mercredi 8 mars 2023

Fortinio del Pino ou Fééries d'hiver à Capri ou "La maison ensorcelée" chap XXIV



 Chapitre XXIV où l'on va du Faro au Fortinio del Pino sous l'orage

« La maison ensorcelée » : « Roman à Capri » 

Hiver comme été, les simples mortels ne décident rien sur l'île enchantée de Capri.

A la vérité, et aussi étrange que cela puisse paraitre, d'immatérielles divinités disposent avec une exquise désinvolture, des hasards de votre destinée ou des aléas de votre emploi du temps.

A Naples, il existe une attitude qui s'applique autant aux hommes élégants qu'aux Sirènes et autres Tritons, demi-dieux ou dieux sommeillant sur l'Olympe en dépit des grondement de notre planète en furie: l'aimable nonchalance qui permet d'agir en douceur mais sans jamais subir la moindre influence du vulgaire.

Fils dernier et moi-même avions prévu de nous lancer sur les flancs raides et glissants du Monte Solaro entre le déjeuner et la tombée précoce de la nuit de décembre, nos plans étaient établis, notre volonté affichée. A une heure de marche rapide nous attendait le minuscule paradis de Santa Maria a Cetrella, un ermitage accroché aux rocs et peut-être élevé sur un temple grec ou atlante, enfin, une curiosité spirituelle et un idéal de grande bellezza purement capriote.

Nos cœurs en étaient chavirés, notre patience réduite à un mince ruban claquant dans l'air frisquet de ce midi vaguement réchauffé par les feux distingués d'un soleil avare.

Résigné à affronter une vie mondaine par la faute de parents déterminés à créer des liens avec les gens du cru, Fils dernier commença par bouder ferme pendant le repas servi dans une bruyante trattoria d'Anacapri.

Arturo et Lena venaient de prendre place aussi emmitouflés que si Capri avait été subitement échangé contre une île des Orcades, bonnets enfoncés jusqu'aux sourcils, manteaux épais, écharpes tricotées avec amour, rien ne manquait pour susciter notre amusement.

 « Vous n'avez pas froid ? Même le jeune homme qui nous arrive d'Afrique ?

Ces Français ! toujours étonnants, mais nous sommes si contents de cette chiacchierata, quel dommage que notre petite fasse déjà sa sieste(à ces mots, Fils dernier rayonna), oui c'est joli ce mot, cela sonne comme une musique et cela va bien à la conversation entre amis »

« Alors, caquetons ensemble ! «  dis-je en envoyant des regards éloquents à Fils dernier dont l'air distant renforce le climat froid même devant les montagnes de pizzas fumantes amoncelées sur les tables d'une trattoria surchauffée.

Peut-être une mauvaise nouvelle ? Ou une absence de nouvelle ? Qu'importe, la discrétion la plus élémentaire, apanage des parents bienveillants, m'écarte de toute investigation ...

Seule l'intuition silencieuse dictera ma conduite. Avant tout, faire comme si nous vivions heureux et placides dans le meilleur des mondes. Rien ne saurait être plus facile à Capri où la vie se donne à l'extraordinaire, l'impromptu, l'insaisissable ...

Le caquetage débute sur les exploits de la petite fille et Fils dernier admet que les jeunes enfants ne le passionnaient guère, nos amis de sourire avec gentillesse, avant d'évoquer le temps où la vie de famille n'était qu'une idée lointaine … Confus, Fils dernier fait un effort et raconte quelques anecdotes dans son italien si parfait que les convives des tables voisines en cessent leur vacarme joyeux pour suivre les aventures de ce jeune homme qui avait manqué être croqué par des crocodiles avant de fuir une révolution dans une ville envahie par les fauves chaque soir, et de camper à la belle étoile sur le belvédère des effrayantes chutes de Victoria.

Les compliments éclatent et on nous offre le dessert, et je vois le moment où de splendides jeunes personnes vont oser se jeter au cou du héros.

