jeudi 11 avril 2024

Lundi de Pâques à Capri: La maison ensorcelée partie II Chap 7


 La maison ensorcelée

 Seconde partie Chapitre 7

 Lundi de Pâques à Capri

 Nous avions décidé d'aborder à Capri à Pâques, sans savoir qu'une pyramide de complications , obligations, ennuis aussi divers que pesants, se dresserait jour après jour devant cette résolution fervente et parfaitement incomprise de nos proches. En particulier du véhément Fils dernier proposant une escapade,  beaucoup moins onéreuse à son avis, vers les Cyclades, histoire de nous faire réaliser que Capri n'était qu'un gros caillou suscitant une vague nostalgie et beaucoup de bruit pour rien. Sa mauvaise foi avait beau être évidente, elle accentua en moi le confus désenchantement qui me hantait depuis que nous avions enduré sur l'île à la fois le froid de janvier et l'état de ruine avancée de la maison ensorcelée.

 Allions- nous aimer encore et toujours ce rocher  sublime et menaçant, en le sachant vaincu, abandonné de ses fées de la mer , de ses Atlantes, de ses pirates grecs et de ses hardis pêcheurs de corail ? Pauvres montagnes dominant de leur majesté austère une foule bruyante fort peu encline à chercher silence et solitude sur les sentiers du péril, ou à s'égarer parmi les oliveraies mystérieuses enfouies sous les broussailles... 

Je pensai aux voyageurs vantant le charme inoffensif des couleuvres d'avril, et au mythe du gros serpent noir gardant l'âme de Tibère en son effrayante forme , et à ma mélancolie s'ajoutait ma phobie à l'égard de ces charmantes créatures. Je n'osai demander à Fils dernier s'il existait pareil danger à Corfou ... Mais j'eus la présence d'esprit de me souvenir que nul ne nous attendait patiemment sur l'île adorée par la famille Durrell, et que mon grec appris au lycée ne m'aurait permis que de bafouiller lamentablement face à un aimable berger vivant au temps de Xénophon.

"Capri vous attend' assurait les messages déferlant sur nos portables, Capri ne pouvait nous trahir,  nous avions décidé de revenir à Pâques, il fallait oser et prendre les billets aux horaires absurdes de la compagnie la moins coûteuse et la plus fantasque.et n'écouter que son coeur. Je fis semblant d'écouter les conseils raisonnables et n'en suivi aucun. 

  Fête de Pâques en famille oblige, nous ne revîmes pas Capri sous les cloches à toute volée, mais le lendemain, en oubliant  que nous étions sous le joug de l'heure d'été, qu'un jour férié rendrait le voyage facétieux, et que les heures de bateau changeaient en l'honneur de la saison touristique dont le rideau se levait sur les futures comédies ...

 La traversée des airs, puis celle du golfe fut un exploit  qui nous sembla tenir du prodige ; l'avion était en retard selon l'habitude ; de la maudite compagnie, mais à notre extrême soulagement, le bateau le plus véloce en avance, en fin de compte, notre étourderie nous portait chance !  l'admirable Antonio qui nous avait vaillamment espéré une longue heure devant l'aéroport, sous l' impitoyable soleil  de ce début de printemps Napolitain, fut trop heureux de nous jeter sur la passerelle,  nantis d'un plat de macaronis et du gâteau de pâques traditionnel cuisinés avec amour par sa virevoltante épouse:

 " Veronica a eu si peur que vous ne trouviez rien à manger ce soir; c'est le lundi de Pâques, l'aviez- vous oublié ?  Non, ne me remerciez- pas, nous aurions été si tristes de vous imaginer affamés et épuisés, quel triste retour cela vous aurait semblé, vous qui étiez si impatients de revenir après ces six mois loin de l'île ! "

 Le bateau s'élança, fougueux et impétueux, presque vide,  si ce n'est une poignée de capriotes encombrés de sacs de victuailles, et une jeune Russe aux courts cheveux platine, aussi haute qu'une tour, trébuchant avec effroi sur  des talons aiguilles d'une hauteur aussi extraordinaire que sa propre taille, au vif intérêt des quelques hommes d'équipage.

