vendredi 12 mai 2023

Trésors inattendus à Naples: Chap XXVIII "La maison ensorcelée"



 Chapitre XXIII de « La maison ensorcelée" Roman à Capri

Chasse au trésor à Naples de Santa Chiara à la via Chiaia

Nous étions à Naples, dans l'effervescence prodigieuse de la piazza del Gesu Nuovo, le soir se faufilait entre les toits des palais, le ciel perdait son bleu et se vêtait de taffetas argenté, les cafés se peuplaient et nos amis, à plusieurs rues de là, s'inquiétaient de notre sort.

Nous tremblions de fatigue nerveuse à l'issue de l'étrange entrevue avec un notaire désinvolte, et sûr de son importance dans le monde enchanteur de la Campanie ?

Nous étions à Naples, et en retard sur notre second rendez-vous via Chiaia, ce qui n'a aucune espèce d'importance dans cette ville que le temps ne marque jamais. Nous étions en retard d'une heure ou peut-être de deux ! Mais Simonetta nous pardonnait de toute cette radieuse courtoisie chevillée au corps et se reflétant à l'âme, ce savoir-vivre respirant l'air du temps qui définit l'élégance innée à la Napolitaine.

« Va bene, carissimi, reposez- vous un peu, et venez me prendre d'ici une heure via Chiaia, puis mon ami nous rejoindra Place des Martyrs, et ensuite nous irons dans un endroit calme, familial, idéal pour des Français qui ne sont pas habitués comme nous au rythme de notre ville, à ses caprices, à ses ivresses, à ses chansons. Une soirée tranquille avec du bon vin, juste ce qui convient pour vous remettre de vos émotions chez ce notaire qui ne me dit rien de bon … allora ?

A prestissimo !  Attention tout de même si vous venez en taxi, je crois que la via di Toledo est bloquée par une manifestation, cela vous amusera, vous allez vous croire dans votre pays...»

Nous sommes à Naples et l'Homme -Mari demande grâce en regardant la masse énervée de promeneurs gesticulants et sautillants sur les pavés éclaboussés de reflets de soleil couchant. Heureusement pour lui, notre refuge Napolitain, ce vénérable hôtel à la résonnance d'un monastère, se dissimule au bout d'une ruelle en face du marbre blanc de Santa Chiara.

C'est l'affaire de quelques pas bousculés, et la sérénité la plus étonnante nous envahit.

Mais, je n'accompagne pas mon cher époux dans notre antique palais aussi pétrifié que les vies antérieures qui s'y sont jadis succédées. J'ai une aventure absurde à tenter, et sur le vague prétexte d'inutiles souvenirs à acquérir à tout prix, je m'éclipse du côté du cloitre de Santa Chiara.

Voici une dizaine de séjours fugaces que j'emprunte cet itinéraire historique, or rien n'est plus aisé que de perdre la mémoire au sein des ruelles sinistres et splendides, précédant avec un faste noirci l'ampleur des cours princières mêlant statues de déesses et linge séchant du haut des galeries.

Pourquoi s'obliger à errer dans les musées ?

Ici, le musée est fait de murs de marbre, de puissants lions, de bizarres Tritons, de blasons colossaux, de façades sublimement décaties, et de regards clairs. Ce quartier de Santa Chiara abrite toujours le manoir des Muses aux beaux cheveux, aux belles mains, filles de Zeus et résidentes Napolitaines !

 Faisant fi des dictatures vertueuses, leurs douces voix ne sauraient mourir, leurs rires courent sur les escaliers pompeux, et c'est leur malice qui me guide vers un antre repoussant que son gardien bossu s'évertue à fermer.

Je me précipite, le gnome tordu lève un bras vengeur et me conspue, me repousse d'un flot de sa verve en dialecte , langage composé de mots saugrenus, de grimaces éloquentes et de gestes propres à assassiner ! J'insiste, j'avance, l'autre pousse un cri de malédiction, j'avance en esquissant le geste ancestral de tout Napolitain défiant la Jettatura, le gardien abaisse sa face labourée de profonds sillons.