Sensible à l'approbation générale, Fils dernier s'adoucit, se déride, et nous quittons l'humble restaurant entourés par un bourdonnement flatteur.

« C'est en face, au bout de l'allée, et derrière la caserne des Carabiniers, cette Villa construite pour un excentrique d'autrefois, un rêve, mais il fait un peu frais à l'intérieur ..  » ai-je la sincérité d'avouer in extremis à nos amis trop confiants...

Arturo et sa charmante moitié poussent d'abord des cris d'admiration en découvrant de près cette Villa où nous avons élus domicile en nous imaginant que l'hiver n'existait pas à Capri.

Deux secondes plus tard, installés sur un canapé blanc comme neige, assorti à l'atmosphère glaciale, nos malheureux visiteurs serrés l'un contre l'autre acceptent avec un immense soulagement notre café tiède., Je suis éperdue de confusion, comment les réchauffer ?

 Arturo ne quitte pas son bonnet et la frileuse Lena se recroqueville sous un plaid miraculeusement déniché par Fils dernier soudainement transformé en maître de maison compatissant.

Un incident diplomatique d'une extrême gravité nous menacerait- il ?

L'homme- Mari retrouve ses esprits et active le souffleur, j'ouvre une boîte de calissons et supplie les pauvres époux gelés de goûter à ces délices de Provence ramenés en leur honneur et assez riches en sucre pour les sauver du froid gâchant le raffinement capriote de notre romantique salon.

Fils dernier se bat contre les humeurs de la cafetière et remplit les tasses d'un liquide presque chaud qui nous sauve de justesse d'un désastre complet.

Amadeo prend le parti d'en rire, et Lena ôte son écharpe en se répandant en compliments sur l'excellence des « bonbons » et l'harmonie parfaite de la pièce au plafond creusé d'arcades selon la règle d'or du vrai  « stile caprese ». 

»Mais, ajoute-t-elle courtoisement, la prochaine fois, si vous avez encore envie de venir en hiver, vous êtes certainement les seuls Français sur l'île, je vous conseillerais de louer une maison avec une cheminée ! la vôtre a été emmurée, regardez, quel dommage ! heureusement, les propriétaires n'ont pas enlevé les gravures d'origine. Que c'est joli ces vedute de l'île, je parierais qu'elles n'ont pas bougées de place depuis la première décoration du salon, c'est rare vous savez !

Les tableaux aussi semblent anciens, mais, là, si j'ai bonne vue, vous me permettez de m'approcher ? Oui, regarde Amadeo, comme c'est bizarre, sur celui du fond, dans la tourelle, on dirait votre fils aîné en plus âgé, et avec une barbe.

Je connais cet endroit, toi aussi Arturo, tu ne l'aimes pas ce chemin perdu, on croirait un refuge de brigands .Ah ! j'y pense, ce beau Cavalière qui ressemble tant à votre Théodore habite une maison qui me fait peur, je suis passée devant une fois ou deux, mais vite ! elle est cachée de l'autre côté de du jardin de la reine de Suède, et on murmure qu'elle serait encore habitée par les fantômes d'une Villa où Auguste aimait se réfugier l'hiver.

Une villa bien à l'abri des tempêtes dans la vallée de Caprile, aujourd'hui disparue, sans doute pillée, ou effondrée, comme la villa Gradola, au-dessous de Damecuta.

Vous comprenez ,cara amica, nous sommes au pays des Sirènes, nous adorons les mythes et les légendes.. Nous aussi à Capri nous avons des maisons hantées...Amadeo en sait plus que moi. »

Amadeo se lève, scrute le tableau, le décroche, me dévisage, pose l'humble œuvre d'art sur un fauteuil, et exprime le souhait d'une dernière tasse de café.

Autour de lui, le silence se fige..Lena est gênée et je crains qu'elle ne hâte leur départ. Quel impair venons- nous de commettre en toute ingénuité ?

