jeudi 15 juin 2023

Un trésor dans un sac ou discussion à Capri :"La Maison Ensorcelée" chap XXX


Roman à Capri: "La Maison Ensorcelée"

Chapitre XXX ou Conversation artistique à Capri:

Un cadeau encombrant

« Je ne comprends rien à cette histoire, rien du tout, ce tableau, ce portrait de femme avec son turban , d'où sort-il finalement ?

Et votre bague à la pierre verte, pourquoi vous aurait- elle porté malheur ?

Quelle invention napolitaine ! Ce magnifique Cavaliere n'a même pas eu la galanterie de vous la rendre ? Cela ne m'étonne pas d'un Napolitain, je vous avais prévenue, cara amica, il faut se méfier des Napolitains, surtout de ceux qui se prétendent les descendants des Grecs, tous des voleurs ces Grecs ! souvenez- vous du proverbe latin : « Je me méfie des Grecs et de leurs cadeaux .. . »

« Timeo Danaos et dona ferentes, dis-je d'un ton badin, je vous jure, caro Salvo, ce Cavaliere respirait la franchise, il incarnait un Naples romantique, vous avez trop de prévention, et cette bague, ne l'avais- je volée sans m'en rendre compte ?

« Ah ! Ce Cavaliere vous a séduite, vous l'excusez, vous lui pardonnez son affront ! dai ! Je me tais ! Vous aimez les Napolitains, quelle désillusion, comment pouvez-vous préférer les Napolitains aux gens de Capri ? »

Je proteste avec l'énergie de quelqu'un qui ment en toute innocence, et convainc de justesse Salvo que je n'aime rien tant que les gens de Capri, enfin d'Anacapri...

Salvo se calme sans en perdre sa superbe éloquence.

Nous conversons en paix, à l'heure de la Passeggiata vespérale en levant les mains, les bras, les yeux vers le ciel sur un banc de la minuscule place qui sert de balcon à la via Follicara.

Le flot de nos confidences volubiles prend sa source à l'ombre d'un arbre de Judée, à peine paré de fleurs mauves en ce printemps paresseux baigné d'averses fugaces.

«  Cara amica, ne m'en veuillez pas de ma méfiance, en réalité, j'avais peur que vous ne soyez bouleversée par ces Napolitains toujours prompts à raconter des histoires aux personnes naïves et aimables comme vous. Franchement, vos aventures me semblent extraordinaires !

Une brocante hantée du côté de Santa Chiara, une bague Romaine maudite, un tableau d'Artemisia Gentileschi dans de la paille, vous me déroutez tout de même un peu.

Il doit y avoir une explication à cet imbroglio....

Bravo pour citer le proverbe en latin, vous ne me surprenez pas, votre belle érudition me réconforte, voyez- vous, nous vivons à une époque d'intolérable barbarie. Je veux dire sur le continent bien davantage qu'à Capri ! vous le savez, notre île maintient l'ancien savoir-vivre, la courtoisie, l'amour de l'art, dès que vous arrivez en face, à Naples, à Sorrente, l'atmosphère change, vous n'êtes plus en famille, on vous piétine, on vous méprise ou pire, on vous ignore. et le bourg de Capri en souffre, nous ici, sur les montagnes d'Anacapri, nous luttons pour échapper à cette contagion, heureusement, les touristes sont paresseux, seuls les plus raffinés grimpent jusqu'à nous, sauf en été.

 Voyez- vous, même es Japonais qui sont déversés par bateaux entiers ont de trop petites jambes pour trotter jusqu'à nous, oui, bien sûr, je plaisante, rassurez- vous,

Juillet et août sont un moment infernal, Capri subit l'assaut des curieux qui la prennent pour un Zoo durant quelques heures, le temps de s'engouffrer dans le funiculaire, de boire un verre en se plaignant du tarif sur la piazzetta, s'ils y dénichent une chaise, de passer éberlués en foule via Camerelle en photographiant les boutiques de luxe et les Américains assis sur la terrasse du Quisisana, et le bateau les ramène à Naples, avec leur butin : un sac fabriqué en Chine sur lequel s'affiche le nom de Capri en bleu ! nous perdons notre île et nous la retrouvons, meurtrie, épuisée, abîmée, salie...