Ce n'est plus un visage mais un champ labouré par les siècles, cette créature sortirait- elle de l'ultime chapitre du roman le plus terrible de Malaparte ? Ferait- elle partie des « Monstres », prisonniers de la Naples invisible, celle de l'antique théâtre enseveli, celle des étroits souterrains menant au lac bleu irréel qui baigne encore la cité engloutie, interdite aux voyageurs arrogants, mais mystérieusement proposée aux humbles aventureux et aux poètes ?

Cet aréopage de rêveurs se contente de descendre le fil du temps en croyant entendre le vague écho des applaudissements réservés par la plèbe à Néron, artiste peureux trop lâche pour oser réclamer l'approbation de Rome mais déclamant sans crainte ses vers enguirlandés dans l'antique cité d'une Sirène, créature plus apte à l'indulgence envers un chant, fut- il enroué, que le citoyen romain ordinaire. 

Je n'en suis pas encore là et supplie le monstre de me laisser entrer à la va-vite dans son antre  où dissimule certainement une porte occulte rejoignant les secrets de l'antique Naples.

Peu m'importe ! je ne désire qu'une chose : fourrager deux minutes dans une échoppe dont se détournent les touristes proprets et prudents qu'un peu de saine poussière des siècles épouvante...

Le monstre grommelle de plus belle en exagérant ses menaces en dialecte, je réplique en agitant les mains vers l'escalier aux marches disjointes qui s'engouffre dans je ne sais quel traquenard. L'autre sans prévenir, m'y pousse d'un coup sec, et je manque m'étaler de façon lamentable.

Pourtant, l'intention est bonne, si je saisis le discours accompagnant cette manœuvre barbare, On m'autorise à descendre aux Enfers, à condition que je jure d'en ramener un achat si possible conséquent.

Comment résister à une injonction aussi tentante ?

 J'attrape une rampe vacillante et entame mon odyssée dans une pénombre périlleuse. La première salle ne m'attire guère, j'y devine un amas de lithographies insipides, de jouets cassés, de dentelles jaunies, l'escalier se transforme en une volée de marches balancées dans le vide, l'air sent le moisi, le gnome derrière moi éclaire notre lente exploration du faisceau de sa torche électrique, va-t-il me pousser dans une cave et m'y enfermer vive ? Allons, je me défendrai bec et ongles !

La dernière salle est constellée de débris noirâtres, de paniers éclatés, de malles béantes, de murailles de tableaux troués.

Quel délice ! J'ai soudain l'ardeur d'un aventurier arpentant les mines du Roi Salomon au risque insignifiant d'y laisser sa vie ! ces gros sacs jonchant les lattes du parquet se gonfleraient- ils sous le poids de lettres d'amour de l'autre siècle ? Et ce miroir terni cerné de rubans d'or veillerait- il sur le sourire mutin de Lady Hamilton tordant ses cheveux de miel pour plaire à la reine autant qu'à Nelson ?

Q main fine joua- t-elle de cet éventail cassé dont les plis racontent comment Ariane fut sauvée du désespoir par le jeune et ardent Bacchus ? A quel col de princesse révolutionnaire et martyre fut arraché ce collier de gros grains de corail entrelacés de gouttes d'or, au moment de monter au supplice décidé par le roi Ferdinand et sa féroce épouse Marie-Caroline ?

Quels collectionneurs sans doute criblés de dettes abandonnèrent- ils ces toiles empilées sur de la paille ? Je suis déjà en transes, ma main tremble, j'écarte mon cerbère et remue ces vestiges, fouille à l'aveugle et me remet aux sortilèges du hasard.

Une bague sertie d'une grosse émeraude aux poétiques  brisures, montée sur de minuscules feuilles de lauriers, peut-être un bijou glané à Pompéi par un archéologue amateur, un camée de lave portant l'austère profil d'un patricien, un ange de marbre au nez cassé, j'empile ces souvenirs d'une époque révolue, et me prépare à les sauver de la nuit.

