dimanche 4 février 2024

L'art d'obtenir un bail de 999 ans à Capri ou "La maison ensorcelée" Partie II Chapitre III



 "La Maison ensorcelée"

  Roman à Capri

Un bail de 999 ans pour une maison en ruines

 Seconde partie Chapitre III

Nous étions soudain seuls à peine réchauffés par le subtil soleil de janvier qui s'évertuait à transpercer de sa flèche la couronne de nuages posée sur la belle cime du Monte Solaro.

Salvo venait de nous laisser après une terrible explication !

A sa vue, fort étrangement, les prétendus et prétentieux messagers de l'homme le plus magnifique de Capri, légende vive et remarquable, fierté de l'Italie, roman épique à lui seul, et aussi invisible que les dieux en villégiature sur leur ancien fief, esquissèrent un  déconcertant mouvement de fuite.

Troublés, nous reculâmes vers le bassin toujours surchargé de lianes enroulées autour d'un  angelot potelé  tendrement accroché à un dauphin de belle taille, son refuge face à l'adversité. Ses compagnons de pierre, hardis dauphins et tritons bondissaient en vain sous l'amoncellement de débris et de feuilles couvrant l'eau morne et glauque de l'émouvante fontaine de jadis.

Salvo transformé en archange Saint-Michel, un des protecteurs de Capri, dont la vocation est de pourfendre de son glaive un dragon hideux, se lança à leur poursuite et réussit à claquer le portail donnant sur la ruelle d'un geste à ce point magistral que nous en fûmes pétrifiés d'étonnement et de crainte.

A quel danger venions- nous d'échapper ?

Au pire ! Salvo en aurait mis sa main au feu, et il regrettait qu'un précipice, en particulier celui particulièrement terrifiant de la Migliera, ne fut à sa portée.

 "Ces gens-là autrefois, nous les aurions confié aux poissons pour leur apprendre à se moquer de nos amis !  mais, oui, voyons, jamais un homme aussi considérable que le propriétaire du domaine en surplomb de ce misérable jardin, n'aurait confié une affaire importante à ces deux pingouins. 

Que dites- vous,  cara amica ? Je ne me trompe jamais ! vous savez que je ferai tout pour mes amis, alors, quand Flavia m'a raconté cette histoire de rendez-vous, j'ai compris que vous alliez tomber comme  d'une falaise, de la Punta Tragara par exemple, pourquoi vous inciter à descendre toute l'Italie en plein hiver et à embarquer sur une mer furieuse, Pour endormir votre méfiance ! Vous n'avez rien promis au moins, rien signé, et surtout rien donné, pas un seul billet ?" 

L'Homme- Mari s'empresse de rassurer notre bouillant sauveur habituel qui semble suggérer, si je ne m'abuse, que nous aurions entassé force billets ou même lingots d'or au fond de nos poches ! 

"Bien, il faut que je me calme, voyez- vous, je dois surveiller mon coeur, mais quand il s'agit de vous, cela n'a plus d'importance. Nous vous attendons bien sûr pour dîner, si, c'est la tradition, on n'a pas le droit de déroger aux belles traditions, vous n'apportez que votre sourire, cara amica, Giulia se réjouit de parler de la mode en France, et moi de la situation politique, Flavia a déjà commencé à préparer la torta caprese et les raviolis, pas ceux que vous mangez en France, cette horreur, un crime contre l'Italie...

Maintenant, reposez- vous, promenez- vous avant qu'il ne fasse froid, je vais réfléchir à cette histoire et vous suggérez des conseils  que vous aurez raison de suivre. A prestissimo ! ciao, carissimi, j'oubliais, come state ? Malades ? On ne le dirait pas Capri vous a déjà guéri!"

Et Salvo de s'évaporer à son tour comme poussé par l'esprit des Lieux ...

Submergés par les ondes  de cette verve torrentielle, stupéfaits de la tournure prise par ce rendez-vous,  notre entendement en proie à la confusion engendrée par Capri, nous sursautons ensemble en entendant braire notre portable. Une voix nette, autoritaire, outragée retentit dans l'air palpitant de ce pur cristal qui fut celui de la création du monde.