Puis nous nous réveillons un matin sous une brise fraîche, éblouis par l'éclat pur de la mer, nous sommes en septembre ! nous accueillons la fine fleur des voyageurs, ceux qui restent .

Ceux qui jettent l'ancre pour deux , trois, dix jours, et qui respirent les parfums des genêts épanouis sur les falaises.

C'est à cette époque que vous reviendrez, vous n'allez pas nous trahir pour vous perdre dans les musées de Naples,  et, encore une fois, donner vos bagues romaines aux premiers Signori qui vous ordonnent de vous dépouiller ?

Septembre et Octobre sont les mois des lentes promenades, des longues conversations le soir sur la terrasse, et des siestes à l'ombre des citronniers.

 Capri se donne à ses amoureux de l'automne, et se refuse à ces gens de l'été, les fortunés autant que les touristes d'un jour.

Les heureux du monde sont peut-être les pires, toujours en mouvement, toujours dédaigneux, cherchant en Capri ce qui existe ailleurs, ignorant sa simplicité, sa merveilleuse beauté, la jugeant selon des critères dérisoires et mesquins, ces gens arrogants qui se croient le sel de la terre, qui vous regardent de haut parce qu'ils sont allés partout à toute vitesse, ces gens qui s'imaginent être extraordinaires et qui affichent sans le savoir le goût et le manque d'intuition les plus ordinaires, eh bien, cara amica, vous êtes d'accord, ces pauvres gens souvent très riches d'argent et dénués de cœur, ils perdent leur temps si précieux en courant de Marina Grande aux bains privés hors de prix de Marina Picola, et se vantent ensuite d'avoir fait le tour d'une île qu'ils ne comprendront jamais ...

Bien ! J'ai confiance en votre sens de la beauté.

Capri est un souvenir vif de l'antiquité, un rocher de la lumière unissant l'harmonie à la majesté, la solitude spirituelle à la simplicité la plus humaine. Rien ne se peut comparer à nos belvédères avançant sur le vide absolu, à nos jardins d'orangers, à nos vergers de citronniers, à nos potagers si jolis mais surtout si utiles et indispensables, à notre amabilité compatissante et humaniste.

Les musées ?

Chez nous, ils sont gravés dans la roche, ils ont des ailes dans le ciel, ils flottent au creux de la mer de lait le soir, de cristal le matin, ils sont installés sous les voutes de nos grottes !

Et toutes nos belles filles sont des tableaux qui marchent sur les sentiers empierrés, ou vous sourient dans le bus !

J'y pense, je parle, je parle, et vous ne m'avez pas répondu, le portrait si ancien que son propriétaire ne voulait pas vous vendre, par quel miracle le possédez- vous ? »

Je n'ose avouer que seul Saint Janvier, l'auguste Patron de Naples habile à fabriquer le miracle annuel de son sang soudainement liquéfié en sa fiole ensorcelée, ( A condition que les Napolitains réunis en la cathédrale, le jour voué au prodige rituel, trépignent, hurlent, conspuent et menacent leur malheureux Saint pour l'en persuader) aurait sa petite idée sur l'apparition de la belle Dame au Turban à notre retour à l'hôtel.

« Dai ! Flavia et votre Homme-Mari comme vous dites, vont nous rejoindre d'ici quelques minutes, parla ! Je devine, le portrait était posé devant votre porte ? »

«  Presque, mais beaucoup plus surprenant ! en allumant la lumière du petit boudoir aménagé  au bas de l'escalier de notre chambre, j'ai vu tout de suite un gros paquet enveloppé de papier marron, un objet incongru dans ce décor raffiné, vraiment un cadeau qui sentait le souffre abandonné sur le sofa ! 

