samedi 1 janvier 2022

A Capri: le repos du guerrier ou les vacances d'Auguste


Pages Capriotes

L'empereur Auguste laisse un impérissable souvenir dans nos mémoires soucieuses de rêver aux plus beaux mythes, aux plus incroyables épopées !

Qui fut-il sinon l'incarnation à la fois d'Hermés et d'Arés, dieux incompatibles sauf dans ce caractère ondoyant et autoritaire, réfléchi et fougueux ?

L'héritier de César, d'abord jeune Octave acharné à venger son odieux assassinat, enleva en moins vingt-neuf,à Actium une victoire prodigieuse sur la flotte de la reine Cléopâtre alliée à son amant Antoine.

Le monde en frémit de surprise et de terreur !

Le jeune héros titré Augustus par le sénat, instaura la paix générale dans ce qui allait être désormais, de moins vingt sept à cent-quatre vingt-douze après J-C, l'empire Romain.

Sur les fondements de l'ancienne république, le nouvel empereur Auguste édifia une nouvelle Rome, citée quasi idéale où artistes et poètes firent briller un nouvel esprit humaniste. Désireux de gouverner sans violence extrême, il s'ingénia sans cesse à établir une monarchie gardant les apparences de la l'ancienne République.Enfin, il tissa des liens à chaque bout de son immense empire avec les peuples les plus mystérieux .

En lui revivait la Grèce antique et les héros d'Homère ! avait-il pris Ulysse, « L'homme qui a vu les cités de tant de peuples et qui les a compris » pour modèle ?

En tout cas, son engouement envers l'île sauvage et inculte de Capri fut un écho de l'Odyssée sous l'égide non point du vénérable aède au regard voilé, mais de Virgile, son héritier spirituel. L'audacieux poète ne donna-t-il avec son ample et superbe Enéide leur suite tant attendue aux légendes homériques, creuset de notre littérature du bassin méditerranéen ?

L'évocation des grottes de Capri se devine chez Virgile, le climat ésotérique, lancinant du voyage au pays des morts appartient à l'atmosphère troublante des entrées sous-marines ou des cavernes à fleur d'eau trouant la roche sur le tour de l'île.

Lumière immatérielle, obscurité veloutée de turquoise, de rouge éclaboussures, de flèches de blanc pur ou de brumes vertes, le chemin des grottes ouvre la voie à de confuses et surnaturelles réalités...

Toutefois, Auguste avait beau aimer Virgile, il préférait la Capri livrée au vent et au soleil sur ses falaises incandescentes et ses ravins attrapant toutes les fleurs, toutes les plantes de l'univers.

Or, que fait un patricien de Rome sur une terre farouche ?

Que décide un jeune maître du monde obtenant des dieux un château du vertige jadis érigé par les Titans, et certainement débris énorme de l'Atlantide, et en remontant encore plus loin dans la nuit des temps, réserve inouï de créatures insensées dont les os giagantesques jaillissent des pentes odorantes ?

Que faire de cette citadelle hantée par le dieu Eole ou le dernier des Cyclopes, ancrée sur la mer la plus insondable et la plus bleue ?

Un romain bien-né, et cela va sans dire, un fringant empereur las des querelles politiques, se hâte d'inventer sa vie sur son divin rocher !

Le voilà profitant de ses rares, de ses précieuses vacances pour embellir sa villégiature divine : il construit avec l'énergie romaine et le talent d'un architecte de génie, tire de la pierre palais et villas, creuse des citernes afin de récolter l'eau du ciel, installe le premier musée de la Préhistoire en réunissant les ossements des crétures gigantesques récoltés à travers les grottes, ordonne que soient amenées des plantes rares ; enfin, il invite les îliens à se mêler aux Romains dans des joutes sportives héritage des traditions grecques, et se réjouit de la joie de tous, acteurs et spectateurs.

L'île secrète se couvre de jardins exquis, cultivés avec amour afin de révéler au grand jour son éclatante beauté. L'un d'entre eux a franchi les siècles et, à la sortie du bourg de Capri, étend ses pelouses pour le bonheur des amoureux discrets et des promeneurs nostalgiques.

Surtout, tentez d'y rêver au crépuscule, sous la brise fraîche montant d'une mer argentée ; les visiteurs du jour seront repartis, les Capriotes d'adoption jacasseront sur la Piazzetta, les îliens, de souche ou de passion, guetteront le rayon vert au moment du coucher du soleil sur la crique périlleuse du Faro, la main dans celle de leur épouse, fiancée ou amie.