Grâce au Ciel, l'Homme- Mari, cafetière en main, fracasse l'atmosphère tendue d'une simple question :

«  Cette baraque, hantée ou pas, nous plaît terriblement, à votre avis, a-t-elle une chance de se vendre dans l'avenir, en direct, je veux dire, sans le représentant très sulfureux de l'invisible propriétaire ? Une maison peuplée de fantômes, franchement qui en veut ? D'autant plus que l'endroit est inconstructible, isolé, la vue sur la mer des plus réduites, l'escalier montant Piazza Caprile raide à se tordre les chevilles pour acheter son pain quotidien, donc le prix clamé haut et fort ne se justifie pas, je devine maintenant une tentative d'intimidation, pire d'escroquerie.

Vous qui êtes honnête, intègre, et qui connaissez la réalité de Capri, qu'en pensez-vous ?

Arturo est certainement honnête et intègre, mais aussi prudent et doué d'une sagesse façonnée par une lignée remontant aux philosophes Grecs et aux mages d'Atlantide

Sa réponse sent l'influence de la Sybille au visage latin sans perdre sa sérénité grecque.

« Je ne pense pas, caro amico, parfois, il est judicieux de ne pas penser, vous êtes trop cartésien, Norman Douglas, l'écrivain anglais qui décida de se vouer corps et âme à Capri, se moquait de l'esprit trop lucide des Français. Vous croyez nous avoir délivré des Anglais, vous vous vantez d'avoir solidement établi les forts de défense après la bataille d'octobre mille huit cent huit, mais vous n'avez pas su franchir cette passerelle précipitée du Passietello qui vacille sur les gouffres à partir de la vallée de la Cetrella, sans y laisser un grand nombre de victimes, et vous n'avez toujours pas deviné que ce furent les Sirènes et autres magiciennes qui aidèrent votre petite armée à hisser ses canons sur nos rochers.

L'histoire de Capri oscille entre l'invisible et le visible, le surnaturel et la lucidité, les accidents les plus insensés ont modelé nos destinées de génération à génération, les attaques des pirates, les constructions romaines, les vacances d'Auguste et de sa cour sur les falaises, les colères de Tibère, les feux impitoyables du Vésuve, les folies de Sainte Séraphine liquéfiée dans l'amour divin, la peste amenée par l'amour d'un fiancé, et la lâcheté des moines de la Chartreuse, l'invasion anglaise, la domination française, la vogue de la Grotte Bleue et les délires des exilés, les fêtes absurdes, les rochers déchirés pour les plaisirs des heureux du monde.

Pourtant, l'île reste immuable, perdue dans ses brumes, indifférente à ce vacarme qu'elle dédaigne ! regardez- nous, souffrant pendant des siècles d'une terrible pauvreté puis couronnés d'une réputation souvent trompeuse de prospérité et de richesse jusqu'aux confins de la terre, sommes- nous si différents ? D'abord héritiers d'Ulysse aux mille tours dans son sac, puis descendants des marins habiles qui se signaient devant la Madone des Mariniers avant de s'en aller pêcher le corail, petits-enfants des pêcheurs qui nageaient avec les Dauphins, nos frères au langage inventé par le bon Nérée, père de Galatée et de Thétis, nous les îliens nés depuis des siècles sur ce rocher surgi de l'Atlantide, qui nous connait vraiment ?

Notre île échappera toujours à ceux qui ne voient que l'apparence des choses …

Vous nous plaisez, cari amici, parce que dés le premier jour, vous avez voulu lever le voile de la réalité, depuis le début, vous errez dans une autre dimension, vous cherchez Capri là où Capri n'est plus qu'un souvenir pour le commun des mortels, mais vous voyez la Capri qui ne changera jamais.

Moi, je vois un signe du destin dans votre envie d'acheter une maison décatie qui a décidé de vous attirer à la manière des Sirènes s'amusant à séduire de façon irrésistible leurs proies infortunées, ceux que ces créatures dévoraient après les avoir enlacés.