En m'approchant avec prudence, j'ai ressenti le désarroi que vous éprouvez en face de l'inexplicable : le gros paquet présentait le nom de famille de mon ancêtre, cet officier dont je vous ai raconté l'étrange destin à Capri, celui qui combattit les Anglais sous les ordres de Murat, écrit à l'ancienne sur une carte jaunie.

Un cadeau destiné à une personne vivant deux siècles plus tôt …

 J'en suis encore bouleversée ; en fait, je ne m'en remets pas ... »

Salvo se doute que je lui cache un détail des plus singuliers.

 Tout en surveillant à la fois l'étroite traversa par laquelle Flavia se hissera jusqu'à nous, et la descente raide qui verra l'Homme- Mari dégringoler sur notre banc, il continue ses déductions aidé par son robuste bon- sens et cette faculté de divination partagée par les gens d'Anacapri qui lisent en vos pensées et en connaissent plus long que vous sur vos aspirations confuses et vos obsessions mélancoliques.

« L'adresse du paquet, c'était bien sûr celle de la maison en ruines, au bout de la via Follicara, celle dont on n'aperçoit que le grand portail vert rouillé dans le coude du sentier, Celle dont vous seriez l'héritière si seulement vous étiez née cent cinquante ans plus tôt ... »

Percée à jour, dans cette dimension fantastique, je me sens devenir très pâle sous l'arbre aux fleurs violettes, un curieux spectacle qui amuse à peine Salvo soudain taciturne. Le voilà également troublé, il a perdu sans raison apparente sa superbe faconde et se referme dans une méditation si profonde que je n'ose lui demander si j'ai commis quelque impair involontaire.

« Qu'allez-vous faire de ce tableau ? » interroge-t-il abruptement.

Je soupire en contemplant le toit aux blancs créneaux de fantaisie de l'ancienne villa bâtie par l'amante du bon docteur Axel Munthe, cet admirable fou qui se prenait souvent pour la réincarnation d'Auguste ou de Tibère, voire des deux, et qui logea Henry James dans sa Villa San Michele ainsi qu'un fatras de princes, ducs et rois munis ou non de couronnes …

Son amour invétéré des animaux abandonnés le sauva de l'étroitesse du snobisme, et sa passion de soigner les plus démunis (autant que les mondains aux nerfs endoloris) lui interdit de se replier dans un superbe isolement, sous l'égide spirituelle du grand Sphinx de granit rose guettant l'aurore depuis sa loggia ouverte au vent et au soleil, et  en compagnie des « gens simples et bons « d'Anacapri.

Vais-je céder à la tentation d'invoquer cette ombre qui tint tant de place sur l'île ? 

Axel Munthe n'y incarna-t-il une sorte d'ange blanc, rival involontaire de Jacques Fersen, l'ange sombre de la Villa Lysis étincelante d'or et privée de l'immense passé accrochée comme une guirlande d'algues marines aux arcades de la villa San Michele ?

Lui qui manqua souvent de moyens afin de poursuivre contre vents et tempêtes son rêve d'habiter en sa maison d'Anacapri, aurait-il la bonté de m'inspirer une conduite intelligente ?

Le hasard m'a confié un tableau qui risque de me mener directement chez les Carabiniers si d'aventure on me soupçonne de l'avoir dérobé. Le paquet ne contenait bien sûr aucune facture, je ne dispose d'aucune preuve de ma bonne foi.

Peut-être suis-je tout simplement victime d'une odieuse manipulation, on m'accusera de recel, l'Homme-Mari engagera un avocat ruineux et nous perdrons nos économies, ce qui n' aucune importance, et notre réputation, ce qui nous tuera à petit-feu. 

 Peut-être serais- je interdite de séjour en Italie ! le transport d'oeuvres d'art est soumis à des lois très sévères, aucune personne douée du plus élémentaire bon sens n'écoutera mon histoire insensée de brocante hantée, et de paquet en retard de deux siècles.

Ou fuir ? Et que faire de ce chef d'oeuvre inconnu arborant la vigueur du trait de la plus célèbre femme peintre, et Napolitaine de cœur, du XVIIème siècle?

