mercredi 23 février 2022



Capri par H.G. Wells : un refuge contre la folie de la guerre

Pages Capriotes

« Un rêve d'Armageddon », ou l'art de se réfugier à Capri en cas de guerre mondiale, semblait jusqu'à ces derniers jours une invention farfelue d'Herbert George Wells, créateur d'une science-fiction arborant avec fierté son blason littéraire et son goût de l'humanisme.

Ce rêve étrange et absurde, c'est celui que fit un homme chassé par la guerre vers l'unique refuge où l'amour et la beauté puissent être sauvés des ravages de la barbarie à visage inhumain : l'île de Capri.

Au moment où j'écris ce texte, le cauchemar d'un conflit inutile palpite de ses ailes sombres d'oiseau de malheur en dépit d'un admirable déploiement des colombes échappées des pigeonniers de la diplomatie d'Europe.

En termes moins galants, si un certain président du nord cédait à la tentation de la conquête absurde, où irait se réfugier un couple d'amoureux, loin des tumultes d'un monde en proie à d'amers tourments et guetté par une épouvantable destruction?

 « Mais à Capri », nous répondrait aussitôt Wells !

En mille neuf cent neuf, le voilà qui extravague avec passion autour d'une intrigue se déroulant vers l'an deux mille et d'incertaines étoiles. Il en naît un roman d'une intensité rare, contant les états-d'âme d'un inconnu terrassé par une douleur spirituelle née de sa vie rêvée extirpant son âme hors de la mesquinerie de sa réalité, dans un temps bien au-delà du sien.

Peut-être en l'an deux mille, ou encore plus loin...

Cette fantaisie futuriste prend une vigueur singulière à nos yeux de lecteurs étonnés et, sans oser l'avouer, peut-être inquiets de l'acuité singulière de cette vision d'un monde soumis aux actes odieux d'un conquérant ne connaissant ni Dieu ni diable.

L'imagination de l'écrivain puiserait-elle à la source d'une intuition prodigieuse ?

Le narrateur, brave homme englué dans une vie suintant l'ennui mortel, s'explique à l'auteur en profitant d'un voyage en train. Le temps oscille alors entre deux vies, deux époques, deux destins, la vie rêvée l'emporte sur le quotidien insipide. D'une vie vouée aux conventions, aux amours raisonnables, à l'inutile, à la laideur acceptée comme une fatalité .

L'histoire se développe, comme un chemin qui s'ouvre dans l'inconnu, entre celui qui se confie et celui qui écoute, tous deux bercés par le balancement d'un wagon banal, métamorphosé en machine à explorer l'inconscient...

Le héros est-il fou ? Ou malade au point de perdre son bon sens ? Ou Wells ressent-il déjà les horreurs de première guerre mondiale ? Son sens aigu du fantastique l'aide -t-il à ouvrir les portes de l'avenir ?

Son pouvoir de suggestion caractérise-t-il un don de voyance autant qu'un talent d'auteur débordant d'imagination ? Son récit fascine par un accent de vérité qui efface la vie normale, repousse l'instant présent, au profit de ce rêve qui revient chaque nuit en installant un couple uni par une passion triomphante au pied du Monte Solaro, montagne aux rocs d'or fauve, aux bosquets de pins à l'éclat d'émeraude profonde, citadelle des nuages et gardienne des secrets de Capri.

L'homme faible et maladif qui livre les clefs de son cerveau torturé à son compagnon de voyage dont la bienveillance engourdit sa méfiance, se présente comme en son rêve, un chef d'état fuyant son fardeau  et ses pesantes responsabilités: 

« ...D'un bout à l'autre du monde, mon nom et mes traits étaient connus, et l'on savait que j'avais soudain renoncé à tout orgueil et à toute lutte pour venir en ce lieu... il n'y avait guère de gens là qui ne me jugeassent un homme heureux, en dépit de la honte et du déshonneur qui s'attachaient maintenant à mon nom. »

Ce héros insolite renie ce qu'il fut : un chef providentiel obsédé par sa lutte contre une « Clique »menée par Evesham, homme sans foi ni loi assoiffé d'ambition. Mais tout cela lui paraît si vain ! que lui importe son devoir ? Le sens profond de sa vie s'incarne maintenant dans le visage harmonieux de la femme aimée :

« Dès que je l'aimai, tout me parût vain et vide, poussière et cendres... »

Ainsi, n'éprouvant plus aucun désir de lutter contre la crise installé dans son pays, l'amant l'emportant sur l'homme public, notre héros enlève son amante à Capri.

