samedi 4 décembre 2021

Stendhal à Capri


Quand Capri vous insuffle le syndrome de Stendal

 A Capri comme dans la Florence de Stendhal : l'art d'être étourdi par la grande bellezza !

Les voyageurs héroïques de la fin du XIXème siècle choisissaient l'aventure Italienne par goût, élégance morale, et aussi avec le désir inavoué de connaître les états d'âme de l'auteur exalté de la Chartreuse de Parme au cœur de Florence.

Autrement dit,, une fièvre spirituelle, une confusion mentale et un ravage fugace de sa bonne santé face à la beauté absolue déferlant comme une mer montante d'oeuvres sublimes et d'évocation de figures légendaires...Artistes au génie jamais égalé, brillants mécènes, vierges pensives, fragiles égéries à l'attendrissante pâleur marmoréenne, une ombre de sourire flottant sur leurs visages chargés d'énigme, le front ceint d'un rubans de pierreries.

Voici la houle qui submerge les âmes sensibles !

Or, bien plus proche que nous ne l'aurions cru, l'ami Stendhal nous décrit ses émois avec une troublante acuité dans un passage devenu mythique de son journal fantasque  « Rome, Naples, Florence ».

Il l'ignore bien sûr, mais ces lignes nerveuses, ce ton de vérité passionné, ces confidences livrant son âme humaniste en pâture aux médisants et aux moqueurs, vont créer un état singulier, un malaise dûment établi sous le nom de « syndrome de Stendhal »!

Grâce au Ciel, ce désarroi s'enfuit à l'instar d'un nuage, et laisse l'amoureux de la pure beauté enfin apaisé et heureux. Ce malaise prouve votre sensibilité, votre faculté de vous élever au delà des tristes mesquineries, des vexations, des injustices du morne quotidien. Vous êtes un être rare ! vous partagez soudain la fièvre des artistes que vous admirez, au point d'imiter l'ami Stendhal qui en tombe presque du « marchepied d'un prie-Dieu » à l'intérieur de l'église de Santa Croce !

 Que nous chuchote-t-il sur le ton du parfait recueillement ? 

« J'étais dans une sorte d'extase ...absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire.»

Et le résultat ne se fait point attendre, l'ami Stendhal sent son cœur s'emballer, le voici humant l'air de Florence, mais son étrange malaise s'accentue : 

« J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce,j'avais un battement de cœur, ce qu'on appelle des nerfs à Berlin ; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »

Nous étions à la fin janvier de l'an de grâce mille huit cent dix sept, et sans le savoir l'excentrique, l'égotiste voyageur donnait ses lettres de noblesse à une espèce de mal de mer, mal d'amour ou même mal de l'air ; véritable désagrément qui vous enlève à vous-même et vous laisse désarmé, solitaire, accablé, et franchement bien malade.

Méfiez-vous! cet étourdissement fugace vous saisit sans pitié, à l'instar du coup de foudre, au détour d'une allée ratissée de frais, dans un jardin peuplée de bancs peints en vert ; en traversant une place déserte, battue par le farouche vent du nord, ou en rêvant devant les tableaux mélancoliques d'un musée de Province.

En toute franchise, il vous anéantira, vous ravagera, vous cinglera, vous pétrifiera, vous étourdira bien davantage s'il vous arrive la chance merveilleuse d'aborder sur l'île de Capri !

Et cela d'autant plus si vous cheminez à l'allure d'un sénateur sur le sentier de la Migliera, qui vous élève doucement au-dessus de la charmante ville d'Anacapri, et vous emporte en toute sérénité vers le belvédère le plus spirituel du divin rocher.

Ensuite... que vous dire ? Que vous confier, vous avouer sans semer une crainte absurde en votre cœur ? Partez d'un bon pas de la Piazza della Vittoria à l'entrée d'Anacapri, prenez votre souffle et s passez devant la charmante gare du « Seggiovia », courez sur le sentier à flanc de montagne, courez comme si une meute de loups affamés étaient à vos trousses, puis respirez, regardez, une longue marche s'offre à vos rêveries, une pérégrination menant à un paradis perdu que vous chercherez en silence...

Soyez heureux d' échappez à l'effervescence folle, aux clameurs cosmopolites, aux rangs serrés des voyageurs épouvantés à l'idée de demeurer un seul instant seul face à l'inconnu,

Deux heures de douce méditation s'ouvrent à votre esprit fatigué, vous accomplissez un pèlerinage vers la « Grande Bellezza » ! peut-être le syndrome de Capri vous guette-t-il déjà, embusqué sous derrière un bosquet de pins élancés vers le ciel étincelant. Peut-être s'apprête-t-il à bondir depuis la haie parsemée de jasmin d'un potager à la terre humide, alignant ses plants d'où surgissent, entre les feuilles d'un vert éclatant, d'écarlates tomates.