« Ce maudit portrait de femme que je cache depuis hier dans un sac et qui m'encombre et me pèse, en toute franchise, caro amico, serait-ce une copie vulgaire d'un tableau célèbre ? Vous adorez le musée de Capodimonte, votre fille me l'a confié, auriez- vous une idée ? J'ai vraiment peur d'être accusée de vol !  Mais, s'il s'agissait de ce que nous appelons en français une croûte, je prendrais  ce cadeau pour une plaisanterie, ou un charmant souvenir de Naples. 

Toutefois, cette peinture a quelque chose de saisissant, d'envoûtant, elle exprime une puissance suggérée mais bien réelle, voilà, cette femme du portrait est réelle, seul un grand maître est capable de donner ce sentiment de vie !»

Salvo approuve d'un signe de tête, ouvre son portable, et cherche un nom.

« Un de mes cousins a eu la chance de suivre les études de son goût à Florence ; il a consacré sa vie à l'art, au point de gagner peu à peu la réputation d'un bon expert en tableaux anciens, en particulier ceux de l'entourage du Caravage, il nous vante souvent le talent insolite de Salvatore Rosa,, mais celle qu'il met sur un piédestal, c'est votre Artemisia Gentileschi qui me déplaît au contraire par sa force si peu féminine, son manque de suavité, elle peint des femmes robustes, des matrones, des femmes- soldats ! pourtant, parfois, une de ses héroïnes émeut par sa grâce, je pense au tableau représentant Esther, majestueuse dans sa robe d'or, et épouvantée de sa propre hardiesse, s'évanouissant devant le roi Assuérus …

Vraiment, une bien belle femme émotive, les yeux fermés , toute pâle, comme vous en ce moment, et le roi est attendri, étonné, subjugué, il oublie sa cruauté dans son ravissement, il réalise à quel point il adore son épouse, cette belle créature victime de son audace, et pourtant si effarouchée...

Montrez- moi encore votre bella donna, et j'envoie subito presto sa photo à l'expert. Après, nous discuterons. Si ce tableau n'a aucun intérêt, vous serez déçue mais tranquille, et s'il vaut très cher, eh bien, qui vous empêche de dire que c'est un héritage ? Vous le vendrez en Italie, à Rome, à Florence, mon cousin sera votre mentor auprès des marchands d'Art, il fréquente les galeries qui attirent les clients déterminés à acheter les œuvres les plus rares. « 

Je n'ose demander à Salvo à combien se monte le nombre de ses cousins, tout en déployant ma gratitude sous la forme de paroles aussi fleuries que les maisons de pêcheurs encerclant la placette.

 Un appel retenti d'en bas, sous le regard très curieux d'une dame penchée sur le palier de l'escalier menant à sa porte en arcade, l'Homme-Mari s'évertue à saisir les aspects romantiques de la demeure d'une reine amoureuse et oubliée. Il est vrai que ce palais rougi par les feux du soleil couchant inspire une noble nostalgie, celle des amours envolées du haut de la terrasse où s'épanouissent dans la solitude de glorieuses gerbes de bougainvillées.

 L'âme de la reine se promène-t-elle sous la brise parmi ces pétales rouges et mauves ? Venue de la mer, une senteur humide se mêle aux carillons de Santa Sofia, j'ai la sensation absurde d'être sur un bateau entrant au port avec une gracieuse lassitude...En écho, la voix de Flavia me tire de mon songe éveillé :

«  Non ne posso piu ! »

Et notre la belle amie au noble visage grec nous raconte combien sa journée fut longue ! Heureusement, ce soir, elle a la joie de nous revoir en face de sa chapelle, celle vouée à la Madone de la Follicara; quel beau signe du destin, quelle belle intuition d'avoir choisi cet endroit précis afin de bavarder entre amis à l'orée de la nuit. La Madone en est très touchée elle aussi...

