mercredi 22 février 2023

Tempête sur le golfe de Naples: Roman à Capri Chapitre XXIII "La Maison ensorcelée"

Le rendez-vous de la Cetrella

La maison ensorcelée 

Roman à Capri

Chapitre XXIII

La tempête battait son plein quand j'eus une sorte de crise nerveuse en me représentant mon fils englouti par les eaux du golfe de Naples en furie.

Notre tourelle si romantique menaçait de s'envoler sous la barbare attaque de tous les vents lâchés par Eole ricanant du haut de sa montagne flottante.

Nos vitres fragiles chantaient comme du cristal sous les ailes des oiseaux de mer qu'un démon piquait au vif afin de nous livrer en sacrifice à son maître, sans doute le dernier descendant des Cyclopes. La mer si pure s'était muée en une sinistre coulée grisâtre hérissée d'écume endiablée, l'île gémissait comme Andromède secouant vainement ses chaînes, nous étions perdus ! et surtout Henry, alias Fils-dernier, qui coulerait certainement à pic avec son ferry d'ici quelques minutes ...

Les nerfs douloureux, les joues brûlantes, les mains agitées de tremblements, je m'écroule sur le sofa et supplie le Ciel de sauver notre enfant, attitude jugée aussitôt ridicule par l'Homme-Mari hurlant à travers l'infernal vacarme que notre fils touchera bientôt le port sans avoir même souffert du mal de mer.

Cet optimisme déplacé redouble mes alarmes, et suscite les sanglots hystériques d'une mère endurant de manière bruyante les atteintes de l'obscure fatalité. Je plonge, à l'instar d'un bateau entraîné par la mer affamée dans les vagues du désespoir, quand le silence le plus absolu tombe sur nous. C'est un miracle toujours renouvelé en haute mer, la tempête s'éloigne et les vents sont calmés. Or Capri est un navire auréolé de brume dont l'ancre sursaute et fait mine de rompre quand les orages se jettent à l'assaut de ses remparts monstrueux. Cette fois, le péril s'éloigne encore, jusqu'à la prochaine ire impromptue surgie de la mer et relayée par le ciel. mais le ferry de Naples a-t-il résisté à ces chocs puissants, à cette âpre bataille décidée par les divinités d'hiver, ces dieux inconnus que la nostalgie des temps primitifs habite toujours ?

Les temps modernes se réveillent soudain avec la musique du portable, nous sommes si nerveux que l'engin glisse de nos doigts et manque se fracasser sur les dalles blanches.

L'Homme- Mari n'entend qu'un bourdonnement, mais un message nous arrive!

 "Je suis au port, taxi en vue, j'arrive, pas d'embrassades en pleurs, s'il vous plaît, tout va bien, amusante péripétie."

"Les Sirènes l'ont épargné"!

"Mais non, ce n'était qu'un grain, il ne risquait pas grand- chose, même si à un certain moment, je t'avoue que je me suis senti assez inquiet . Bon, on y va ?"

Au dehors, le ciel persiste à se cacher sous un manteau de nuages si bas que le jardin se métamorphose en esquisse noire et blanche. un miaulement d'une intensité tragique me fait presque crier d'effroi, c'est bien sûr un chat, une demoiselle aux yeux effilés qui se lamente sur une chaise longue. 

"Attends une minute, je reviens !" dis-je attendrie, tandis que l'Homme- Mari maudit la gent féline de Capri qui prend une importance des plus exorbitantes dans la vie des îliens.

"Notre fils d'abord ! cet animal a survécu et ne cherche qu'à piller les provisions entassées pour Henry sans parler de notre précieux "foie gras" que je le soupçonne d'avoir déjà senti de loin. Ces chats n'ont aucun savoir-vivre, eux d'abord, le reste de l'île ensuite et tout le monde trouve cela normal!"

La rue la plus tourbillonnante d'Anacapri est encore vide, les vents apaisés font à peine bouger les branches dépouillées des jardins, aucun bruit ne monte, aucune voix ne clame sa joie d'en avoir fini avec la tempête, personne aux fenêtres, nulle lumière réjouissante, les habitants seraient- ils les proies innocentes d'un immense enchantement ? Serions -nous les seuls, nous les Français, à avoir échappé à un terrible sortilège ?

Un roulement pareil au tonnerre retenti t et du fond de l'épaisse brume, roule un taxi hardi qui se rue sur la Piazza Caprile pétrifiée de désolation.