Pourtant, ce ne sont là que miettes de la destinée ; je renverse une pile de tableaux criant la misère par leurs trous, honteux des insectes collés sur leurs toiles aux couleurs fanées, pauvres œuvres vantant autrefois de nobles amours divins, d'héroïques martyres ensanglantées, de solides Salomé , des plantureuses Judith aux bras robustes de ménagères Napolitaines, présentant la tête de Jean-Baptiste ou d'Holopherne sur un plat d'argent à l'instar d'une succulente pâtisserie...

Je rejette cet opéra ensanglanté et m'obstine à percer les mystères du tas de paille emmaillotant ce musée de la destruction.

Ma quête vire au désastre, mes doigts se salissent et j'éternue de façon pitoyable sous l'oeil impitoyable de mon féroce gardien, ictus aux lèvres et poignard certainement en poche. Un dernier effort, la paille glisse, et je vois un turban sur un front hautain, en dessous un regard en extase, une bouche demi-ouverte, une mine peu amène, une cascade de perles sur une robe d'un jaune aussi frais qu'un rayon matinal. C'est une tête de jeune femme déterminée et impavide, belle et puissante, affichant un luxe altier et dépouillé ; cette surprenante apparition affirme haut et clair la revendication d'un esprit entier et la reconnaissance d'un rang élevé ...

 Princesse ombrageuse ou Sibylle contemplant l'autre monde ? Une guerrière au corsage emperlé !

La toile serait quasi intacte à priori, je sens des trous, devine des usures, comment en serait-il autrement ? Comment en juger dans cette pénombre ? Je palpe ce portrait ni petit ni trop grand, prêt à être mis dans un sac de voyage contre un supplément à l'aéroport, le frisson du chasseur de belles œuvres m'empêche de réfléchir ; de toute évidence, ce tableau m'a choisie, nous partirons ensemble .

J'oubliais l'essentiel ! le cerbère grogne dans mon dos, et marmonne un chiffre, je ne comprends rien, les chiffres et moi avons toujours été incompatibles, d'autant plus en dialecte napolitain.

« De l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace », et je propose le prix le plus décent pour une croûte à illuminer et débarbouiller. La valeur ?

Aucune, qui se toquerait à part moi d'une femme à turban et regard furibond oubliée depuis plusieurs siècles dans une cave datant de la même époque?

Enfin, il serait bien extraordinaire de prétendre avoir reçu l'appel d'un disciple du Caravage, de Guido Reni, Francesco Solimena, ou... « Artemisia Gentileschi, prezzo altissimo, signora bellissima. »

Ce n'est plus la voix rauque et inaudible de mon Cerbère, un homme vient de dévaler l'escalier, un homme à la maturité assurée, à l'autorité affirmée. Je suis furieuse et brandis le chef d'oeuvre présumé en protestant de toutes mes forces, j'exige que l'on me laisse examiner ce tableau décati sous ce qui reste de lumière en pleine rue.

« Va bene ! » Nous remontons dans un silence de très mauvais augure vers la civilisation et surtout les Carabiniers : la caserne est à deux pas, je hurlerai si l'on s'en prend à mon sac, à ma personne et à ce tableau qui m'appartiendra d'ici deux minutes dès que j'aurai prouvé son état affligeant à ces vendeurs de pacotille assoiffés d'argent facile.

La belle tête coiffée de son beau turban me contemple de son air revêche, j'avise une trace suspecte, un ignoble « repeint », et pointe un doigt vengeur dessus. Comment payer cher quelque chose qui me coûtera une fortune ? Le Cerbère approuve en ricanant, et l'autre fronce des sourcils de sauvage. 