« Vous avez manqué le chapelet, il faudra nous rejoindre un soir, vous serez des nôtres vous qui croyez avoir déjà vécu dans la maison d'en bas, vous éprouverez une nouvelle force, un merveilleux apaisement, la Madone écoutera vos prières, elle accomplira vos vœux s'ils sont justes, si vous ne demandez rien en égoïste, si l'amour seul vous guide...Mais, je vous parle de vœux et j'en oublie le vôtre, alors, ce notaire ? Que voulait- il ? A quoi rimait son annonce ? Et que fait votre mari ? Il semble obsédé par la maison de la reine du Nord , désirerait- il l'acheter ?

Elle est à vendre  depuis bientôt trois années, en vain ! son prix rebute les amateurs effrayés par les travaux à mener ; toutes les belles décorations auraient disparues, les salons seraient délabrés, les chambres en très mauvais état, le parc souffre privé de soins , mais les glycines, les bougainvillées, les cactées, les figuiers de Barbarie, et les superbes pins luttent pour survivre, comme ils sont courageux ! quelle misère tout de même, quel dommage ! Une si belle histoire d'amour, un si magnifique jardin exotique, un emplacement à l'abri des vents furieux, et personne pour s'enticher de ce domaine si rare sur l'île , les gens fortunés exigent des piscines et une vue sur les Faraglioni, hélas ! vous ne m'avez pas répondu, cara amica, qu'à dit votre notaire ? »

« Et comment veux- tu que la cara signora te réponde ? Tu parles comme si tu prenais un train ! »

La charmante conversation tourne au drame, il faut réagir au plus vite.

« J'adore écouter Flavia, j'apprends tant de choses, et vous m'éblouissez tous deux par votre éloquence, quel talent ! Je déteste les gens qui se taisent, l'art de la conversation existait autrefois en France, maintenant, on passe le temps à vous ennuyer avec des questions stupides et bien trop inconvenantes, en Italie, grâce au Ciel, les conversations ont un rythme, une élégance, une passion qui permet de cultiver le goût de l'autre sans tomber dans l'indiscrétion. Je vous admire ! quant à mon époux, il collectionne les  vues de Capri, il en découvre sans cesse et ne s'en lasse jamais.

Que vous dire à propos de ce notaire ? C'est un bel homme, courtois et bizarre. 

J'ignore encore la raison de ce rendez-vous, le fait que je descende d'un des propriétaires de la maison ensorcelée ne me donne aucun droit ! J'ai l'impression que le notaire obéit à des personnes qui s'ingénient à rester invisibles.

Mais dans quel but ? De toute façon, nous sommes revenus au point de départ, cette maison nous plaît, nous avons proposé un prix très important pour notre famille, des plus dérisoires à Capri, et le propriétaire ne cédera pas, même s'il est en faillite .Ce qui reste à prouver...

 La maison sera vendue aux enchères, et sans doute happée par un promoteur qui la dénaturera, arrachera les pins séculaires afin d'y installer une piscine,  vendra les boiseries, abaissera les arcades, murera le puits, remplacera le portail ciselé par un autre , banal  et électrique, arrachera les glycines. et sera outrageusement fier d'avoir anéanti l'attrait ensorcelé du domaine abandonné..

Nous aurons fait un beau rêve et l'âme de mon ancêtre se lamentera avec les cris des mouettes sur le belvédère de la Migliera.. »

Je n'ai plus rien à ajouter, un flot de larmes enfantines me pique les yeux, l'espoir a chu depuis les falaises de la Cetrella, et s'est englouti au fond d'une grotte interdite aux mortels, Capri  a repoussé, rejeté les prétentieux que nous sommes, les naïfs aussi, indignes de sa démesure. Les Sirènes ne voient en nous que  des mortels insignifiants qui s'entêtent à conquérir l'impossible.

C'est à cet instant désolé que l'Homme-Mari rayonnant dans le crépuscule accepte d'oublier la maison de la reine du Nord.

