mardi 31 octobre 2023

En barque dans la Grotte Bleue: "La maison ensorcelée" chap 38



La grotte d'Azur ou en barque vers le passé

"La maison ensorcelée" 

Roman à Capri  Chapitre 38

J'avais décidé de descendre vers la Grotte bleue afin d'y remonter le temps, c'était une idée absurde mais romantique.. Quoi de plus naturel d'ailleurs à Capri ?  Sur cette île prodigieuse, l'absurde épouse le romanesque  depuis l'époque où les dauphins bavardaient avec les jeunes filles, et les Sirènes aves le roi d'Ithaque ligoté au mât de son bateau.

Le petit bus s'apprêtait à s'élancer sur la route étroite menant à l'antique villa de Damecuta, à l'angle du bar Grotta d'Azzura via Giuseppe Orlandi quand j'entrepris de courir en clamant ma détresse au chauffeur,. Sans nul doute,  pensai- je, le mystère de ma vie antérieure à Capri  patientait au bout de cet itinéraire ondoyant entre le bord escarpé des falaises, les somptueux parcs des demeures patriciennes, et d'opiniâtres vergers tenus avec une farouche énergie.

Par chance, quelques voyageurs affublés d'un équipement propice à l'escalade de quelques pics Alpins se massaient  devant la porte et me donnèrent sans le vouloir la minute nécessaire pour grimper, échevelée, essoufflée et rouge, dans le véhicule sauveur.

 Moi qui gardais le fol espoir de rencontrer à nouveau le fantôme d'un écrivain ou peintre de l'autre siècle, je déchantai en tachant d'éviter la bousculade face aux les sacs à dos, cannes de montagne et individus fort peu avenants.

 Qu'allait donc faire cet aréopage de touristes renfrognés dans la Grotte des prodiges ?

Au fur et à mesure que le petit bus prenait son élan, la lumière empourpra la roche, et rendit sa nuance violette à la mer apaisée. Malgré les rudes secousses, je fus envoûtée encore une fois par les fouillis de fleurs  et les pentes impitoyables de raideur cascadant vers les gouffres.

 Ce côté de l'île oscille l'angoisse et la douceur, on ne sait qui va l'emporter et cela jusqu'à l'arrivée sur la minuscule place surplombant l'étroite  entrée de la grotte gigantesque.

 A l'écart de la foule compacte j'avance l'âme en déroute, où suis-je ?

  La poésie de cette falaise étincelante, penchée avec sollicitude vers les secrets des antiques divinités, est piétinée par une armée de fantassins vêtus de façon grotesque, gesticulant et braillant, s'invectivant pour un pas de trop, vrais troupiers soumis à une poignée de caporaux aux paroles drastiques !

Je n'ai pas le choix, on me pousse sans ménagements, on me regarde avec une sombre méfiance:  quoi ? Voilà une personne bien trop élégante et ne se réclamant d'aucun groupe ? Pour un peu, on me jetterait à la mer, ce qui me permettrait de nager solitaire et libérée ....

Mais non, on me hurle à la figure de suivre le mouvement, et je tente de me faufiler sur les marches de l'escalier taillé par  les soldats de Murat; on me rattrape en me traitant de noms assez discourtois, je suis une resquilleuse, je dois laisser la place à tous ces braves gens qui ont déjà leurs billets en poche !

J'ai bien envie de répliquer qu'un de mes ancêtres a aidé à construire cet escalier  et que j'ai droit à le descendre sans me faire insulter, mais quelle langue choisir ? Autour de mon insignifiante personne, ce ne sont que robustes silhouettes venues des pays du froid ... 

Une heure des plus éprouvantes s'étire. En voici une seconde qui manque de me voir tomber d'épuisement moral et physique, nul sourire, nulle plaisanterie, ces voyageurs accomplissent un devoir, ils semblent ignorer l'histoire de ce lieu qu'ils sont si déterminés à envahir.

Soudain, un frémissement, enfin j'y vois clair !

La  minuscule crique déborde de bateaux d'où on lance des couples apeurés sur de petites barques  menées par des bateliers goguenards. Nous, les obscurs, les piétons,  attendront notre tour, et tâcheront de ne pas sauter dans l'eau secouée en essayant de rejoindre le l'humble esquif.

C'est le moment!

Je dis un mot en italien au batelier ironique, j'ai la mine assurée et la désinvolture d'une personne qui se trouve chez elle; du coup, l'homme ricaneur change de figure et me demande si par hasard il n'aurait affaire à une "résidente" ? 

" Chiaro che si !" et je  salue les roches, l'escalier romain ou français, la porte étroite de la Grotte des prodiges, l'eau secouée de courtes vagues furieuses d'un ample geste qui sent son habituée. C'est très arrogant et un peu stupide, mais on me croit sur parole tant j'affecte l'air du propriétaire ! 

Me voilà récompensée de ce mensonge éhonté, l'homme cesse de hurler des mauvaises plaisanteries, et me traite avec un  respect feint ou vrai. On me prie de me courber, il faut être face contre le fond trempé de la barque pour ne pas se fracasser la tête sur la paroi de l'entrée.

Prudent et grave, mon batelier guette l'instant propice entre deux canots remplis de couples de tout âge, et ne cachant guère leur soulagement  d'en avoir terminé avec ce rituel sacré,  enfonce sa rame,  prend son élan, manque de se cogner au passage,  et nous glissons sous la voûte ...

