dimanche 7 janvier 2024

Miracle ou mirage d'hiver à Capri ? "La Maison ensorcelée" Partie II chapitre I



 La Maison ensorcelée ou Roman à Capri

Deuxième partie  ou l'art de courir après une ruine sur l'île des Sirènes

Chapitre I Miracle ou  mirage ?


Les miracles sont réputés ou ne pas exister ou être les inventions des cerveaux dérangés, ce qui revient au même.

Mon cerveau me semblait à peu près en état de marche, mes yeux voyaient la lumière bleue de Capri flotter sur les pointes rocheuses, j'étais entourée de personnes doués de bons sens,   la belle Flavia et son digne époux, Salvo, me donnaient de précieux conseils que je n'écoutais pas, et le plus grand, le plus insolite, le plus parfait des miracles étincelait autour de moi.

Je me trouvais dans le jardin de ma maison jadis ensorcelée, sécateur en main, dos rompu de fatigue et joie trop immense pour l'avouer me tordant le coeur.

 Le miracle s'était accompli de la manière la plus naturelle du monde, ce qui reste l'apanage des vrais miracles .., La  douce, l'humble, la discrète Madonna de la chapelle de la Follicara, juste au-dessus de notre jardin, avait décidé d'unir ses efforts à ceux fantasques des Sirènes, et nous étions chez nous devant une maison en ruines, sur une terrasse aux dalles capricieuses et à l'ombre de ramures démesurées.

Nous étions chez nous et au coeur du hameau inconnu de Caprile, chez nous sans un sou, mais avec tant d'enthousiasme et d'espérance à répandre à profusion, sans aucun doute, le fantôme d'Axel Munthe avait obtenu de je ne sais quelles puissances occultes la permission de nous guider vers ce paradis qui prendrait, nous étions assez lucides pour le pressentir, bientôt un visage d'ange infernal.

Quel étrange cortège tissé de hasard et de fatalité ne venait- il de nous conduire à ce jardin en bataille, à cet escalier aux pierres proprement antiques, à cette allée où dormait peut-être une blanche statue, une marmite remplie de pièces romaines ou le coffret de couronnes d'or oublié par Galatée, la nymphe follement aimée de ce cruel Cyclope  qu'Ulysse fut seul à défier et à vaincre ?

En réalité, je n'en savais strictement rien !  Aussi bizarre que cela paraisse, nous avions échappé aux notaires, aux agents immobiliers, aux banquiers, et même à la curiosité publique. Tout s'était enchaîné à l'instar d'un songe enchanté. A la différence que l'éclat de ce rêve au lieu de s'évanouir à l'aube s'était renforcé jusqu'à nous imposer un retour précipité en plein hiver sur l'île, suivi du don de la clef de l'ancien cadenas que nous avions pris six années auparavant l'extrême liberté de poser sur une porte qui ne fermait plus. 

Mais était- ce un rêve ?  N'allais- je pas m'éveiller, pâle et triste,  glacée et déçue face à l'aube livide qui me prouverait que j'étais tout simplement dans ma chambre, et dans ma vie habituelle, bien loin de la lumière pure et des rocs de Capri, sur lesquels l'hiver imposait aussi sa loi de tempêtes et de mélancolie ?

Je mourais d'envie toutefois de braver la mer furieuse, la nuit tombant sans pitié et l'absence de chauffage dans la maison d'Antonio pour quelques jours à vivre comme les vrais capriotes isolés du monde ... 

Or, le plus étrangement qui soit, l'occasion vint à s'offrir à nous...

Noël s'était envolé sur les ailes du vent glacé, la tendresse joyeuse de ces jours à l'âme enfantine avait brillé sur une maison frappée par la grippe et une kyrielle de maux de saison particulièrement féroces. L'an neuf prenait son élan et je me sentais aussi pessimiste que l'on peut l'être quand, aux confins de notre vieille Europe, se pratique encore l'art de tuer son prochain  afin de conquérir sa terre et d'anéantir sa liberté. Penser à des choses belles et charmantes devant une fenêtre dominant un vieux parc solitaire, envahi non point par une armée mais le désespoir d'un hiver lugubre, se révélait l'unique façon de lutter contre cette humeur aussi sombre qu'inutile.

 L'année prenait son vol, très bien ! ne devrais- je déborder de projets, de passion, d'idées, d'initiatives, et remercier la Providence pour ses bienfaits au lieu de rester aveuglée par les vicissitudes , les miasmes , les rancoeurs, les défaites ? 

A côté de ce troupeau ennuyeux, n'existait- il de beaux paysages, des voiles gonflées par des brises enthousiastes ?Je me devais de retrouver la force d'inventer ma vie au lieu de la subir ...

Mais la grippe m'avait ravagée, je n'étais plus que doutes, incertitude et mélancolie. L'Homme- Mari en était d'ailleurs au même point. Je l'entendais maugréer sur les factures du chauffage et les notes de nourriture, sans parler des impôts, charges, et autres manifestations d'une vie soumise aux lois de son pays.

