lundi 15 janvier 2024

Vivre son rêve d'enfant à Capri ou "La Maison ensorcelée" partie II chap 2

Roman à Capri
  "La Maison ensorcelée"

Seconde partie

L'art d'aller au bout de son rêve sur l'île des Sirènes

 Chapitre II

 En ce délicat matin encore tout frais de ses averses nocturnes, le mois de janvier prenait des allures de fête galante.

Nous avançâmes dans les allées envahies de brume irisée de lumière ineffable comme si nos présences humaines avaient reçu l'ordre de s'effacer, de se faire les plus discrètes du monde.

 La maison revêtue de guirlandes encore vertes et d'écharpes de brume ne donnait pas un signe d'amitié ou de reconnaissance.

Elle jouait les indifférentes alors que nous venions en son honneur de traverser la France du Sud et l'Italie du Nord au Sud dans une guimbarde aux freins défaillants ... Comment faire autrement ? La route céleste s'était révélée fermée jusqu'au printemps, ou si onéreuse que la crainte de finir en prison pour dettes nous avait rendu notre bon sens. Quoi de plus aventureux, de plus romanesque, de plus raffiné que d'imiter nos ancêtres accomplissant leur périlleux Grand Tour, les poches remplies de pistolets au cas où quelques méchants bandits auraient l'audace de tenter de leur arracher vivres, vêtements, fusils et poignée d'or ou pièces d'argent, petite fortune obtenue au prix de douloureux efforts et vaillants sacrifices ?

Nos euros valaient beaucoup moins, notre coffre ne contenait que deux maigres sacs où s'entassaient les indispensables effets capables de nous épargner l'infortune du froid, mais qu'importait ce dénuement affirmé ! notre opiniâtreté  supplantait certainement la touchante ténacité des voyageurs rêvant voici deux siècles aux enchantements antiques et aux tableaux entassés dans d'humbles échoppes qui n'attendaient que leur goût pour les suiveurs de Raphaël, Leonard de Vinci,  Guido Reni, Salvatore Rosa, et leurs pairs.

Je me demandais d'ailleurs si un jour les nobles et doctes savants des Musées de Rome aurait la bonté de me rendre ce tableau envoyé avec un retard de presque deux cent années que j'avais eu la malchance de perdre puis de retrouver pour me le voir ôté sous prétexte d'expertise à la durée  terriblement incertaine, sans qu'aucune supplication ne me soit permise.

J'aurai pu au moins le proposer à des amateurs impécunieux aux anges d'acquérir un remarquable suiveur d'un remarquable inconnu, suivant de près la main de Guido Reni ou la grâce d'un autre maître séduit par une beauté hautaine aux beaux yeux enivrés de passion ou de remords... 

Mais, l'horizon de ce côté-là n'annonçait que silence ! les magnifiques experts se drapaient dans leur hautaine réserve à l'instar des anciens consuls outragés quand nos ancêtres les Gaulois eurent la désastreuse idée de s'emparer de Rome, avant d'être dénoncés dans cet abominable entreprise par les cris indignés des oies sacrées du Capitole.

Peut-être ce tableau souffrait- il d'une malédiction ignorée ? Ou peut-être encore, avait-il été dérobé sans que nul n'ose me l'avouer ... "J'y penserai demain" dis-je , à voix haute.

"Demain ? Pourquoi demain ? il va falloir penser tout de suite! on nous a préparé un accueil qui ne me plaît guère, cette maison a le don de nous attirer dans des pièges tendus par des braves gens qui s'évertuent à croire que nous sommes deux idiots prêts à n'importe quelle sottise pour la fierté d'habiter la plus décatie des maisons de l'île sous prétexte qu'elle aurait servi d'auberge pour artistes fauchés à un de tes ancêtres aux grandes moustaches et au porte- feuille vide. Cette maison est ingrate comme une femme !"