"Henry!" C'est bien Fils-Dernier, notre fils rendu à nous par Poséidon !

Je suis si contente que j'embrasse le chauffeur qui me rend mon accolade avec ferveur !  du coup, distraite et ravie, je donne  sans y penser à ce brave homme une somme en accord avec mon enthousiasme maternel, amusé et ému, l'autre se courbe en saluts excessifs et nous échangeons des adieux joyeux. Fils-dernier en profite pour nous tancer, des parents aussi anxieux, quelle calamité, enfin, affirme-t-il d'un ton plus doux, quel soulagement de respirer autre chose que l'atmosphère fétide d'un bateau transportant une cargaison de malheureux payant à Poséidon une rançon en nature ...

Une voix à l'accent singulier franchit nos paroles emmêlées, il semble que je sois la seule à entendre ce timbre coupant et distingué, une voix qui sait commander, une voix appartenant à un être froid et doutant de la puissance infini de la passion, et cette voix pragmatique et tranchante me chuchote:

"Quand vous en aurez terminé avec ces simagrées, revenez à la Cetrella, priez la Madone pour ceux qui vous aiment encore. C'est sur cette roche solitaire que bat le coeur de l'île, et le nôtre aussi, ou plutôt le mien puisque vous semblez n'avoir plus de mémoire des jours anciens."

 Je voudrais protester, prouver ma bonne foi, mon engouement irrésistible envers les amours encore vives derrière leur voile d'invisibilité, et demander ce qu'est la Cetrella, un belvédère, une Villa romaine, une venelle, une chapelle? Oui, certainement un lieu de pèlerinage, ce mot gracieux ne m'est pas inconnu, sa musique fait se lever un vague souvenir... Je vois défiler de confuses images, une prairie si verte, des fleurs d'or, une Madone aux tendres coloris, hallucination née de mon angoisse ou souvenir tangible d'un autre temps, je respire de puissants parfums d'herbes sauvages et de forêt humide, la place brumeuse se remplit de clarté et de vertige, si la Cetrella existe, elle annonce le bout du monde, un lieu de ferveur sublime tremblant au faite des rochers du vertige... 

"Maman, tu  te sens mal ? Il ne fallait pas avoir si peur, je ne risquais rien, sauf le mal de mer et là franchement, ce fut sinistre, mais c'est bien de vous revoir ! et j'ai faim, ne restons pas plantés comme des idiots !"

 Le moment présent reprend ses droits de façon vigoureuse, mon fils exige son dîner, sa voix affectueuse mais autoritaire me prouve que celle que j'ai cru entendre n'existait pas.

Depuis notre premier séjour, n'ai-je compris que l'île des Sirènes avait le don dangereux de susciter des  visions absurdes ou plutôt absurdement poétiques ? La Cetrella ? Allons donc, certainement le nom d'une boutique ou d'un restaurant dont le nom me revient de façon absurde.  

 La Piazza Caprile engoncée sous un nuage cotonneux ne contient pas un chat, pas un promeneur égaré, Serions- nous désormais seuls à Anacapri ? Notre chauffeur n'en a cure, sa journée est finie, et il s'éloigne vers la mystérieuse via Canula où son épouse s'impatiente et s'angoisse.

" Le spectacle en valait la peine tout à l'heure, nous assure-t-il, ma pauvre femme  croyait que le Fortinio del Pino, du côté du Faro, édifié par les Anglais, en dessous  de la voie romaine, s'effondrerait en mille morceaux dans la calla d'en bas, rudoyée par des vagues énormes, des montagnes d'écume ! ah ! vraiment une belle tempête, votre fils a dû la sentir sur le bateau ! mais ces jeunes sont endurants, une bonne nuit et il sera frais comme un poisson et prêt à conter fleurette aux belles filles !"

Fils-dernier hausse les épaules et nous courrons nous réfugier entre nos murs immaculés.