J'ai vu ce visage quelque part ou dans une autre vie :

« Mon Dieu, dis-je stupéfaite, vous ressemblez à Salvator Rosa, vous savez, son portrait à la mine ... » Je n'ose dire « farouche », d'ailleurs, j'ignore ce mot en italien, mais l'autre a compris et se rengorge d'importance. Pour me récompenser de connaître l'enfant chéri et le cavalier maudit de Naples, le voilà qui me parle en français.

« Vous aimez Salvator Rosa ? »

J'avoue que je lui voue un culte naïf grâce au chapitre écrit par Alexandre Dumas dans son épais livre sur Naples, le tournoyant et voluptueux «  Corricolo », Naples et Dumas, un élan d'amour immédiat et à jamais ! Naples, sa ville de cœur, le miroir de son esprit libre, la demeure de son âme bouillonnante.

« Que voulez faire de ce tableau ? »

« Le nettoyer, l'aimer, le mettre à la place d'honneur dans ma vieille maison en France. »

« Et s'il avait une grande valeur ? « 

« Alors, je le vendrai pour nous aider à acheter ma maison de Capri, une maison qui m'attend depuis des siècles, une histoire trop incroyable pour être crue. »

« Vous aimez Capri ? Pourquoi ? »

« Parce que c'est chez moi. «  dis-je d'un ton franc tout en me sentant ridicule et arrogante. 

Puis, lasse de raconter ma vie, je désigne mon sac et explique que je dispose pas d'argent liquide.

A Naples, ce détail revêt une importance inouïe … J'ai perdu la partie, et une tristesse absurde me gâche ce beau soir de printemps dans la ville la plus passionnante et passionnée de ce fol univers.

« Ce portrait est mystérieux, par contre, le nom de l'artiste est illustre, vous l'avez compris, dit le sosie de« Salvator Rosa » ; en réalité, je ne mentirais pas à une dame comme vous. Votre imagination vous a trompée, vous n'avez rien découvert, ce portrait était caché dans cet endroit où aucun voleur n'aurait eu l'idée de venir s'en emparer. Personne avant vous n'a été attiré vers notre belle inconnue au turban... J'y vois un signe, je pense que je suis dans l'obligation de suivre l'ordre du destin, je suppose que vous logez au Palazzo à côté de l'église de San Giovanni Maggiore ?

Oui, je m'en doutais, une dame avec tant d'allure ! Je vous enverrai un mot ce soir ou demain tôt. Ciao ! »

Là-dessus, la réincarnation en chair et en os du peintre le plus tourmenté de Naples s'incline et file à l'anglaise, comme happé par les murs du couvent de Santa Chiara.

Je suis seule, sans mon précieux tableau d'un présumé illustre peintre Romain ou Napolitain ou parfaitement obscur,  l'homme me l'a enlevé d'une main brutale ! je suis seule et en proie à un vertige romantique: seule devant les murs du couvent ou du cloître de Santa Chiara, à l'angle d'une ruelle fréquentée par des Napolitains paisibles promenant leurs chiens et devisant avec leurs aimables voisins. Le quartier agité s'agite à peine plus loin, et l'Homme- Mari doit me croire perdue ou ruinée, ou les deux. Je reviens sur mes pas, j'ai le sentiment d'avoir traversé les siècles et d'en ramener un vestige. 

Or, quelque chose m'encombre et me pèse ...

Mes mains se sont refermées sur un objet qui me blesse, du sang jaillit d'une éraflure, aurais- je manié un clou en palpant la toile de ce prétendu maître illustre ? Hélas ! Sans le vouloir, j'ai emporté la bague de Pompéi qui me griffe de ses feuilles d'or terni... Je ne suis qu'une étourdie mais à coup sûr, le Salvator Rosa de la brocante va envoyer une armée de Carabiniers à mes trousses, sauf si je repasse ce soir et glisse sous sa porte une enveloppe contenant quelques billets.

Vais-je confier cet épisode peu glorieux à l'Homme- Mari ? Combien peut valoir une émeraude antique, fendue et meurtrie ? Mais une émeraude qui défia le Vésuve, qui servit de talisman à une Patricienne en villégiature juste avant le drame, un bijou qui peut-être a le pouvoir de passer les murailles, les siècles, ou d'inciter son possesseur à y voir enfin clair en son âme …

Contrite, perplexe, et prudente, je précipite l'Homme- Mari dans un taxi et nous cinglons fièrement à travers les épiques encombrements napolitains vers le Palazzo Reale; l'heure est terriblement peu propice à une déambulation romanesque, la frénésie bat son plein, on danse, on chante, on s'étreint, on s'étouffe sur les trottoirs, sur la chaussée, et on sort des voitures pour entamer une discussion interminable sans la moindre considération pour les malheureux acharnés à se frayer un passage...

Toutefois, l'énervement a rarement atteint une intensité aussi fracassante, que se passe-t-il ? Notre chauffeur en perd sa désinvolture ancestrale:

 « Sciopero ! Comme chez vous,  une manifestation, la via di Toledo est fermée, il faut aller à pied maintenant, merci, oui, je garde tout, grazie mille, ciao ! »

Nous battons le pavé Napolitain avec un nouvel entrain, l'Homme- Mari s'est reposé dans notre chambre écartée du vacarme, j'ai vécu une aventure délirante et il n'y a rien de mieux pour se sentir de bonne humeur. Un notaire a promis que nous serions tous mêlés à la même sombre affaire.

 N'y pensons- plus ! Vivons, et hâtons- nous d'aller via Chiaia, cet ancien cœur des mondanités aimables du Grand Tour. A son orée, une figure de proue : le Gran Café Gambrinus, halte obligée des écrivains cosmopolites, des amoureux affamés de gâteaux roses et de glaces vertes, des bavards épris de raffinement désuet, des gourmets, des délicats, et tous les vaillants paresseux du monde entier... 

Le Gambrinus aux salons feutrés, aux tableaux romantiques, aux tasses précieuses et aux serveurs en grande tenue...Voici la via Chiaia bordée de boutiques sentant le bon ton légèrement excentrique du Tout Naples, voici une cour classique, sombre et discrète sous ses cascades de feuillage, l'éclat violet des améthystes serties sur du bronze, la douceur des calcédoines, le rouge de feu des cornalines, et voici Simonetta étendant un sautoir façonné de ses mains pour mieux en parer une élégante extasiée et impatiente sous le regard d'une blonde amie (encore une blondeur à l'italienne) en tailleur rose, si impeccable, si soignée que j'en reste intimidée sur le seuil.

La ravissante jeune nièce qui aide sa tante à la boutique pousse un cri joyeux très flatteur :

 « I amici francesi ! » .

Simonetta, blonde fauve à la Napolitaine, svelte à miracle dans un fourreau noir, étincelante de fils d'or, nous aperçoit, nous serre sur son cœur, exige mon avis sur le sautoir, fait jaillir des bijoux à la mode de Pompéi d'écrins de velours, et vante mon goût exquis, mon italien remarquable pour une Française, notre incroyable et étonnante amitié, et ma passion saugrenue pour Capri !

 Alors que Naples tout de même, comment comparer ce rocher de Capri aux prestiges de Naples ?

 Tout le monde approuve et on nous jette un regard sévère !

 La ravissante nièce déploie ses grâces de brune potelée, sa chevelure lustrée et sa robe verte, les belles clientes me sourient en observant ma robe froissée avec un certain contentement (le chic français n'est plus ce qu'il était !) mais que choisir parmi ces colliers de bronze et de cristal, ces bracelets étincelants d'aigues-marines dont les frères firent la fierté des Grecques, des Romaines, des comtesses du Grand- Tour ? Qu'arborer ce soir dans notre loge de famille, on donne « Rigoletto » au théâtre di San Carlo, c'est une affaire sérieuse, donnez- nous votre opinion !

 J'entre dans la danse, et l'Homme- Mari contemple cette scène de petites filles en récréation du fond d'un sofa de cuir rouge.