Malgré cette accusation d ingratitude, l'Homme- Mari lançait à cette maison gémissante sous le vent, aux volets barbouillées de dessins rouge vif par  d'odieux vagabonds,  des regards si débordants d'amour que j'en fus  outrée !après- tout, n'était- ce ma maison ? Celle dont le jardin avait hanté mes rêves d'enfant ? Celle où un chat bien fourré m'avait entraînée dés notre premier séjour sur l'île ?

 Puis, ma jalousie se calma pendant que je m'avançais vers les deux étranges silhouettes plantées au beau milieu de la terrasse jonchée de feuilles et de débris indiscernables ...

J'eus beau écarquiller les yeux , ces deux grands gaillards n'éveillèrent aucun souvenir. nul fantôme coiffé d'un couvre-chef à la mode des années 1830  et vêtu d'une redingote à l'anglaise, ne gesticulait derrière leurs imperméables blanc cassé, tenue en honneur dans les films d'espionnages mais franchement ridicule sur le divin rocher fut-ce au coeur de l'hiver.

L'Homme- Mari et moi-même arborions de stricts manteaux marine dans lesquels nous manquions d'étouffer tant le mois de janvier capriote manifestait  une incomparable clémence ...

"Vous rendez-vous compte, nous grelottons, 10 degrés, mais c'est une catastrophe!" s'était exclamée Flavia, notre amie fidèle, depuis à mon immense surprise, déjà plusieurs année,. en nous embrassant à la descente du bus d'Anacapri, sur la Piazza della Vittoria désertée de ses hordes de voyageurs, et lavée de frais par les averses de la nuit.

"Comme l'hiver transforme cet endroit, dis-je, émerveillée, je n'avais jamais compris à quel point cette place distillait un charme désuet, on se croirait dans les années cinquante,  ou avant, je m'attends à monter en calèche jusqu'à la Piazza Caprile ! le monte Solaro resplendit et les bosquets de pins sont plus verts qu'au printemps, vous vivez dans une belle saison éternelle; dix degrés ? Imaginez- vous cela: nous sommes obligés de nous ensevelir sous des amas d'écharpes et de vestes épaisses  pour éviter d'être transi même à l'intérieur de notre maison ...

 Une vague de froid venue des pays du nord a détruit notre énergie et anéanti notre envie d'accomplir de nouveaux projets,  or, depuis que nous avons revu le golfe de Naples si pur sous la lumière d'hiver, je respire l'air vif de l'espoir et l'enivrant  parfum montant de la mer vigoureuse, la mer secouée d'écume sur l'horizon plus libre que jamais !"

 Dans une autre région du monde que la douce Campanie, mon langage fleuri inspirerait de la méfiance ou susciterait des moqueries. Ici, rien ne sonne plus juste ! par contre, je vais devoir brider mes effusions verbales en saluant les doctes et austères envoyés de notre bel et sombre inconnu dont nous ignorons tout alors qu'ici tout le monde ne  le connaît que trop bien. 

Hélas ! je suis une habitante des états de la Lune décrits autrefois par l'aimable Savinien de Cyrano de Bergerac, et les nobles traits du noble visage de mon noble interlocuteur, rencontré une unique fois, chez Amadeo se sont effacés de ma mémoire. Toutefois,  je suis certaine que ce galant homme  brille, à l'instar d'une étoile située aux confins du cosmos, sur les sentiers d'Anacapri.

 Or, ,si nous avons accompli  ce voyage quasi épique et à coup sûr absurde, c'est à cause de lui ! ne l'a-t-il ordonné au travers de sa lettre au sens occulte ciselé par un style adorable?

Nous laisserait- il choir à  l'entrée de notre jardin tant désiré ? Nous aurait-il monté une farce ? A quoi bon se perdre en vaines interrogations: i l n'est plus temps de reculer.

 Nous grimpons avec une prudente lenteur les marches disjointes de l'escalier du milieu, celui qui monte du bassin englouti sous un rempart de feuilles mortes, à la terrasse où les balustres semblent vaciller sous la brise un peu poivrée.