Sans méfiance, vous soupirerez face à la splendeur paisible d'un verger de citronniers, vous oublierez le reste du monde à la vue soudaine de la mer figée dans un sortilège d'argent, de lait et de turquoise céleste.... Puis, bouleversé sans en comprendre la raison, vous lèverez les yeux vers d'étranges remparts, vous frémirez de curiosité à l'orée d'escaliers de pierre immémoriaux et secrets, vous vous signerez devant la niche d'un saint protecteur, vous frôlerez des arcades Romaines ou ,peut-être,Grecques !

Vous entendrez des rires, des appels chantants, ce ne seront point des esprits de l'air, mais des enfants malicieux, de belles ragazze et leurs fiancés, des dames altières, des hommes pressés, qui, heureux mortels ou héritiers des dieux, vivent le long de cette promenade.

Vous les saluerez, et ils vous répondront, sous le cristal des campaniles et l'incantation des jardins que rafraîchit une brise subtile glissant de la montagne aux rocs d'or verdi.

Ensuite, étonné,vous longerez le Parc Philosophique plein de beaux enseignements, de nobles devises, et, à peine plus loin, vous franchirez un bosquet, apercevrez un premier balcon du vertige et vous hésiterez … N'est-ce trop tôt ? Alors, guidé par une intuition miraculeuse, vous poursuivrez sous les frondaisons votre quête éveillée de quelque songe ineffable …vous sourirez à une vision charmante : celle de la statue de la Madone guidant les pèlerins égarés en ces bocages verts croissant dans les replis d'un île de roches intangibles.

Sous l'égide de la Vierge constellée de fleurs, vous n'aurez plus rien à redouter,

Le second belvédère prolongera votre chemin, votre espoir et votre immense stupéfaction. Une fois au terme du voyage, vous n'oserez plus bouger, le vide insoutenable vous tend les bras !

Au loin, minuscules et ombrageux, les trois démons pétrifiés des Faraglioni se taisent, l'horizon se noie dans le bleu absolu, vous sentez l'aile de l'invisible se poser comme un oiseau de mer sur votre épaule tremblante.Vous ressentez un élan spirituel né des roches miroitantes, de la solitude qui n'en est point une, de l'éternité vivace accumulée autour de votre misérable personne …

La roche îlienne vous parle des sirènes, d'Ulysse, de la vanité terrestre et de l'espérance nouvelle ! le bleu profond de la mer lave votre âme de son amertume ancienne...vous touchez la beauté et elle ne se dérobe pas.

A cet instant d'émotion étourdissante, un brave voyageur dénué d'imagination, croyant deviner vos pensées, fracassera brutalement votre envol spirituel, en vous demandant  sur le ton le plus anodin:

 « Voulez-vous que je vous prenne avec votre portable ? Cette vue ! »

Vous accepterez en le maudissant et vous garderez ainsi le souvenir de votre visage aussi pâle que celui d'un blessé qui aurait perdu beaucoup de sang,...

Vous reviendrez doucement sur vos pas, craignant de dissiper cet état passionné qui vous libère et vous épuise.

Si votre santé est robuste, vous en serez quitte pour une fatigue rêveuse ; ou, pire, le désir irrépressible de griffonner, sur un bout de chiffon, un flot houleux de poèmes confus ! Ou , encore plus périlleux, une lettre destinée à un ami lointain qui, en déchiffrant votre papier froissé dans la menthe et le genêt, ne comprendra goutte à votre exaltation.

Mais, il est possible que votre désarroi perdure, et qu''il vous amène jusqu'à une consultation nocturne à l'hôpital de Capri … Si vous avez une pâmoison chez eux, vos amis îliens vous enfourneront à la vitesse de l'éclair dans leur adorable Fiat, enfileront les virages les plus terrifiants du monde avec une désinvolture admirable et patienteront au moins deux heures avant que l'on ne vous rende à leur sollicitude !

« Demain, du repos et une pizza ! Et du calme surtout …Ce n'est qu'un malaise nerveux ! » dira d'un ton définitif le médecin des Urgences ; la lune en croissant  scintillera à l'instar d'un bijou oublié par Aphrodite sur le velours bleu nuit du ciel, et vous entendrez dans votre dos le ricanement d'une mouette insolente...

La « Grande Bellezza » de Capri vous aura joué un tour à sa façon !

A bientôt,

Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse


Port de Capri noyé dans l'azur*
                                

                                                                     

                                                                      *Droits réservés Vicomte Vincent de La Panouse


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