La soirée s'écoule dans la paix d'un foyer recréé sous le souffleur qui nous inonde d'un courant d'air salubre, ce qui ranime l'ironie de notre survivant: 

"Pire qu'à la maison, vraiment, quelle idée de louer cette baraque aussi glacée que la nôtre ? A propos, je compte me détendre et surtout rester calme, vous n'avez rien prévu au moins ? pas de rencontre franco-capriote, de déjeuner ou de dîner ? J'aimerais seulement marcher sur les sentiers l'esprit enfin libre de toutes contraintes, c'est dur ce que je fais, vous savez, impossible de vous expliquer, pas d'électricité, le danger à chaque tournant, les enfants qui meurent ... J'ai bien besoin de me changer les idées, sinon je n'aurais pas le courage de persévérer, même si l'équipe s'entend bien avec moi, on me fait confiance, et pourtant je suis le plus jeune . Attendez un peu et je vous raconterai nos voyages de fou sur les pistes, le château de l'Anglais qui voulait vivre comme au pays eau bord d'un lac débordant de crocodiles, et mes conversations avec ces braves gens qui voient couler les eaux du Zambèze sans penser à construire des pompes pour leurs potagers, et tant de choses délirantes... 

Demain,  pourquoi pas une balade vers ce Fortinio del Pino? Je crois que le sentier commence au Faro, et qui sait si nous ne passerons pas au retour du côté de la via romaine  où sa Pénélope d'épouse attendait  ce soir son Ulysse chauffeur de taxi?  Ou alors, si vous ne craignez pas une petite escalade, sans l'énervement de croiser des touristes en sueur en cette saison, une grimpette sur le Monte Solaro ? Avec un peu de chance, nous surprendrions les dernières chèvres de Capri, il paraît qu'elles ont très mauvais caractère et une vigueur si extraordinaire qu'elles caracolent sur les pics et les rocs au moindre rayon de soleil.

Imaginez un peu, si nous étions encerclés par ces bestioles, que choisir ?

 Le saut dans le gouffre marin où un combat contre un troupeau hargneux ? Non, que dites- vous ? Je rêve, vous offrez un café et dessert à l'écrivain demain, pile pour mon arrivée ? Et le soir, un dîner splendide préparé par la famille de Giulia ?

Donc, on voudra m'écouter comme si je donnais un spectacle ? D'accord, ils sont très sympathiques, je les aime beaucoup, mais vous n'avez aucune considération pour mon envie de vacances tranquilles ! c'est une honte! vous ne m'avez pas vu pendant si longtemps et vous m'infligez un flot de mondanités avec italien obligatoire !"

Devant cette plainte formulée sur un ton des plus indignés,  une seule voie diplomatique est à choisir, celle du compromis adroit. Je promets à Fils-dernier que le café ne s'éternisera pas, nos jeunes amis sont  trop polis et délicats pour piétiner une minute de notre précieuse liberté, le dîner fabuleux organisé avec ferveur par la famille de la ravissante Giulia tombe à pic, Fils- dernier voudrait- il s'ennuyer à piller l'humble épicerie de la Piazza Caprile, ou comble de l'horreur, à suivre les ménagères arpentant l'étroit et désordonné Supermercato de la via Giuseppe Orlandi ?

 Non, cela outragerait notre idéal de voyage fantasque et désinvolte, sur les pas d'écrivains et poètes changés en étoiles sur la voûte céleste du golfe de Naples.

Je n'ose avouer à l'ombrageux Fils-dernier que nos courtes vacances d'hiver seront enchevêtrées  le lendemain par un rendez-vous vers midi avec l'impérieux" Cavaliere" aux cheveux de neige, chargé d'extorquer sans vergogne aucune les amoureux de la maison abandonnée, un repas vers treize heures, une table entre amis, réservée dans le restaurant d'en face,  précédant le café prodigué au jeune écrivain et son épouse, mère de famille à l'italienne,( c'est à dire se plaisant à raconter, de la façon la plus pathétique, les touchants exploits de sa fille de trois ans), la recherche urgente de vêtements chauds pour l'Homme-Mari venant de constater qu'il n'avait rien à se mettre, le désir dudit Homme- Mari de découvrir au moins un des vénérables forts, construits par nous les Français, ceinturant une partie de l'île à l'instar d'un chemin de ronde, l'achat d'un cadeau aux très aimables amis nous ouvrant le soir leur maison en l'honneur du voyageur d'Afrique, et, si les Sirènes ne me jouent pas de tour pendable, ma nouvelle lubie d'un lieu escarpé au nom évoquant un bruissement d'ailes sur une pelouse: la Cetrella.