Mais quelle étrange île, cette Capri de l'an deux mille ou trois mille !

Séjour de la beauté invincible, rocher énorme miroitant de lumière transparente, et surtout, hôtel insensé prodiguant les délices de ses jardins en terrasses !

Capri au fil des âges est devenue l'utopie de l'amour et de la beauté, le refuge essentiel des antiques civilisations, un rocher creusé de sanctuaires voués à l'art de vivre d'une aristocratie de l'esprit et du sentiment. Autour de ses falaises ondoie un ballet de bizarres machines volantes et des escaliers roulants promènent les couples en émois parmi des salles gigantesques vouées à la danse et au repos.

On croirait se trouver dans un décor de la Guerre des Etoiles ou un paysage d'un épisode de Valérian et Laureline !

Wells est le précurseur de ces grandioses cités cosmiques !

Grâce au Ciel, l'ami Herbert George, manifestement amoureux du Capri de son temps, replonge dans la beauté simple et parfaite de l'île et, oubliant sa description fantastique, sait en peindre, comme un véritable passionné, sa féerie éternelle :

«  Hors de l'ombre, le monte Solaro apparaissait, droit et haut, empanaché d'or et de mauve, comme un monarque sur son trône, et la lune blanche s'effaçait derrière dans le ciel occidental. Devant nous, de l'est à l'ouest, d'innombrables voiles parsemaient la mer aux nuances infinies...juste au-dessus de nous se levait, hors des flots, une roche énorme percée d'une brèche. Tout autour, les flots bleus venaient se briser en écume blanche et verdâtre »

Cette brillante évocation étonne le confident malgré lui de ce narrateur inconnu, cet illuminé qui rêve avec tant de précision d'une île sur laquelle il jure n'avoir jamais abordée !

Capri vaincra-t-elle l'adversité ? Le rocher sera-t-il la forteresse suprême à l'instant où le pire se déchaînera? Le rêve de grâce et de paix amoureuse vacille quand l'homme d'état, égaré au sein de son égoïste exil, apprend que son pays est au bord des combats. On vient le supplier d'aller sauver ses amis, son parti, son peuple, on le supplie d'éviter une guerre  qui bientôt s'abattra sur la planète entière… La vertueuse et vaillante femme aimée accepte le sacrifice; tant pis pour Capri, tant pis pour ce refuge sublime, elle aime en son amant l'homme de devoir, et craint d'être déçue par sa lâcheté.

Lassé de ces discussions, le héros refuse net de quitter leur paradis, la guerre, affirme-t-il avec la force véhémente de ceux qui savent être dans l'erreur, n'est qu'une idée en l'air !

D'ailleurs  songe-t-il: « Pourquoi en dépit de tout, retournerais-je passer le reste de mes jours dans les labeurs et les difficultés, dans les insultes  et le mécontentement perpétuel, tout simplement pour épargner à des centaines de millions de gens que je n'aimais pas, les malheurs et les angoisses de la guerre et de la tyrannie ?

Hélas ! se moquant des certitudes et des doutes, des faiblesses et des compromis, la guerre enverra dans une course folle ses oiseaux de malheur semant rage, haine et douleur.

Capri ne protégera pas les amants maudits qui en la fuyant se perdirent corps et âme, hantés par la sauvegarde impuissante de leur amour face à la mort…Le rêve tourne court, la nuit s'abat sur le monde de l'ailleurs, sur l'âme du narrateur....et les voyageurs du monde réel arrivent en gare. C'est trop tard ! nous ignorerons toujours le mot de la fin !

Mais Capri se perdit - elle ?

Je vous laisse lire Herbert George Wells, créateur génial de mondes invisibles, et âme romantique courant à la poursuite de l'amour ! Capri sauvera - t - elle notre invincible foi en l'idéal de beauté ? Après tout, ne fait - elle autre chose, depuis qu'au large de ses falaises intangibles, de ses grottes à l'éclat de turquoise ou de rubis en fusion, de ses criques aux pierres fauves, meurtries de vagues aussi vertes qu'un printemps liquide, Ulysse y fut ensorcelé par le chant des Sirènes ? 

Ne brille-t-elle, cette étoile de la mer, à l'instar de ces rêves qui, au cœur des nuits profondes, nous font naviguer vers les vies que nous avons vécues ou celles que nous avons encore à vivre 

A bientôt !

Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix



Capri, splendeur sauvage par un matin d'Octobre
(Photo droits réservés Vicomte Vincent de La Panouse)


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