétis ?
L'île qui redonnait la force de vivre et réparait les injures du temps ?
Les îliennes couronnées d'argent, resplendissantes en leurs haillons lavées de frais, de charmants sourires embellissant encore leurs visages d'une pure harmonie, avec des gestes d'une grâce infinie mirent à l'eau un frêle esquif, et l'empereur, soucieux de ne pas froisser de ces descendantes des sirènes, accepta d'y monter.
Puis l'esprit aux aguets, débarqua sur la pierre lisse et sombre d'un port de fortune.
Une obscure et violente prémonition l'avait guidé vers cette île, allait-il au devant d'un bon présage ou le pire le frapperait-il sans attendre ?
L'heure était grave, la lumière blanche, la brume bleue, la mer tranquille, l'île retint son souffle et le vent s'évanouit vers les hauteurs étincelantes.
Adossé à une cabane qui s'enfonçait dans une grotte, un chêne des plus vénérables, patriarche courageux, tordu de douleur muette et jauni sur sa rousse écorce, n'en finissait plus de se dessécher, spectacle pitoyable, vrai symbole de la destinée des mortels...
Auguste crût voir un avertissement des dieux, affligé au profond de son âme, il ne chercha pas à se détourner de ce présage, son équipage, et la petite foule d'îliens se reculèrent, frappés de terreur.
Le présage était mauvais !
L'ire de l'empereur allait-t-elle se déchaîner ?
Un cri s'échappa de ces gens peureux !
Auguste réprima un sursaut : l'arbre décati verdissait !
L'yeuse moribonde ressuscitait ! ce miraculeux augure souhaitait la bienvenue à l'homme épuisé par tant d'années de lutte au sein de sa propre patrie, qui venait de trouver un refuge rêvé sur ses flancs rudes et ses belvédères lancés vers les étoiles.
Auguste passa la nuit sur la grève. Les suaves rayons d'une lune ronde lui tinrent compagnie avec les éclairs des blanches néréides se poursuivant sur les eaux. Des profondeurs de l'île s'échappaient les formes adorables de divinités imprécises.L'empereur sentait un sang vif courir en ses veines, son cœur avait vingt ans, la vie s'offrait à lui, généreuse et joyeuse comme les corbeilles de citrons que les îliennes avaient déposé à ses pieds.
A l'aube, il envoya un messager à Naples : il donnait aux Grecs l'île d'Ischia en échange du rocher sauvage de Capri !
Personne n'osa dire un mot mais tous comprirent que même un empereur n'était point de taille à résister à l'envoûtement de l'île des sirènes …
Auguste inventa à Capri la villégiature la plus fleurie, la plus voluptueuse, la plus somptueuse du monde romain !
Il y installa aussi sa collection d'ossements de dinosaures, extirpés des entrailles de l'île par son ami le génial architecte Masgaba, enragé bâtisseur et architecte du légendaire Palais de la Mer qui existe encore …
Mais ceci est une autre histoire !
« Joyeux Noël !» et à bientôt ...
Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix
Auguste saluant Capri, sa villégiature préférée, sa cure de jouvence. |
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