Comment révéler que le repos égoïste ne sera pas de mise le surlendemain ? Mon amie Napolitaine, joaillière habile, blonde au sang passionné, fantasque à l'instar d'un volcan faussement assoupi, a décidé en vraie femme de tête ne redoutant ni la houle coléreuse ni les grains impromptus, qu'elle traverserait le golfe en compagnie d'une nièce belle comme l'amour et d'une amie exilée de son froid pays d'Europe qui se réjouit de voir de près les bizarres Français que nous sommes. Hélas ! l'idée de préparer un déjeuner digne de ces trois belles personnes me tue à l'avance ! les traiteurs oeuvrent-ils sur l'île en cette saison privée de réjouissances mondaines ? Si seulement fils-dernier acceptait ce déferlement avec  le flegme teinté d' amusement de Théodore  ... Mon aîné me manque, et je sens une étrange approbation flotter autour de moi, Théodore manque à cette Villa bâtie par un excentrique inconnu voici un ou deux siècle...Ce matin, une très vielle dame ne m'a-t-elle interrogée sur son sort, sur sa prochaine venue, "Il est si beau ! il n'a pas changé !" 

Pourquoi notre fils aurait-il pris de l'âge en si peu de temps ? Je refuse d'avancer dans cette obscure descente vers un passé encore retentissant ... Demain ! j'y penserai demain... 

le jour se lève sur un jardin trempé de rosée et frais à l'instar d'un matin éternel.

L'hiver existe-t-il à Capri ? On m'a juré que la saison pétrifiait corps et âme par sa rudesse, on m'a grondée de me promener en manteau léger; et voilà que l'île ouvre des ailes d'oiseau sous un soleil éblouissant.

La tempête n'est plus qu'un souvenir de voyage, l'Homme- Mari arpente la pelouse , portable sorti de sa poche, l'air déterminé et l'allure guerrière. 

Fils- dernier en est à sa dixième tasse de café, et,

 "Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage

 Ou comme cestuy-là qui conquit la toison

Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

 Vivre entre ses parents le reste de son âge!"

 ne manifeste aucune velléité aventureuse.

Son séjour en Afrique australe lui inspire l'humeur de celui qui a beaucoup vu, beaucoup enduré et terriblement envie de goûter au repos fugace généreusement prodigué par sa famille compatissante.

Je l'observe (une mère ne se réjouit- elle à la simple vue de son fils adoré ?) en rêvant vaguement à de minuscules corvées, et surtout à notre grande rencontre dûment fixée, une demi-heure avant que Midi ne fasse couler sa musique de cristal, avec le gardien de la maison abandonnée.

Qu'allons- nous dire à cet individu couronné de neige, qui darde sur vous un regard bleu clair d'une intransigeance insoutenable. quelle attitude choisir ? Compromis ou dispute sont deux écueils sur lesquels nos efforts diplomatiques afin d'obtenir une énorme baisse du prix, couleront à pic. On ne négocie pas avec un Cavaliere, on ne recule pas non plus.

 En fait, si les sympathiques esprits errant dans les courants d'air de cette Villa en ruines ne daignent nous donner un coup de main, nous n'aurons qu'à tourner le dos à nos désirs exorbitants, il faut être extrêmement riche pour acheter un taudis abandonné à Capri ... 

Mais l'espoir a la peau et la vie dures, c'est un sentiment coriace qui nourrit l'imagination et réveille l'art de la ruse. 

Comment ne pas sourire à l'avenir quand on descend doucement les marches rayonnantes de la via Follicara en enjambant un peuple de chats placides, museaux rangés entre les pattes sur la pierre tiède et moustaches frémissantes de bien-être ...

Horreur ! le fou volubile, le repris de justice, bavard comme un troupeau de pies, jaillit de sa maison, alors que j'avance en égoïste convaincue, libérée, sans regrets pour l'instant, de Fils-dernier et de l'Homme- Mari. Tous deux se sont engagés d'un élan inspiré dans une savante et docte recherche de mets fins, au hasard des boutiques de la via Giuseppe Orlandi voisine. Ils sont ainsi envolés sur cette interminable déambulation entre jardins clos et lieux de tentation hétéroclites, tout entière vouée aux piétons aimant perdre leur temps. 

"Elle est revenue, la reine de France! le sourire des étoiles ! la belle dame de la maison hantée, quel bonheur, mais quel bonheur, vous courez chez vous ? Non ? et pourquoi non ? Votre mari est donc si pauvre qu'il ne puisse vous acheter votre propre maison à Capri ?