Je ne veux pas dire que vous subirez un pareil sort !

Prenez garde, malgré tout, soyez heureux que le prix élevé vous retienne de faire un acte inconsidéré ! reprenez vos esprits, vous louez une jolie maison qui vous rassure au point d'y endurer le manque de chauffage en hiver ; imaginez -vous maintenant au printemps, vous reposant de vos tracas dans le jardin parfumé, loin de vos obligations, de vos soucis, loin du continent.

Pourquoi vous entêter à acheter une vieille maison qui a dû autrefois porter malheur à un de vos ancêtres ?

Oui, je dis bien, un ancêtre, un parent de la cara amica, cet homme barbu et distingué aux yeux si clairs, vous le voyez, Théodore est son portrait vivant.

C'était un homme dont l'île a conservé la mémoire, et votre fils ranime cette vision avec tant de vérité que beaucoup de gens le saluent comme s'il vivait encore. Paroles obscures, je sais, vous pouvez me prendre pour un fou …

Mais, patientez, si cette maison vous veut, elle trouvera un moyen.

Combien de jours restez -vous sur l'île ? »

Ce discours naviguant aux limites de l'insensé sur une sagesse trompeuse a eu le don de réveiller la mauvaise humeur de Fils dernier.

Je parviens à dissimuler un malaise involontaire en proposant un dernier gâteau sec.

Par contre, l'Homme- Mari reste confiant et enthousiaste : ayant à peine saisi le quart du message particulièrement tortueux de notre ami, il ne souffre d'aucun désarroi mental.

Mais Lena, un peu gênée par les élucubrations de poète de son époux, saute en l'air sur son sofa ! Son portable vient de l'avertir d'une tempête imminente, elle doit courir à la maternelle et attraper avec sa fille le bus qui les mènera à grande allure au dessus des gouffres vers leur quartier paisible du Palais de la mer, villégiature antique en miettes à l'abri des falaises.

Amadeo apprend avec soulagement que nos impérieuses obligations nous feront traverser le golfe le surlendemain, Noël ne se passera pas à Capri mais dans notre campagne humide, et c'est promis, nous reviendrons au printemps.

Toutefois, une promenade vers le Fortinio del Pino nous tente afin de finir en beauté notre escapade insulaire d'hiver, ou, je le chuchote, une petite ascension vers l'ermitage vertigineux de la Cetrella …

La riposte d'Arturo claque comme un appel du destin :

« Non, cara amica, jamais, ce serait un sacrilège, laissez l'ermitage dormir jusqu'au printemps, ne dérangez -pas l'invisible, la Cetrella, c'est le cœur de Capri, un endroit qui fut un temple, et qui abrite toujours une porte entre deux mondes qui palpitent ensemble sur ce promontoire. Attendez le printemps, l'herbe sera verte et épaisse, les fleurs jailliront à miracle, et si vous écoutez la musique de la brise, vous y devinerez le chant de la Cetrella, l'oiseau du temple ancien. »

« L'oiseau des ruines, dis-je, je l'avais deviné, celui qui change les destinées,.. »

Arturo n'a pas le temps de m'en dire davantage sur ce mystérieux oiseau, Léna s'interpose sur le ton pratique d'un guide habitué à calmer les élans des voyageurs imprudents :

« Pour le Fortinio del Pino, c'est facile, partez du Faro, empruntez la voie romaine et marchez dans le sous-bois, ensuite cheminez vers la mer, ne vous quittez pas, les pierres glissent, le vent souffle avec rage en cette saison, vous contemplerez un paysage de désolation; le Fortinio est vide et pourtant empli de rumeurs, et les vagues hurlent en contre-bas … bon courage ! venez à l'atelier avant votre départ, et merci, mille grazie pour les bonbons, ah oui, des Calissons, délicieux !