Henry, alias Fils Dernier, a retrouvé notre trace et s'évertue à nous arracher la vérité. L'Homme- Mari qui a la manie d'être  confiant au moment où il devrait se taire, livre notre secret, et annonce la mirobolante perspective d'un bail de 99 ans proposé par des gens à priori sérieux, mais traités d'escrocs impitoyables ou peu s'en faut par notre digne Salvo.

L'ire de Fils Dernier éclate en brisant les barrières de la bienséance familiale !

"Comment ? Qu'est-ce que cette histoire  de fous ? D'abord qui sont ces gens ? Avez-vous une preuve de leur identité, de celle de leur patron ? Pourquoi plongez- vous sans méfiance dés que l'on vous agite cette maison en ruines à la figure ? N'en avez-vous pas assez avec notre vielle baraque décatie ? C'est entendu, Maman ne supporte plus l'humidité, mais avez-vous songé que le climat de votre île adorée concentre une kyrielle de désagréments pire que la présence de l'ancien lit de la rivière installé sous notre vraie maison ?  Souvenez- vous des tempêtes d'hiver à fracasser des chênes, des averses perpétuelles du printemps, des brumes sempiternelles, et des pics de chaleur intolérables au coeur de l'été ? Et les charges, le coût inouï des artisans de l'île toujours ravis de manoeuvrer les étrangers sympathiques qu'ils s'imaginent crouler sous l'or; et  pour finir, les damnés impôts, y pensez-vous ? 

 Méfiez- vous  de la lumière implacable, terrible, souveraine, cette lumière qui rendît borgne votre vieil ami Axel Munthe, ce fantôme de la Villa San Michele qui devrait avoir honte de vous inciter à courir après votre rêve. Et surtout prenez garde à ce prétendu bienfait d'un parfait inconnu; cela sonne faux, cet homme n'a aucun besoin de vous, sa fortune dépasse l'imagination, du moins si on en croit les potins de l'île...

 Rien , vraiment rien, n'empêche ce puissant et magnifique descendant des empereurs de raser définitivement votre jardin de Caprile si ce paysage poétique lasse ses invités aux goûts plus pragmatiques. Ou encore qui l'empêche d'éventrer votre domaine adoré comme une mine à ciel ouvert, s'il caresse le glorieux espoir de remonter la marmite aux pièces d'or de Barberousse du fond de la roche. Revenez au plus vite, votre vie normale vous attend, et nous aussi tout de même.

 Ah ! j'oubliais, en Afrique, j'ai entendu parler de ce genre de bail, par contre, on y préconise une durée de 999 ans,  voilà qui paraît raisonnable, posez donc la question à ces baratineurs... Je vous rappelle très vite, d'ailleurs, j'ai droit à quelques jours , si vous persistez à vous conduire de manière inconsidérée,  il va me falloir encore une fois  vous rejoindre sur ce maudit rocher et apprendre qui est votre fils à cette paire d'arrogants pingouins. 

Vous m'inquiétez beaucoup, oui, pas un mot aux deux autres, heureusement,  ils ignorent où vous êtes, Capri en janvier ! et pour accepter une discussion avec des fous !  enfin, si vous négociez, si vous menez votre barque en gardant la tête froide, sans emballements sentimentaux, je vous en prie!

  Voilà la bonne stratégie: ripostez en expliquant que votre temps est précieux, que votre vie est remplie de ruines à commencer par celle  que vous ne cessez de rénover depuis la petite enfance de vos trois charmants enfants, prétendez qu'une propriété à Cefalu, un palais décati mais orné de fresques sublimes à Palerme, vous plaisent autant que cette pauvre maisonnette insalubre engloutie par les mauvaises herbes d'un jardin privé de vue sur la mer. A force de vous entendre vanter les avantages de la Sicile, ces prétendus hommes d'affaires baisseront pavillon. Vous verrez clair dans ce miroir aux alouettes, bon, je dois absolument vous quitter, oui, moi aussi, mais je suis trop vieux pour les effusions, oui, jamais trop vieux pour une maman... "

Fils Dernier raccroche et le silence hivernal reprend sa puissance sur ce banc d'où nous invoquons les divinités de l'île de nous venir en aide. 

"De qui tiennent nos enfants, surtout le dernier ? Il dégage une telle autorité naturelle;" interroge l'Homme- Mari en observant les jardins en terrasses de l'ancien hameau de Caprile à l'instar d'un loup de mer surveillant l'horizon.