 L'Homme- Mari attaque d'un salut bienveillant les deux frères siamois, on lui répond sans barguigner, c'est un très bon signe.  Ces messieurs poussent la courtoisie à se répandre en compliments exagérés dans un l'impeccable français parlé par les  rares étrangers amateurs de notre grammaire cruelle. Ce sont des délicats en apparence, mais en matière de négociation, sans doute la chanson prendra -t-elle une rythme plus âpre....

Je ressens toutefois un vif soulagement ! quel bonheur d'être débarrassée de la pénible obligation  de comprendre l'incompréhensible par le truchement de mon italien aussi rouillé qu'une clef qui n'a pas eu le bonheur de servir durant trois longs mois de paresse intellectuelle. 

"C'est un honneur de saluer les descendants de l'histoire." dit le plus âgé d'un ton éminemment circonspect.

Décontenancés par cette flatterie, nous gardons le silence et affichons une mine hautaine

: " Tout flatteur  vit aux dépens de celui qui l'écoute" a dit  Jean de La Fontaine, notre sauveur ! 

Le second personnage a un fugace sourire. Peut-être réalise-t-il que nous sommes moins naïfs que prévu.

"Et quel courage de séjourner sur l'île en pleine mauvaise saison ! quelle preuve d'attachement envers cette maison ! les épreuves, les sacrifices, les personnes habituées à servir leur patrie, à défendre leurs vieux manoirs, ne les craignent pas, cela fait partie de vos destinées, le Signor qui nous a chargé d'entamer une discussion pour atteindre le meilleur des résultats, vous ressemble. C'est un conquérant, l'impossible le fascine !vous, cela fait six années maintenant que vous vous entêtez à vouloir l'impossible; une maison si belle à Capri pour pas grand chose !"

L'Homme- Mari s'insurge :

"Vous osez qualifier de pas grand chose mes propositions sérieuses et toujours basées sur un juste calcul d'expert ! mais qui êtes-vous ? nous avions rendez-vous avec un homme considérable et ses chargés d'affaires, où sont-ils passés?"

Le plus âge nous tend alors deux chaises rouillées qui eurent leur heure de gloire vers 1900.

Lui-même sort de derrière le puits deux sièges de Safari en cuir d'un aspect aussi romantique que vétuste. Une trouvaille! la maison est vide, mais pas la dépendance, vous serez comblés ! un bazar qui s'arracherait le jour du marché à la Brocante installé Piazza del Gesu nuovo à Naples, ce quartier qui vous plaît, là où vous avez vécu des péripéties extravagantes, en particulier ce tableau d'un maître très ancien, et ce courrier que vous déchiffrez à grand peine.

Une poignée de lettres gardant le secret d'un amour inassouvi, un sentiment voué à l'échec, pour une fois l'impossible n'a pu être conquis.

 Les pauvres amoureux sont dans l'autre monde, leur protecteur aussi, et la foule des gens  qui les aimaient, qui les invitaient, étrangers ou Capriotes, humbles ou puissants, peintres, écrivains bourdonnant et rugissant, ceux qui se proclamaient les découvreurs de Capri que les  anciens Grecs adoraient  ! tous si arrogants! sauf votre présumé ancêtre, un officier qui avait eu de nobles malheurs et qui avait appris à se tenir droit face à l'infortune. Mais il n'existe plus, seules les âmes murmurent quand le vent du soir secoue les pins  de l'allée de droite, celle qui ne sert plus à rien et qui élève vers les sommets la valeur de cette maison misérable.

La maison hantée ! la maison est restée ! vous la voulez toujours ?

 C'est le moment suprême, nous ne comprenons qu'une chose, 

il faut dire "oui" ou nous taire à jamais !

 "Oui!" dis-je farouchement.

"Oui, mais." dit l'Homme- Mari

 " Non Signor, c'est oui, pas oui mais, oui ou non ." insiste sur un ton cinglant le plus âgé des deux compères.