A prestissimo ! »

Lena m'embrasse puis s'écrie, comme prise de remords : 

« il vous faut un trésor ! l'île est gorgé de trésors, vous en avez un caché entre deux pierres sur les rocs de la Cetrella, et aussi un autre du côté de cette maison abandonnée que vous aimez à la folie.

Cara amica, trouvez un trésor ! demandez aux Sirènes de vous aider ; et surtout faites- attention à ne pas vous casser une jambe sur le sentier des forts... »

La porte se referme dans un coup de vent, Fils dernier se ressert une dixième tasse de café avant de résumer la situation :

« Giulia nous prie d'être chez ses parents à la tombée de la nuit, nous avons deux heures pour nous casser une jambe entre le Faro et le Fortinio del Pino. Si le bus marche en cette saison, avec un peu de chance nous respirerons d'ici trente minutes, au bord d'un gouffre,( bien sûr peuplé de Sirènes ravies de nous dévorer pour leur goûter) le fameux vent des boulets envoyés autrefois par nos ancêtres les envahisseurs français, andiamo ? »

« Andiamo ! »

En hiver, les bus de Capri vont à un train de sénateur, mais cette fois, Fils dernier a eu l'intuition géniale du bon horaire, et nous nous engouffrons tous trois dans un engin vide mené à une allure nerveuse par un conducteur revêche.

Que diable ces Français vont-ils faire au Faro ?

La route prend le visage d'une descente de bout de l'univers, jardins en friche, maisons aux volets clos, murets aux plantes mouillées de pluie, et la mer furieuse, rageuse, bondissante et retentissante, divinité exigeant ses proies sous le ciel de nacre luisant d'éclairs sinistres.

Nous sommes certainement les seuls aujourd'hui à descendre vers la crique gonflée de vagues hystériques du Faro, ce gâteau géant, marbré de rose et blanc, paisiblement dressé contre les falaises, le phare imperturbable et guilleret, sauvegarde des marins et fierté d'Anacapri.

Le bus nous dépose sur une placette giflée par les vents, quelques marches plus bas, une pancarte nous rassure, le sentier des forts est une promenade facile, ouverte à tous, mais peut-être pas en décembre, quand l'île semble un chat sauvage et la mer un bouillon de sorcières en furie.

Aucun de nous trois ne veut avouer une angoisse confuse...

Tant pis ! Prouvons aux divinités de sortie en cet après-midi d'orage que rien ne fait reculer trois Français sur le sentier du Fortinio del Pino !

« Eh bien, dépêchez- vous ! »dis-je, un peu tremblante, en désignant le bosquet de pins ourlé de genêts qui constitue la première étape vers l'inconnu.

La sensation de remonter le cours des âges devient tangible au fur et à mesure que nous cheminons le dos courbé sur des pierres émouvantes d'usure séculaire. Les pins blottis les uns contre les autres forment une ligne de défense qui retrempe nos âmes ! Allons ! Ce n'était donc que cela le terrifiant sentier ? Hélas ! En débouchant de cet abri naturel, nous entrons de plein fouet dans un paysage de vestiges immémoriaux, de maquis épineux épousant le vertige d'une antique voie à pic sur les découpes d'une  immense envolée de rocs  taillés par l'épée des Titans.

Comme nous sommes à des années- lumière du mythe de Capri, île des plaisirs et du luxe facile, voici la rudesse tragique de la nature lâchée …

ce monticule, là-bas, cet amas de gros cailloux s'écroulant sur un précipice, serait-ce le Fort ?

« Nous n'y parviendrons jamais vivants ! »

Mais, impavides, Fils dernier et l'Homme- Mari plongent au-dessous du sentier, et s'évanouissent purement et simplement, l'épouvante m'envahit, je pousse un cri, ils sont perdus !

Non ! ils viennent juste de découvrir un escalier si abrupt qu'il paraît atteindre l'entrée d'une grotte sous-marine, et sauvés des eaux, devisent aimablement de l'opportunité de pousser l'exploration au niveau des lames déferlantes.