 Frappée d'éclairs, cernée de murailles vaporeuses, la mer était d'argent pur. Nous étions enfermés au sein d'un monde de nuages et de brume, ni Ischia, ni Procida, ces îles voisines et lointaines, ne guidaient notre route. Au milieu absolu du golfe, notre bateau dansait sur les volcans invisibles, les cités englouties, nous flottions sans volonté, soumis au peuple de la mer. Comment osions- nous bouleverser  ses créatures de notre vive allure de barbare ?  Q' allaient penser de nous les déesses aux cheveux verts, aux yeux d'aigue-marine qui se plaisent tant à jouer au sein du cristal liquide, piqueté de bouquets d'or et de soleil rose ?

 Soudain, un dauphin bondit  comme pour nous souhaiter la bienvenue, je poussai un cri de bonheur et nous franchîmes la passe agitée, l'île  qui se faisait désirer depuis le début de la traversée, surgit nette et hautaine de ses brumes, moqueuse et majestueuse. La citadelle de nos espoirs défiait les tumultes du monde et nous ouvrait sa porte d'éternité.

La tempête annoncée eût le bon goût de se tapir dans un coin et de nous laisser l'illusion d'une douceur invaincue. Le premier taxi de la saison nous félicita de notre choix judicieux, le lundi de Pâques, nous aurions la paix ! les touristes ne sont pas encore arrivés, rien n'est ouvert ou presque, si vous vouliez voir des gens et louer un gozzo, alors, il fallait venir à la fin du mois ... .Même les restaurants sont fermés aujourd'hui, ah !vous avez de la nourriture ? Je suis content pour vous, bien, vous voilà arrivés, non, ne me donnez pas autant, je vous connais tout de même ! " 

Personne sur la Piazza Caprile d'habitude hurlante ...

 Mais une brise parfumée se lève à l'instant précis où nous poussons le petit portail du jardin blotti au bas du noble escalier aux balustres blancs de cette partie d'ancienne Villa bâtie par un excentrique de la Belle- Epoque, qu'Antonio nous loue avec gentillesse, si d'aventure elle est libre, quand l'envie de revoir Capri s'empare de nous, et que nos moyens sont suffisants pour cette folie. Tant de conditions afin de mériter de rejoindre les âmes flottantes des amants de Capri ! J'invoquai encore une fois le vieil et terrible romantique de la Villa San Michele, ce docteur Axel Munthe qui parti de rien rebâtit une antique Villa sous l'égide du fantôme de Tibère ; sur l'île, les plus folles histoires sont toujours vraies ... il ne manquait que la nôtre, mais nous étions bien éloignés d'ouvrir en propriétaires la porte de cette pauvre maison qui s'était solidement enracinée dans la tête de l'Homme-Mari, et au fond de mon coeur.

 La clef de la Villa arborant un nom un tant soit peu arrogant en langue germanique tourna avec la rudesse habituelle, et malgré les volets fermés sur les fenêtres à meneaux, la grande salle brilla de tous les feux du soleil d'avril afin de nous saluer, nous ses habitants saisonniers, éphémères, mais si fidèles et si dévoués. Les gravures choisies par nos soins en guise de Merci tranchaient sur la blancheur des murs, l'énorme tableau représentant une ferme désuète s'étalait toujours au-dessus d'un des sofas blancs comme neige, et l'étrange vue du jardin de la maison ensorcelée garnissait irrémédiablement la minuscule tourelle. 

Quel tableau ! comment ne pas s'étonner d'y voir le sosie de notre Fils Théodore, (ou du moins tel qu'il serait  dans la force de l'âge) accoudé sur la balustrade de sa terrasse ? Cette belle terrasse qui brillait sous le pinceau du peintre, solide et élégante comme nous ne la rêvions, nous qui l'avions découverte délabrée et couverte de plantes enchevêtrées.

Finalement, le plaisir infini du retour sur l'île tenait aussi à ce fil, à ces retrouvailles avec une partie de maison ancienne que nous gâtions à l'instar d'une personne aimée, et qui ne nous appartiendrait jamais !

 L'heure de la passegiatta vespérale carillonna autour des jardins fleuries de clochettes jaunes et fit frémir les treilles aux glycines épanouies. C'était le moment de renouer avec Anacapri, on ne savait jamais ce qui aurait pu advenir à ce village immuable ...D'ailleurs, selon une tradition établie, nous nous devions de remonter jusqu' au Sphinx juché sur son parapet au bout de la via Capodimonte, créature de granit rose importée par Axel Munthe des entrailles d'une Villa de Néron au bord de l'Adriatique, juste en dessous de ce pesant monument, la mer frappait de sa rage les antiques bassins du Palais conçu par Auguste et achevé par Tibère qui aurait eu le très mauvais goût d'y élever des murènes ...