« Une bonne nouvelle ! Et je suis ravi de vous l'annoncer , chers amis, nous avons tissés des liens si solides , vous méritez d'apprendre que l'incroyable n'est pas une vue de l'esprit, j'ai reçu un message du notaire napolitain, le propriétaire de la maison en ruines baisserait ses prétentions... il manquera sans doute une somme, mais, gardons l'espoir, j'ai une sorte de prémonition, quelque événement extraordinaire va survenir... »

Salvo sursaute, son portable tinte comme pour nous narguer, notre ami s'éclipse et je tente de sourire au brave Homme-Mari, chevalier de l'impossible.

Où dénicher une corne d'abondance ?

Flavia s'évente et sourit dans le vague; la mer vespérale aux nuances d'argent liquide tremble dans ses yeux clairs.

Salvo marche en parlant si vite que je comprends un traître mot à son italien, Flavia hausse les sourcils, me considère avec une immense stupéfaction, dévisage l'Homme-Mari comme si elle le rencontrait pour la première fois, et s'approche à pas légers de son époux.

Salvo remet le portable dans sa poche, et me lance d'un ton sans répliques :

« Vous avez rendez-vous demain au musée de Capodimonte avec mon cousin.il viendra exprès de Florence pour ce que vous cachez dans votre sac. Mais, oubliez votre vigoureuse Artemisia!

 Mon cousin vous prie de méditer une belle parole d'un autre peintre de cette époque qui combla l'Italie  de fabuleux tableaux sanglants et terrifiants sous l'égide du Caravage; avec parfois une bouffée d'air pur et la douceur d'un visage peint par Francesco Solimena sous son turban pourpre, entre ombres et clarté, en exil chez vous, à Toulouse,  une cascade de fleurs bleues fraîches à jamais grâce au talent du peintre Belvédère, ou une Sybille énigmatique de ce turbulent Guido Reni qui affirmait:

J'ai deux- cents manière de faire regarder le Ciel par deux beaux yeux";

Cara amica, maintenant ne songez plus à rien , la journée est finie pour nous tous.

 Andiamo ! le Limoncello est au frais, et il nous aidera à bien envisager l'avenir !

Venez à la maison et racontez -nous votre soirée en compagnie de ces Napolitains si aimables, vous avez beaucoup de chance ! "

Flavia désigne le sac que je m'oblige à emmener partout de crainte qu'un malandrin amateur d'Art ( ne le sont-ils tous à Naples ou à Capri ?) ne me dérobe son encombrant et quasi illicite contenu.

"Vous n'avez plus confiance en moi ? qu'est-ce que ces mystères autour de votre sac de voyage ?"

Je suis confuse au point de bégayer, me répand en un flot de protestations, et promet  de révéler ce terrible secret devant le Limoncello divin. Pas en plein air, fut- il ivre des parfums d'un beau soir de printemps capriote.

Deux minutes plus tard, Flavia berce la toile contre son coeur et remercie le Seigneur de ce miracle: "Tenir la Sybille d'un grand maître dans mes bras et sous mon toit ! bien sûr qu'il s'agit d'un Guido Reni, je le sens de tout mon coeur ! Ou d'un autre maître, nous avons tant de choix, mais qu'importe ? C'est un trésor qui est entré à la maison, il a traversé les siècles pour venir jusqu'à nous, j'y vois un signe de la Providence... 

Tais- toi Salvo, je ne veux pas donner de faux espoirs à nos amis, je dis ce que je pense et maintenant, racontez encore.."

Le Limoncello  a la touchante faculté  de vous faire voir la vie en rose, et  de poudrer d'or les humbles tableaux sortis des caves napolitaines ...

 Sans nul doute, le cousin expert éclatera -t- il de rire demain devant cette austère Dame au Turban, au moins, cette rencontre servira-t-elle de prétexte pour flâner au hasard des allées de domaine des merveilles de Capodimonte.

A Dieu va !

A bientôt, pour la suite de ce roman à Capri et à Naples, 

Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix




Francesco Solimena (1657-1705)
Portrait de femme, musée des Augustins Toulouse




 

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