 L'Homme- Mari le foudroie du regard, et  en reçoit une grimace réprobatrice et déçue;

Un oiseau lance alors son chant désespéré sur le jardin flétri ; on croirait la plainte d'une âme errante, le chant ultime avant l'adieu à ce monde; l'oiseau des ruines nous attendait ici pour la dernière fois ... a moins que...

"Oui !" prononce l'Homme- Mari

"Va bene ! voilà la proposition, notre patron a acheté cette maison de peur qu'elle ne soit vendue à des gens vulgaires qui lui gâcherait ses vacances; vous, par contre, il vous donne sa confiance, vous êtes une famille du meilleur monde,  vous avez le bon goût, la bonne éducation, la distinction, il ne vous manque que ..."

"L'argent !" dis-je sur un ton cette fois plus optimiste;

L'espoir envolé renaît, et l'oiseau des ruines se tait.

 "Oui, qu'est-ce que l'argent ? Une qualité insignifiante quand on a le bonheur d'en posséder, et une force  tellement enviable quand on en manque. Alors, la maison , vous pouvez l'avoir sans argent, sauf celui que vous consacrerez à lui rendre sa beauté. Nous vous proposons un bail de 50  ans.. A ce terme, un de vos descendants l'achètera s'il a su gagner une belle fortune, et sinon, vous aurez été heureux à Capri." Cela n'a pas de prix."

L'oiseau des ruines s'égosille comme le rossignol d'avril.

Nous voilà chez nous pour cinquante ans, autant dire l'éternité.

"50 ans, proteste l'Homme- Mari, tant de travaux, d'efforts, de sacrifices, de déroutes et de palabres avec les artisans, de conflits avec les vendeurs de matériaux, les escrocs de toutes espèces, tant de doutes, de fatigue, de crainte, de remords, d'impôts, vos terribles impôts, pour juste 50 ans !"

 "Mais, rétorque le plus jeune des deux acolytes d'une voix doucereuse, dans 50 ans, vous serez peut-être au Ciel ... Alors, carpe diem, profitez de ce que la vie vous offre..."

"Je suis d'accord! rendez-vous au Ciel ou en ce jardin dans 50 ans " dis-je en descendant vers le portail vert aux grilles enguirlandées, l'antique, le romanesque, l'ensorcelé  portail qui m'attira comme un ami perdu voici six années...

"Oh, j'oubliais, remerciez votre prodigieux patron !"

"Je suis d'accord mais j'exige un bail de 99 ans, selon la li française, désolé messieurs, je vous charge de cette requête auprès de votre illustre patron. la maison vient elle-même de me souffler à l'oreille cette condition . On doit toujours obéir aux maisons qui ont épousé les destinées de leurs propriétaires . voulez-vous convenir d'un second rendez-vous demain , à une heure que je vous préciserai, je viendrai avec mon géomètre,  un homme honnête et dévoué, le neveu d'un ami d'Anacapri."

 Je suis stupéfaite ! Quelles ressources insoupçonnées ne jaillissent- elles de l'imprévisible Homme- Mari !

Ment- il avec une touchante conviction ? Cherche-t-il  impressionner les deux beaux messieurs ?

Je le saurai dans cinq minutes, sur ces entrefaites, Capri n'est-elle l'île d'un théâtre en lumière bleue, Salvo se glisse sur l'allée de gauche, celle menant en ligne sinueuse piazza Caprile.

Un coup d'oeil sur sa face ironique m'en révèle plus qu'une plaidoirie enflammée, il se méfie au plus haut point et vole, à son habitude, au secours de ses idéalistes amis ...

A bientôt, pour l'art de vivre son rêve d'enfant à Capri

 Nathalie-Alix  de La Panouse

 ou lady Alix


                                                                     

                                                                Les enfants d'Anacapri vers 1880, Guilt Jolley

                                                                                        (collection privée)



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