Vous voyez, il fait si beau, alors tout devient possible, donnez- vous juste un peu de peine, je vous conseille de changer de mari, il ne manque pas d'hommes fortunés que je serais ravi de vous présenter ici, dans ce quartier, ah ? Non ?  Bah ! comme c'est beau une femme qui préfère l'amour à l'or !

Moi, j'ai volé une bijouterie à Paris pour couvrir mon amoureuse de diamants, et devinez: cela n'a servi qu'à me couvrir de honte, l'ingrate m'a renié pour toujours; ce que j'ai fait des diamants ? Mais je les ai gardés bien sûr, et bien cachés...Vous les auriez rendu , vous ? Ah! quelle belle âme ! c'est pour cette raison que vous ne serez jamais riche, comme je vous plains ! vous savez, il y a un trésor dans votre jardin, la légende en parle depuis les Grecs, la voilà votre solution: creusez ! la terre garde une déesse aux yeux d'émeraudes... vous riez ? Essayez donc ! et vous me bénirez ... Par contre, attention au Napolitain,  il a la jettatura, vous ne le saviez pas ? Et vous n'avez pas la corne en corail sur vous ? Attendez, ne bougez pas, je reviens."

Je devine la suite, et c'est une corne de corail particulièrement hideuse que l'aimable fou rayonnant de bonté me force à attacher sur mon manteau blanc. On jurerait une goutte de sang et je n'ai qu'une idée en tête: l'ôter dés que le vociférant donateur aura réintégré son logis. Par quel miracle d'ailleurs habite-t-il dans cette rue où le logis le plus décati n'est à la portée de la bourse que d'un financier de Manhattan ou d'un prince oriental?

C'est le merveilleux privilège de ceux que leur bonne étoile a fait naître sur les hauteurs de l'île...A moins que les diamants dérobés n'aient valu ce refuge loin de toutes les polices du monde à mon aimable bavard. .. Mais, sans doute, suis-je d'une naïveté incommensurable, un inconnu me raconte son cambriolage du siècle et je le crois sur parole !

Capri rend fou, et j'ai rendez-vous dans un endroit surnaturel qui a nom Cetrella, Dois-je obéir aux injonctions de je ne sais quelle Sirène enrhumée cherchant à se divertir, ou suivre ce conseil impérieux m'aiderait- il à remonter vers  mon étrange vie d'autrefois sur l'île?

Mon sympathique voleur de diamants ne me lâche hélas pas!  le voilà poussant la sollicitude jusqu'à m'apprendre le geste inné dans le golfe de Naples de celui qui arrête net la malédiction du jettatore: tendre le bras droit, replier le pouce, le médius et l'annulaire sous la paume de la main, braquer son poing comme si on allait frapper, tout en faisant pointer rigides, l'index et le petit doigt en position de cornes.

 C'est franchement ardu quand on n'a pas reçu du Ciel la grâce de naître entre Naples et Capri, j'ai envie de rire, mais la mine soudain belliqueuse du fou m'incite à arborer l'air grave d'un enfant craignant d'être mis au piquet.

"On ne plaisante pas, madame la reine de France quand on croise le regard d'un jettatore ! vous me direz merci très bientôt! allez, je vous embrasse de loin, votre mari a beau ne pas être riche, il est peut-être jaloux ... A presto, vous me raconterez vos histoires sur l'île ? Promis ? Ah! vous je vous aime !"

Et, sur cette charmante déclaration, mon aimable fou file comme un diable vers la piazza Caprile.

"Attendez ! j'ai oublié de vous demander quelque chose, la Cetrella, qu'est-ce ? Et où cela se trouve-t-il ?"

Le fou dégringole les marches et me jette ces mots ombrageux :

"La Cetrella ? vous ne vous souvenez plus de la Cetrella ? Mais on vous a lavé la cervelle à l'eau bouillante! la Cetrella, elle est là-haut, invisible, parfaite. C'est votre ancien ami, vous savez bien, l'homme au chapeau, qui serait furieux de savoir que dans votre coeur, la Cetrella ne palpite plus. N'attendez pas votre Napolitain, grimpez sur la montagne, la Cetrella l'emporte sur tout, c'est Ithaque, c'est la terre promise, c'est le coeur du monde, l'endroit où l'ange et la déesse s'embrassent sur le promontoire du passé et de l'avenir."

Et voilà l'enragé beau- parleur qui repart et disparaît.