Vous aurez ainsi tout loisir de bavarder avec Auguste s'il daigne vous en apprendre un peu sur la douceur de vivre Capriote et le goût Latin des beaux parcs agrémentés de gracieuses déesses de marbre au regard énigmatique !

Alberto Savino,Grec au cœur Français, peintre, poète des mots et des sons mélodieux, descendant direct d'Homère, d'Ulysse, et sans doute d'Hermès, eût ainsi le privilège inattendu d'une conversation assez houleuse avec l'empereur.

Cette extravagante entrevue se passa dans une humble et charmante chambre d'Anacapri, village blotti à l'ombre du puissant Monte Solaro.

Il faut avouer que les plus folles aventures surviennent souvent en ce lieu charmant, créé jadis par les amoureux chassés du hameau de Capri, pour de ridicules rivalités de famille incompréhensibles au commun des mortels,sur ce plateau fertile connu des seuls bergers, élevant leurs chèvres rétives et maigrelettes ; ou des pieux ermites cherchant à se rapprocher de la lumière céleste !

Anacapri : balcon naturel où s'épanouissent des vergers de citrons et des bosquets d'orangers établi sous la masse austère du Monte Solaro combla le désir de paix absolue d'un empereur souhaitant une cure de jouvence à l'écart des rumeurs et tourments.

Anacapri fut l'oeuvre d'Auguste ! hélas, quels hommages en reçoit-il encore ?

Et s'il ne s'agissait que du bourg des hauteurs !

Capri serait-elle à ce point ingrate avec son premier amoureux ? Seul le nom sulfureux de Tibère retentit de chaque grotte cachant un lourd, un terrible secret, de chaque belvédère mortel!

l'île feint de s'affliger encore des prétendus maux que lui infligea le fils adoptif d'Auguste ;

Tibère, empereur malade, et d'une méchanceté si inouïe qu'il s'acharna à métamorphoser ses pentes arides en un paradis aux bosquets et vergers splendides arrosés d'eaux cascadant depuis les citernes de son domaine établi sur le mont Jovis, cette âpre forteresse bâtie par la nature qui ne cesse de défier le Vésuve.

L'encre de la calomnie coule encore sur les actes du viel empereur qui fit de Capri la capitale de l'empire romain, jusqu'à sa mort...

Mais, ces légendes sans doute dues aux vengeances politiques, ces récits trop sombres pour être honnêtes, en scandant le nom du triste Tibère, effaçent l'attachement romantique d'Auguste .

Ce dernier aima l'île en sa jeunesse et l'adora en son âge mûr .Il retrouvait toujours sa jeunesse, son enthousiasme , son optiminsme sur ces falaises, ces montages, ces plages de cailloux. Hiver comme été, il inventa l'art d'être heureux sur les rocs parsemés de patricieins ou centurions imitant la sagesse des peuples de lézards bleus en dormant comme les bienheureux maîtres de l'Olympe ! 

Et, l'écrivain jouant avec l'art de l'insolence polie, le musicien sensible,l'ami Alberto Savino fut ainsi sermonné, voici presque cent ans déjà, par un Auguste furieux, indigné de l'afflux des troupes de voyageurs ignares : 

« L'empereur me contemple d'un air tellement affligé que, rassemblant les vestiges de cette maldie latine contractée dans mon enfance, je lui demande :

« Cur me consideras more leonis ? 

-Tu es un étourdi et un impertinent, me répond l'ami de Virgile. Comment peux-tu venir dans cette île sans t'apercevoir de ma présence? Comment peux-tu monter à Anacapri et ne pas voir mon effigie qui marque l'entrée du village ? »

L'ami Savinio présente ses plates excuses et l'empereur de reprendre son touchant discours :

« Capri me rendit la paix et la santé. Ici, on vivait comme des enfants. Si tu avais vu mes Romains graves et affairés allongés toute la journée au soleil , autour du rocher de Monacone … C'est alors que me vint l'idée d'appeler cette île Apragapoli, la citée de l'oisiveté ... »

Auguste réunit les îliens et les associa dans cette plaisante transformation d'un rocher terrifiant doté d'une ceinture de bronze mineral en l'endroit le plus agréable et le plus joyeux de son empire !

Un étrange personnage, l'architecte Numide Masgaba, le seconda sans relâche, au point de réaliser des tours de force : le premier palais hérissant l'imprenable Mont Jovis, une villa magnifique sur la cîme intangible du Monte Solaro, une autre perdue mais qui sera peut-être retrouvée u jour, du côté de Caprile, dans un vallon ignoré, à l'abri des tempêtes, l'énorme palais de la mer de l'autre côté du port de Marina Grande, et tant d'autres ahurissantes constructions dont les marbres et statues, bassins et terrasses furent outragées par le temps, le Vésuve, et les archéologues amateurs du Grand Tour...