Au début, c'est la déception la plus intense qui soit, j'avais en pagaille au fond de ma mémoire une collection de tableaux rendant la féérie de ce mirobolant '"Palais de turquoise bâti au-dessus d'un lac de saphir", selon les jolis mots de l'amoureux transi de Capri  vers 1860, ce Maxime du Camp, gentilhomme d'aventures et esprit humaniste qui plongeait sa plume amusée dans l'encre de  ses voyages.

 Je suis vexée, blessée, offusquée, indignée ! Cet antre bleu- noir peuplé de barques qui s'entrechoquent parmi les chansons napolitaines hurlées à pleins poumons par les bateliers, ces parois frappées d'éclairs bleu foncé, cette eau bleue, oui, sans doute, mais enfin guère davantage que la mer battant la roche de Capri, serait-ce cela le mythe superbe de l'antique Capri ?

 Ce rempart informe entrevu tout de même au fond de la caverne où les flots grondent, serait -ce bien le fameux embarcadère conçu par Tibère ? 

Je ne ressens aucune émotion, à vrai dire, je voudrais juste une goutte de silence au sein de ce vacarme éhonté.

"Où sont passées les Sirènes ?" 

J'ai parlé à haute- voix et mon batelier grimace.

 "Les Sirènes sont délicates comme vous, Signora Residente !

 Elles n'aiment pas le monde et détestent le bruit ! Regardez  le fond de l'eau, regardez surtout de cet endroit- là, ne voyez- vous  renaître les prodiges ? L'eau d'azur palpite sous les barques, regardez sa nuance, vous allez en perdre la tête tellement elle vole au ciel sa couleur de beau temps sur le sable blanc, où dormaient les statues des anciens dieux il y a si peu de temps. Signora, oubliez les touristes, voyez, nous naviguons seuls et ne disons plus une parole ... 

Bientôt, si nous glissons du côté de la seconde grotte d'Azur, vous remarquerez le corridor de Tibère, celui qui mène les initiés aux merveilles d'autrefois sur une terrasse en ruines de la Villa disparue de Gradola, un des mystères de Capri ...

 Dai ! votre  bon ami vous fait signe!  Illustrissime, je vous amène  la signora bellissima, mais vraiment trop mince et de mauvaise humeur, franchement, Contessa, vous devriez manger plus de macaronis ! Comme ça, vous seriez de bonne humeur, et la Grotte vous paraîtrait tissée de saphirs ! "

De quel ami parle-t-il ce batelier aux mots de poète ? 

Les vagues s'apaisent, la porte étroite laisse passer une  gerbe d'écume irisée d'étincelles aigue-marine, la barque remonte hardiment vers l'étrange couloir creusé par la main habile d'un triton qui s'ennuyait ou d'un esclave dévoué qui rêvait à sa liberté en récompense de son zèle au pays bleu des Sirènes croqueuses d'hommes. 

Le batelier se métamorphose en un capriote bizarrement attifé et coiffé d'un bonnet rouge à la façon phrygienne, sans me demander mon avis, le voici me débarquant sur l'espèce de promontoire bosselé de gros rochers qui servit d'atelier aux artistes, et de déambulatoire romantique à leurs admiratrices en vastes robes gonflées de jupons fripés.

 Comme les gracieuses néréides et les cruelles sirènes durent se gausser de ces accoutrements  prétentieux !

Hélas, je réalise soudain que je ne cède en rien à ces élégantes surannées: par un tour de magie inconcevable, j'escalade avec maladresse le débarcadère alourdie d'une tenue d'amazone d'un ridicule consommé... Le batelier m'a abandonné à l'instar de Thésée plantant l'amoureuse Ariane dans les vignes de Naxos !  

"N'ayez crainte, le roc est solide, je vous le jure !"

Encore lui ! L'inconnu perpétuel me salue de son chapeau teint en bleu clair par la lumière filtrant de la roche, et derrière lui se dessine une silhouette appliquée sur un chevalet de fortune.

 " Venez, ma chère, c'est juste votre ami qui vous adore et vous trouve si divertissante en néréide humide, et l'autre, vous le reconnaissez, c'est l'ami Auguste  qui vous souhaite la bienvenue dans la grotte qu'il prétend avoir eu le bonheur de découvrir le premier depuis qu'Ulysse y échappa aux Sirènes hypocrites  et flatteuses !

 Venez pour l'amour de moi, si vous m'aimez encore un peu, et pour l'amour d'Auguste qui vous adore, en souvenir de tous les Auguste qui furent les amants de Capri !"

"Quel horrible et sublime endroit, et quel horrible homme vous êtes, et comme j'ai tort de vous aimer encore un peu." dis-je d'une voix tremblante ...

Et je récite, convaincue de mon ridicule, mais aussi de cette vérité :

"Eternité, néant, passé, sombres abîmes,

Que faites- vous des jours que vous engloutissez ?

Parlez: nous rendrez- vous ces extases sublimes

Que vous nous ravissez ?"

"Ma chère, toujours votre engouement pour ce poète adulé des dames, épargnez -nous  cette guimauve ! Qu'il ne nous souvienne que de votre abordage au port des dernières Sirènes..."

A bientôt pour la suite de ce roman au pays des Sirènes,

 Nathalie-Alix de La Panouse

 ou Lady Alix qui vous raconte ces légendes de Capri


 

En barque sur le lac bleu des Sirènes à Capri:
la Grotte  Bleue où l'on navigue vers le passé le plus fascinant de l'île ...
(crédit photo Vincent de La Panouse 2023)



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