"La Cetrella, c'est une église", murmure une voix timide en italien

Je me retourne ; une dame sans âge, au teint marmoréen dans un visage à l'harmonie grecque, frêle et radieuse sous les rayons d'un soleil généreux, tend sa longue main d'une pâleur transparente, vers le Monte Solaro dont les parois fauves se parent de rose.

"Il faut monter en partant de la Villa San Michele, monter longtemps, et vous verrez la chapelle et son ermitage. L'herbe y est toujours verte et parfumée. Voici trente ans environ, le feu a noirci et calciné les bois et les prés, un spectacle barbare, des nuits d'épouvante.  mais autour de la Cetrella, l'herbe resplendissait, fraîche et épaisse, et les genêts brillaient comme des étoiles d'or, les anges de dieu protègent cet endroit. Si votre âme craint l'obscurité, le pèlerinage à la Cetrella vous remplira de lumière, vous n'aurez plus jamais peur."

Mes yeux me piquent, ce mot chantant de Cetrella éveille une musique perdue, je voudrais remercier, trop tard ! la dame s'est faufilée dans une venelle et je n'ai tout à coup qu'un seul désir: grimper jusqu'à l'ermitage des nuées, La Cetrella, serait-ce l'oiseau des ruines, celui qui évolue sur le fil liant passé et avenir ?

De vibrants appels rompent mes divagations matinales, la réalité déferle sous la forme de l'Homme- Mari manifestement hors de lui, Fils dernier courant presque sur ses traces, et tous deux déboulant du bas des marches à mon immense étonnement, moi qui les imaginais  chez un traiteur, en plein débat âpre et passionné, tous deux penchés sur des macaronis capriotes à réchauffer pour nourrir nos belles invitées Napolitaines du lendemain.

"Le forban, le monstre, l'escroc, figure- toi qu'il a même eu le front de nous augmenter encore le prix extravagant de ce taudis, et, qui plus est, de nous infliger un géomètre de ses amis, d'où une addition insensée de travaux obligatoires si nous persistions à vouloir restaurer la maison dans le vrai style caprese. Henry était choqué, et nous venons de quitter ces messieurs en renouvelant ma première offre, je n'en bougerai pas !

Pardon, j'ai omis de te dire que le Napolitain- avait avancé le rendez-vous juste après ton départ en ville ce matin. Nous avons foncé, et c'était un piège encore une fois, Henry s'est montré d'un calme, d'une patience, peine perdue ! et on nous a interdit de remettre le pied dans le jardin inculte, comme si nous allions voler un trésor dans ces buissons d'épineux; de toute façon, je vais demander à un architecte, le fameux cousin de Salvo, de rétablir un semblant de dialogue avec le propriétaire, son chargé d'affaires a un comportement bizarre, il nous attire pour mieux nous éloigner.

 Que penses- tu que nous devrions inventer maintenant ? "

"Une promenade afin de nous éclaircir les idées ! et continuer nos courses, oublier ce Napolitain aux yeux bleus et songer à nos amis qui piafferont bientôt à notre porte. Quel dommage que  pendant le rendez-vous aucun de vous deux n'ait esquissé le geste qui pétrifie la malédiction du jettatore..."

Henry, intrigué, se détend soudain et me supplie de lui donner une leçon pratique. Hélas, je m'emberlificote et surprend le regard agacé des passants; certaines traditions semblent réservées aux heureux mortels du golfe de Naples ...

"On ne vient pas à Capri pour affronter des Napolitains qui  s'évertuent à vous ruiner avec une ruine, Vous méritez de vous reposer de vos émotions, dis-je hypocritement, je vous suggère une sieste dès que nos jeunes amis auront filé à l'anglaise,  moi j'en profiterai pour repérer une promenade vers un joli point de vue, celui de la Cetrella. Puis, nous descendrons vers le Faro, à condition qu'il reste assez de jour..."

Fils-dernier bondit, la mine presque exaltée, l'allure enthousiaste et déterminée d'un explorateur du XIXème siècle sur la piste des sources du Nil ou de la dernière Villa romaine de Capri.

"L'ermitage de la Cetrella ! je te suis, c'est le plus bel endroit de Capri, et la chapelle de la Madone a la réputation la plus troublante, on y entendrait battre le coeur du monde, tu le sais, bien sûr ?"

Je n'en demandais pas tant !

A bientôt, pour la suite,

Nathalie-Alix de La Panouse 

ou Lady Alix



Vers le Fortinio del Pino en hiver
Capri, "Corsaire"
Crédit photo: Vincent de La Panouse





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