Aventuriers,,diplomates à l'instar de Sir Hamilton, l'époux de la troublante Emma, esthètes fauchés ou fortunés,s'emparent des trésors romains sans l'ombre d'un remords...

Les beautés du Capri d'Auguste siègent dans les châteaux de Province, en Angleterre, en Ecosse et qui sait en France., et grâce au Ciel au Musée Archéologique de Naples !

Masgaba friand des audaces tailla les antiques escaliers à fleur de falaises qui jettent les voyageurs capables d'échapper aux codes absurdes des promenades conçues à l'avance, dans l'effroi et le ravissement ... le plus incongru fut creusé à peine plus loin que les hautains Faraglioni, au coeur de l'îlot du Monacone, masse empierrée à l'atmosphère surnaturelle, temple du soleil animé par le frétillement de lézards couleur d'azur, qui sont peut-être des mortels ensorcelés par la Circé habitant ce manoir surgi des eaux.

L'âme sereine et heureuse de Masgaba le bâtisseur qui a laissé son empreinte sur le roc de Capri à défaut de son image, reposerait dans ce mausolée ruisselant de lumière dont l 'escalade décourage les amateurs de doux farniente !

Un malicieux hasard a aussi décidé que l'amoncellement de rochers d'or fauve qui servait de plage rudimentaire aux compagnons de villégiature d'Auguste, connaîtrait un destin mirobolant : celui de la Fontelina, lieu aussi inconfortable que sublime ; bien sûr réservé aux heureux du monde qui s'y retrouvent avec grâce et componction à l'abri de ses ruineux parasols bleu et blanc.

Auguste plaisante-t-il avec les descendants de ces amis Capriotes ? Après tout même un empereur habitant le pays des Ombres a le droit d'être malicieux ! hanterait-il Capri sous l'égide de quelques compagnons Olympiens en balade sur le divin rocher reflet de leur Grèce perdue ? Auguste n'obéit-il autrefois à ses dieux préférés en ordonnant que la langue grecque reste celle de l'île au milieu d'un golfe fréquenté par la fine fleur des vacanciers Romains ?

L'Italien chante et résonne depuis le port jusqu'aux pointes arrogantes des falaises, mais l'esprit de l'île garde la suave mélodie du grec disparu .

C'est sa langue du cœur même si nul ne la parle et c'est celle encore dans laquelle Auguste vous adressera la parole si vous le rencontrez sans y penser.

Soyez-fier de vous si cela vous arrive et faites semblant de comprendre ce que l'illustre Capriote d'adoption vous expliquera ! ne craignez pas aussi de croiser, sur les chemins sauvages ou les escaliers à moitié effondrés, le fantôme de son successeur Tibère, que les îliens décrivent comme un grand chien noir qui vous escortera sans façon jusqu'au bord extrême des arcs, pointes et balcons tendus sur l'eau écumante : au risque d'y faire choir votre petite personne …

Sauf si vous avez l'immense chance de lui plaire, en ce cas, peut-être vous insufflera-t-il assez d'obstination et de désinvolture au fond de l'âme afin que vous vous entêtiez à relever une ruine bâtie par ses ses soins ou ceux d'Auguste.

Cette sorcellerie surhumaine frappa en plein cœur, un matin de juillet de la Belle Epoque, le bon docteur suédois, Axel Munthe, l'inventeur de la « Villa San Michele », orgueil d'Anacapri ! l'homme au manteau rouge qui pénétra en ses rêves d'architecte ignorant l'architecture et le guida chaque nuit avec une constance admirable vers ses travaux du jour, l'inconnu nocturne à la noble prestance qui prit en pitié et en amitié ce médecin sans le sou qui se piquait de reconstruire de ses mains une villa vouée au soleil, au vent et à la lumière, fut-il Auguste ou Tibère ?

L'atmosphère heureuse de cette Villa qui redonne le goût de vivre à ses visiteurs charmés d'y invoquer le Sphinx de granit rose, génie compatissant poursuivant un songe antique du haut de son parapet, ou d'y reposer leurs esprits désenchantés au détour des allées ombreuses, m'incline du côté d'Auguste, celui qui aima Capri comme une femme dure à conquérir, mais extraordinairement fidèle et d'une inconcevable, d'une étourdissante, d'une invulnérable beauté !

A bientôt, en cet an neuf, voyageons au moins en rêve ...

Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix



Falaises en fleurs à Capri*


*(crédit photo Vicomte Vincent. de La Panouse)

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