"Peut-être d'un lointain ancêtre qui possédait un solide bon sens ! quel calme, on jurerait que nul être vivant n'ose arpenter ce sentier en cette saison. Les maisons sont si mélancoliques sous leurs panaches de feuillages fanés, personne ne bouge sur les vergers, on ne devine aucune présence à l'abri des murs, ou au bout des loggias, nul enfant ne crie, les ballons sont remisés  et les chats invisibles ... 

Regarde la mer, elle se couvre d'écume et la brume dépose un voile sur ses vagues enflées à croire que la méditerranée se métamorphose en océan enragé ! pourtant, je n'éprouve aucune crainte ...Sauf celle de trembler de froid ce soir ! le chauffage laissé par nos gentils propriétaires ne sera d'aucune effet , mais tant pis ! nous aurions éprouvé pire chez nous.

 Je me trompais, nous ne sommes pas seuls, quel brave petit chien !  je le connais, ah ! mon Dieu, la signora Rosetta nous a vus, elle nous envoie son caniche en ambassadeur, et elle monte ses 77 marches afin de nous saluer, quelle femme ! à son âge, elle grimpe encore comme une chèvre ! "

" C'est le Ciel qui nous l'envoie, nous avions grand besoin de discuter avec une personne gentille qui ne tentera ni de nous mentir, ni de nous gronder ! Peut-être connait- elle enfin  le propriétaire de notre maison ensorcelée, ou a-t-elle bavardé à notre sujet avec l'homme considérable, elle qui habite juste au dessous  des deux... Son chien l'aide à se faire des amis,  et elle est si aimable ! souviens- toi du citron qu'elle a choisi pour nous avant notre dernier départ, c'était le plus beau de son verger!

 " A propos de chien, le fameux grand héros de Capri et de l'Italie n'a-t-il la réputation de balader le sien vers la Migliera ? et bien sûr en morte saison afin de goûter aux joies de l'incognito, ce luxe après lequel courent les gens célèbres ... Qui sait si son toutou ne serait pas curieux de flairer la truffe du caniche de notre amie Rosetta ? Toi, l'amie du genre canin et félin, pourquoi ne proposerais- tu ta bonne volonté pour faire prendre l'air à ce pauvre chien privé de belles échappées en raison des jambes assez faibles de sa maîtresse d'un âge franchement certain ? Ne me répètes- tu qu'il faut oser se jeter au cou de la bonne fortune ? "

 "En réalité, tout dépend du chien ... "dis-je intriguée et amusée par cette nouvelle idée somme toute séduisante ...Mais pour un bail de 999 ans à Capri, de quel prodige ne serait- on capable ! Rosetta ! quel bonheur !  Oui, c'est encore nous, toujours nous, les éternels Français qui ne peuvent vivre trop longtemps loin de votre île, loin de cette vallée de Caprile où règne un soleil défiant la mauvaise saison, oui, vous avez raison, il n'existe pas de mauvaise saison là où les gens sont pleins de bonté, et vous la première ... 

Vous semblez fatiguée, ne voudriez- vous me confier votre gentil compagnon si ces promenades vous épuisent surtout en cette saison ? Oui, je m'en doutais, le froid réveille vos douleurs aux jambes, eh bien, disons demain matin ?Je le lâcherai en paix sur le sentier facile menant à la migliera, un ami ? Ah ! il va y rencontrer un ami ? J'en suis absolument certaine, et ravie... un ami d'ici ? J'ai compris, Rosetta, cara signora Rosetta, vous êtes l'envoyée du Ciel ou des Sirènes ou des deux, non, de la Madone de la Mollicara, je prends tout ! à demain, mais nous avons un moment pour bavarder...bien sûr! et demain matin assez tôt,, rendez-vous devant chez vous, je serai ravie d'affronter vos marches, cela me réchauffera ! 

Non, ne me remerciez- pas, vous m'offrirez des citrons, oui, des oranges, excellentes, c'est le mois des oranges, le mois béni des dieux  ! même les Sirènes au fond de leurs grottes se régalent d'oranges !"

A bientôt pour la suite de ce Roman à Capri, 

 Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix



Bernardo Hay circa 1884

                                                                                           Pergola à Capri
                                                                                        Collection privée

                                                                    

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