Nos enfants étaient repartis, la maison attendait que nos mains s'activent à lui rendre son aspect ordonné, nos chats s'impatientaient, notre travail s'impatientait, nos travaux d'intérieur et nos corvées d'extérieur s'impatientaient, et le vent ne cessait de hausser le ton sur la pelouse humide où dansaient les dernières feuilles racornies de l'automne.

Seuls les cèdres en quinconce échappaient à la malédiction hivernale, marronniers et platanes s'étaient mués en dessin épuré de leur beauté oubliée. 

Du ciel de plomb  fusait une confuse lueur ravivant l'illusion d'un monde replié sur sa tristesse.

Je vis soudain la camionnette jaune du facteur, j'entendis un bruit de voix, soupirai  en songeant à une lettre émanant d'une administration autoritaire  et sursautai quand l'Homme- Mari entra en bousculant deux chaises et un chat sur son passage.

"Une lettre de Capri"!

 C'était bel et bien une lettre, et non un mot ou une carte signée d'un ami compatissant, c'était une lettre écrite , si cela n'était une plaisanterie de mauvais goût, par un inconnu que je connaissais  sans l'avoir jamais vu, puisque tout le monde se connait de Marina Grande  à Annacapri, en passant par le bourg de Capri, honni des Anacapriotes depuis l'époque de la guerre de Troie, et certainement avant cette épopée antique.

 L'auteur de l'intrigante missive l'avait aimablement rédigée dans ce qui fut la langue de Molière, autrement dit une langue connue désormais des seules personnes encore éprises du beau Français.

Que nous racontait- on dans ce langage aux mots précieux, aux phrases courtes et  sobres, à l'esprit vif et tourbillonnant, au ton ironique et respectueux ?

Et quel était le mystérieux gentilhomme qui nous invitait à le rejoindre au plus vite dans le jardin sauvage de cette humble maison dont le visage décati nous hantait depuis six ans ?

" Je sais ! je l'ai rencontré chez Amadeo, un des grands hommes d'Italie, enfin, je crois, en tout cas, un héros de l'île... un personnage mythique, quelque chose entre Malaparte et un prince découronné... il m'avait ordonné d'aller demander l'aide des Sirènes sur la plage du Palazzo a mare, et je m'y suis évanouie comme une sotte . Son homme d'affaires aurait une sorte de contrat à nous proposer, je crains le pire, il s'imagine que nous dormons sur des sacs d'or. Se doute-t-il que notre vieille maison coûte du sang, des larmes et ne rapporte rien ? D'ailleurs, ce n'est pas lui le propriétaire, aurait-il une influence occulte sur ce monsieur qui s'entête à réclamer le prix de deux palais romains pour sa cabane minable en ruines dans un des endroits les moins fréquentés de l'île 

 Il semble éprouver de crainte après avoir eu vent d'acheteurs décidés à offrir ce qu'il exige au propriétaire, cette éventualité l'aurait incité à inventer une solution audacieuse qui comblerait nos voeux et ceux de mon ancêtre qui fut un des bienfaiteurs du village ... mais, il n'y a pas de vols en cette saison pour Naples, il va falloir passer par Paris ! cela va encore être une dépense que nous ne pouvons nous permettre ... et puis , au diable ces histoires d'argent, je reçois un chèque cette semaine, cela suffira, nous dormirons sur un banc s'il le faut à l'ombre d'un oranger ! franchement, la chance est pareille à une étoile filante, attrapons- la !"

"C'est peut-être une mystification ? On usurpe une identité et on nous manipule avec perversité, cela arrive tous les jours, tu te précipites sans réfléchir, ce voyage en plein hiver est une folie, et d'ailleurs, nous ne trouverons pas de vols à cette époque de l'année. Oublie ce mirage, l'homme illustre ne sait même pas que nous sommes obsédés par la maison en bas de chez lui. Tu te forges un roman par dégoût de l'hiver ..."

 L'Homme-Mari avait raison, mais la vie est tissée de déraison ou elle n'est pas .

 "Tentons l'aventure, de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ! et puis, tu ne meurs pas d'envie de filer d'ici ? "

L'Homme-Mari n'osa dire un non définitif, nous vidâmes nos réserves, vendîmes un vieux bijou inutile et obéirent à la puissante injonction des Sirènes .

 J'ignore comment, mais nous fûmes au rendez-vous, c'était un peu comme revenir au pays de Narnia, le froid fit place à une lumière tiède et cristalline, les nuages sombres s'évaporèrent sur l'horizon, le ciel d'un bleu tendre s'éleva au dessus du Monte Solaro et sur la terrasse dominant le jardin sauvage deux personnages altiers nous saluaient comme si nous étions des envoyés célestes.

Capri nous voulait- elle véritablement,? Nous allions le savoir tout de suite ...

A bientôt pour la seconde partie de ce roman à Capri, à la poursuite de la maison ensorcelée ...

Nathalie-Alix  de La Panouse

ou Lady Alix



L'Arco Naturale, géant de pierre à Capri
Crédit photo Vincent de La Panouse


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