« Dio mio ! Che bello ! »

Hélas ! L'émeraude enlevée par étourderie à l'échoppe minable envoie un rayon vert d'une vivacité ensorcelée au beau milieu de cet amoncellement de bijoux ressuscitant des fastes révolus …

« C'est l'émeraude de Néron ! »

« Bien sûr que non, je l'ai trouvé par hasard dans une brocante sans importance, la pierre est cassée, la monture tordue... Je ne me suis même pas rendue compte que j'étais partie avec, il faut que je paye ce soir le brocanteur, je vais laisser une enveloppe sous sa porte, ou j'y courrai demain avant notre retour à Capri. Je vous le jure, cette bague n'a qu'une valeur de curiosité ... »

Une des clientes, la plus parfaite d'allure, me lance un coup d'oeil méfiant.

 « Je m'y connais en émeraude, la vôtre a une nuance extraordinaire. Cette monture ciselée, cette façon d'encercler la pierre dans un carcan d'or pur, cela prouve une extrême ancienneté ; on vous a vendu un bijou romain, et une pierre qui a traversé le temps en conservant sa beauté, vous avez beaucoup de chance ! Une bague qui date de l'époque d'Auguste !

 Si, si, nous avons une moins belle dans notre collection de famille. Je vous la montrerai, Simonetta va organiser cela, j'ai une maison à Capri, nous allons nous revoir, cette émeraude vous a choisie, c'est un signe, vous devez être une bonne personne, ou vous avez quelque chose à accomplir. ici.. »

L'Homme- Mari s'est levé et manifestement s'interroge sur le degré de folie de cette belle Napolitaine d'une jeunesse éternelle, pomponnée de la tête aux pieds.

Nous distribuons des « Ciao » , envoyons des baisers du bout des doigts, et Simonetta nous rassure, sa cliente, de tempérament curieux et mondain, a simplement envie de créer des liens avec les charmants Français que nous sommes.

  Mon émeraude , déplore-t-elle, ne scintille plus, c'était un hasard, d'ailleurs, ne serait-ce un cristal ou un bout de verre taillé ? Le verre n'était- il  des plus rares  à l'époque d'Auguste ? L'émeraude égyptienne était très prisée des magiciennes,, que souhaiter finalement ? 

"Cara amica, enferme cette bague dans une jolie boîte cette nuit, et ramène la vite demain à ton antiquaire. Crois- moi, il ne faut pas s'amuser avec les pierres trouvées en chemin, surtout pas à Naples. Les miennes sont choisies pour leurs vertus et propriétés apaisantes, sources d'inspiration et de bonheur, tu vois, la pierre rose, le quartz, elle guérit du mal d'amour, et celle que tu aimes tant , la belle améthyste violette, elle a le don de libérer l'imagination ! et l'aigue-marine  développe le pouvoir de création, ce sont des pierres douces, mais l'émeraude ... 

Non, ici, tu n'en verras jamais ! c'est trop dangereux , on ne sait jamais quelles tragédies, quelles aventures heureuses ou malheureuses sont déclenchées par cette pierre trop puissante.

 N'en parlons plus ! les pierres existent pour embellir nos heures sombres, ma vocation est née de cette certitude.

 Allons dîner : vous verrez, un restaurant calme et familial ! mon ami a retenu une table, nous avons juste le temps ...Alors ce notaire ? Pourquoi cette manie de Capri ? Et pourquoi vous entêtez- vous à dormir dans ce coin de Santa Chiara ? Une vielle légende raconte qu'il y aurait à l'angle d'une ruelle bordant le cloître, une cave ouvrant sur les siècles passés... 

Au moins ensemble ce soir, rions, mangeons, buvons ! et vous oublierez vos histoires de Capri et vos maudits fantômes,  Grecs, Romains, Napolitains et Capriotes !  »

A bientôt, pour la suite,

Nathalie-Alix de La Panouse

 ou Lady Alix


Décoration d'un salon du  célèbre Grand Café Gambrinus à Naples
Crédit photo Vincent de La Panouse




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