Une gerbe d'écume leur ôte heureusement cette idée saugrenue de la tête, j'assiste à leur lente remontée en priant la Madone, et soupire de joie en les retrouvant trempés, mais sauvés des méchancetés de Poséidon ou des Sirènes.

« Le fort est de ce côté, cette espèce de cabane sans doute, une vraie hutte de berger, il faut nous hâter, l'orage nous poursuit, c'est inquiétant, je ne sais même pas si nous aurons le temps de revenir au Faro. »L'Homme- Mari joue au désinvolte mais ses regards le trahissent. Nous voici otages de la tempête approchant au triple galop sous le ciel livide.

Je n'ai aucune envie de revenir vers le Faro, et soudain les mots du chauffeur de taxi tintent dans ma mémoire, la via Canula ! Si nous escaladons le sentier plus haut, nous la trouverons bientôt, et la civilisation, c'est à dire la route empruntée par le sauveur de Fils dernier.

« Allons au Fort, et soyons fiers de le visiter, cela prouve notre courage et nous serons admirés, à condition d'en revenir vivants, et puis filons par la voie Canula, la route serait au-dessus, la bus finira bien par passer, sinon, nous rentrerons à pied mais sans risquer tomber dans ce gouffre, je vous en prie, ne tardons plus ! »

L'Homme- Mari insiste pour capter l'image sublime de la mer bleu pâle claquant à grand fracas contre les rochers éclairés de fauves lueurs. Fils dernier exige de grimper sur les anciens remparts et s'amuse à défier l'horizon, mon cœur se serre et le vertige m'interdit d'avancer.

Je me réfugie sous le couvert d'un sous-bois et tente de reprendre des forces.

Au moins, aucun fantôme trouble-fête coiffé d'un Panama ou d'un feutre verdi ne viendra me surprendre dans ce déchaînement du ciel et des eaux.

« Madame, vous perdez votre temps à courir sous l'orage quand nous vous attendions à la Cetrella, je suis très déçu, mais vous redonne rendez-vous au printemps, la semaine des Rameaux, n'oubliez pas, vous m'avez blessé mais je vous pardonne, que puis-je faire d'autre ? Vous m'avez tant pardonné, maintenant, c'est à moi de vous imiter .Une condition : venez seule, votre escorte me fatigue, elle n'appartient pas à notre vie antérieure, à bientôt, et ne me décevez plus !  »

Je devine une silhouette juchée sur un rempart , au-dessus de ma tête, suis-je victime d'un mauvais rêve ? Je reconnais ce ton ombrageux, je reconnais cette silhouette, et la symphonie sinistre de l'orage naissant m'enlève à moi-même...

« La semaine des Rameaux à Santa Madona a Cetrella ... »

« Oui, tu disais ? »

« Nous allons réserver la maison pour la semaine des Rameaux, le climat sera doux et qui sait ce qui peut arriver... Mon Dieu ! La nuit déjà ! Giulia et ses parents vont s'imaginer que nous avons sombré au fond de la mer !  Henry, as-tu conservé le numéro du taxi dont le chauffeur habitait via Canula ?»

Un rire sardonique retentit de la « Cala »où s'entrechoquent des vagues  ivres de colère .L'étroite crique résonne  et envoie des clameurs déchirantes comme si un drame odieux s'y préparait. Fuyons !

 Ce soir, Capri revêt son habit de grande tragédienne sur le théâtre des Sirènes rendues  à l'acre senteur marine....

A bientôt ! à Capri, au printemps pour la suite de ce roman,

Lady Alix

 ou Nathalie-Alix de La Panouse

  Les personnages de ce" Roman à Capri" sont inspirés de la réalité tout en restant  imaginaires.



Sous un ciel d'orage, le Faro vu du Fortinio del Pino, Anacapri
Crédit photo Vincent de La Panouse



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