" Des hymnes d'esclaves aux murènes"... Indifférent à cette bribe de la Chanson du mal-aimé, l'Homme- Mari me pria de me hâter au lieu de réciter de la poésie.  Comment parler de poissons cannibales à Anacapri le soir du lundi de Pâques ? A défaut d'une aussi épouvantable rencontre, ce furent quelques sourires amusés qui nous escortèrent et un sillage de jasmin le long des venelles du coeur secret d'Anacapri, j'avais oublié où il fallait obliquer afin de déboucher sur la Casa Rossa, massive construction rouge clair, arborant sa fameuse devise en grec ancien: 

"Salut à toi ô citoyen du pays de l'oisiveté !"

Or, ce soir -là, les citoyens oisifs avaient manifestement fort à faire, et le silence s'étendait sur le village aux pergolas fleuries . Puis une exquise dame apparut, vive et alerte en dépit d'un âge respectable, c'était la charmante couturière des enfants sages, une personnalité romantique du village, infatigable et aimable.

 "Vous êtes de retour,  c'est bien, où pourriez- vous être mieux qu'ici ? Venez demain, j'ai beaucoup de nouveaux vêtements à vous montrer."

L'art de ne jamais perdre la bonne étoile ... Bien sûr que je viendrai, comment bouder cette dame pétulante cultivant la jeunesse d'esprit grâce à son amour envers les plus petits ?

 Deux  minutes plus tard, nous voici en train de remonter la via Capodimonte, l'atmosphère paisible s'alourdit, le vent descend des pentes rocheuses, et secoue les Pins Parasols accrochés sur les belvédères et vergers. Nous passons devant des boutiques fermées, celle de nos amis y compris, le soleil vacille, le souffle du vent se renforce, un long hurlement monte de la mer, le ciel vire au gris et nous voilà en face de la tempête rugissante, s'exténuant contre les écueils en contre-bas, et  nous jetant son ire en pleine figure.  Le paysage de roches entassés et de pins fragiles vibre  et gémit, le corridor étroit menant aux premiers marches de la Scala Fenicia retentit de vociférations démoniaques, les falaises tremblent,  et nous rebroussons chemin, vaincus par ce qui ne sera jamais vaincu: la loi des éléments sur une île qui ne se donne qu'en apparence et n'appartient à personne.

Demain sera plus pacifique, demain sera le jour des retrouvailles avec les hommes qui luttent, travaillent, espèrent et se désespèrent, ce soir, l'île clame son indépendance hautaine.

Et nous courons, nous avouons notre humilité, nous la supplions de nous épargner de sa saine fureur.

 La maison heureusement n'est pas loin, et à peine  entrés en ce refuge immaculé, la tempête s'échappe vers le ciel déjà brouillé par la nuit, la mer sanglote doucement, et les oiseaux  un moment opprimés,  lancent leurs chants soulagés sur les pergolas échevelées.

A demain, pour une aube de printemps sur une île qui ne dort jamais que d'un souffle...

Nous n'avons pas eu tort de revenir, je pressens  déjà les surprenantes péripéties qui nous attendent durant ces rapides journées à tenter le hasard sur la passerelle oscillant entre visible et invisible, réalité et éternité ...La maison ensorcelée nous attirera-t-elle encore ? Vaincrons- nous cette obsession absurde ?

Le sort sera-t-il bon prince ? Demain ...Dans le verger voisin, un paon grince son cri, un coq annonce l'aube à minuit, un chat saute sur une tonnelle, la nuit ne dort que d'un oeil sous la protection du Monte Solaro cerné de volutes d'opale et veillé par une ronde d'étoiles. 

A très bientôt!

 Nathalie-Alix de La Panouse

 Ou Lady Alix

Chroniques littéraires depuis 2015

 Roman à Capri La maison ensorcelée première partie

Roman épistolaire ;"Les amants du Louvre" ou  Talleyrand et la comtesse de Flahaut

Souvenirs d'une malle parisienne

 Articles sur Capri 


Place d'Anacapri, sur le puits, une chèvre grimpant sur une échelle :
C'est l'emblème de ce village blotti sous le monte Solaro
 Isola di Capri,  Lundi de Pâques 2024

Photo: droits réservés Vincent de La Panouse









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire