Petit miracle de San'Antonio, protecteur d'Anacapri et prodiges de la Cala di Tombosiello
Roman à Capri
"La Maison ensorcelée" seconde partie Chapitre 8
Dans un chapitre de son roman copieux, désordonné, et terriblement attachant," La Villa San Michele" le très sage et très fou Axel Munthe conte l'odyssée fantasque d'un humble télégramme dansant de la façon la plus extravagante au sein du village d'Anacapri, sur lequel ne cesse de veiller le bon San'Antonio, spécialiste des choses perdues qu'il a vocation de vous aider à retrouver.
Amours en fuite, bagues de fiançailles envolées, chèvres égarées, raison perdue, passion de la vie en chute libre, que sais- je ? L'éventail des miracles de San' Antonio, Saint Patron incontesté d'Anacapri, ne craint jamais de s'élargir. Sa réputation de bienfaiteur débonnaire augmente avec les années, et pas seulement sur les hauteurs de l'île de Capri. San' Antonio est fêté comme sa bonté le mérite chaque 13 juin, porté en triomphe et glorifié par une messe fervente et joyeuse, pendant laquelle les violons se gardent de sangloter, les chants de soupirer et les gentils caniches d'aboyer.
J'avoue une prédilection envers Axel Munthe, docteur coûteux des Dames du beau monde en détresse nerveuse, médecin des pauvres sans jamais leur demander un sou; et sauveur invétéré des animaux abandonnés en ses jardins d'Anacapri. J'envie la Nonna de notre ami Salvo qui était son ami. A chacune de nos escapades îliennes, ne fais- je le voeu impossible de vivre à notre façon le roman de San Michele, ne sommes- nous épris nous aussi d'une ruine ?
Une pauvre cabane encore romantique, avec son portail tarabiscoté et sa terrasse orné de balustres, une quasi ruine qui a toutes les chances (c'est une fatalité à Capri) d'être assise sur un vestige grec ou romain.
Certainement, une ancienne Villa d'Auguste, de Tibère, de Caligula, ou d'un patricien obligé de bâtir sa villégiature au pied des douze palais dédiés aux dieux de Rome qui surgirent des rocs et creusèrent les falaises.
Nous rêvons en priant San' Antonio, mais pour le moment, le patron d'Anacapri nous accorde une oreille distraite, se soucie des seuls habitants de son gros village, et n'a cure de ces Français errant à travers les oliveraies incultes en infligeant un mauvais italien à leur patient prochain insulaire.
Du moins, c'est ce que je croyais ... Or, en toute bonne foi, San' Antonio vient de nous affirmer qu'il éprouvait une certaine sympathie à notre égard en nous aidant à retrouver un objet non identifié par la gent Anacapriote, et dont la perte avait assombri considérablement l'humeur de l'Homme- Mari.
Hélas, en dépit de cette bonne volonté, San'Antonio se refuse toujours à accomplir le miracle dont nous lui rebattons les oreilles, dont nous l'accablons à l'heure de la sieste: celui de nous aider à acheter à un prix français cette maison ensorcelée en si mauvais état, et dont le prix capriote s'accroit au fur et à mesure que son délabrement pétrifie d'horreur voisins étonnés, et promeneurs de pétulants caniches.
Toutefois, durant ces fugaces journées vouées aux marches à travers bois et vignobles, chemins de traverse et escaliers de pierre lissées par des générations de chèvres, ou de descendants des Atlantes légendaires, ou encore des Grecs aux yeux de mer, au fil des péripéties d'une touchante cocasserie, le sens de l'humour des deux protecteurs d'Anacapri, le bon San' Antonio et le bon docteur Axel Munthe, se révéla souvent à nous.
Ce fut d'abord une sorte de "Grand tour" de la via Caprile à la via Capodimonte, en passant par la via Giuseppe Orlandi, jusqu'au seuil de la Villa San Michele, avec une course vers la Villa "Mein Welt" qui nous abrite en un de ses vastes replis. A vrai dire, nous venons de vivre une réédition divertissante de l'épisode du télégramme maudit ! Rien de très grave, ni de digne des chapitres d'un roman sérieux, rien de vertueux, rien de pesant, juste une comédie jouée avec un remarquable entrain par des acteurs improvisés, qui ignoraient les affres du début et se sont beaucoup amusés à prononcer le mot de la fin.
Quant à la morale à tirer de cette anecdote, franchement, je n'en vois aucune, mais j'ai dans la tête la mine réjouie du bon docteur Munthe coiffé d'un chapeau avachi, tout le contraire de mon fantôme si désuet et si raffiné. Cet homme immatériel semblait avoir le bon goût de ne plus me lancer notre obscur passé à la tête...Cela n'allait pas tarder mais ce répit m'était salutaire. Au diable les amours mortes ! Surtout celles dont on ne garde qu'un éclat lointain entre deux songes nocturnes.
Au diable les fantômes, sauf celui d'Axel Munthe qui reste avant tout un spectre littéraire, donc inoffensif.
La plaisanterie du télégramme qui fit le tour d'Anacapri emprunta une forme presque identique à celle dont nous fûmes les acteurs innocents.
Au début du vingtième siècle, Axel Munthe, occupé à remonter les ruines d'une Villa de Tibère avec un aréopage de dévoués paysans, refusa de reconnaître pour sien un maudit message que les autorités spirituelles du village déclarèrent écrit en hébreu ou dans le code secret de Tibère. durant une longue journée d'angoisse, le télégramme jeta Anacapri dans une sombre perplexité.
Au soir, anéantie, la malheureuse Maria Porta- Lettere, infatigable factrice ne sachant pas lire un mot des adresses de son courrier, supplia le docteur d'avoir pitié de sa vache qui attendait au logis, et de lui garder ce papier maudit jusqu'à l'aube. Certainement, ce message annonçait une guerre ou la mort du roi. Mais, qu'y faire ?
La nuit porterait conseil à tout Anacapri en état de panique absolu !
Après deux bouteilles de vino bianco, Axel se demanda si le télégramme abhorré avait une chance de lui être destiné... Et la voix furieuse d'un ami suédois, épuisé d'avoir gravi les 777 marches de la Scala Fenicia, lui ôta son doute affreux ...Le télégramme avait fait une ronde autour d'Anacapri, jamais personne n'en avait vu un d'aussi près ! mais San'Antonio l'avait tout de même guidé vers celui qui avait refusé que la poste fonctionne au Paradis.
Pour nous, tout débuta sous le frais soleil d'avril, en profitant d'une lente déambulation de places éclatantes de lumière, en venelles étroites dérobant des jardins extraordinaires. Nous arborions un sourire aux lèvres et éprouvions une grande paix au coeur.
Nos retrouvailles avec Anacapri se déroulent toujours de la même façon, d'abord, une avancée sur la pointe des pieds au sein de la boutique, drapée de belles étoffes et fleurie de majolique, où officient le père et sa fille, Salvo notre ami, et la bellessima Giulia, unis dans un même souci de gentillesse et de patience envers les voyageurs un peu décontenancés à la sortie de la visite de la Villa San Michele.
La première a nous deviner, c'est Giulia, et c'est la première à ouvrir ses bras, puis, son père nous donne l'accolade, et le caniche de la famille, répondant au prénom éminemment français "Chèrie," blanc comme neige, lavé de frais, regard brillant, se précipite en manifestant sa joie. nous fondons presque en larmes de joie nous aussi, et nos langues n'en finissent plus de dévider le long fleuve des mois d'absence. Ensuite, il est urgent de saluer Arturo, l'opticien-écrivain-violoniste et sa charmante moitié aux regard de braise.
A force de raconter , de plaisanter, d'agiter les mains et d'essayer les créations poétiques, lunettes vertes comme la grotte verte, bleue comme la grotte bleue ou rouge comme la grotte rouge, nous en oublions jusqu'au client qui testait sa vue, or, ce dernier, philosophe à la capriote, écoute, se divertit et cultive l'art sublime de l'altruisme... Nous nous répandons en "Mi dispiace" et nous enfuyons honteux et confus, pendant qu'Arturo nous propose un rendez-vous en bas, autrement dit dans un restaurant du bourg de Capri qui offre l'avantage inouï de rassembler une clientèle typique au coeur de la ville la plus envahie au monde...
Un pas plus loin et la romantique et minuscule reine des vêtements d'enfants sages, la Signora Tina, déploie ses robes de contessina ou principessa, elle titille notre convoitise, avec une maîtrise courtoise et un sens de la psychologie qui n'appartiennent qu'à elle.... Son âge est un mystère que nous ne désirons nullement élucider. Donna Tina est un monument naturel de l'île !
Puis, voici les achats d'oranges des vergers alentour chez deux dames toujours amusées de revoir ces indéfectibles Français qui poussent des clameurs admiratives en s'imprégnant de la senteur acide des citrons énormes et du parfum enivrant des tomates trop mûres.
Le fleuriste- droguiste du bout de la via piétonne, conserve son visage énigmatique de pêcheur fumant sa pipe face à un orage. Dans son magasin garni jusqu'au plafond, on parle à voix feutrée, on s'approvisionne en nourriture pour chats et canaris, bouquets de fleurs, articles de bazar et cyclamens roses. En reconnaissant encore une fois les Français de la Villa, ce monarque en son royaume esquisse un vague salut derrière son comptoir, et nous envoie aussitôt son petit-fils, mince, affable et taciturne et maître en l'art de bâtir des bouquets somptueux sans se départir de l'impavidité familiale.
Les bras chargés de pots de marguerite, jaune et mauve, grondée de cette folie par l'Homme- Mari qui me démontre qu'offrir des fleurs à son jardin de Capri, qui d'ailleurs ne m'appartient pas, revient à jeter de l'eau à la rivière, je laisse à mon époux le soin de s'expliquer avec le boucher doué d'une verve assassine et d'une corpulence rassurante, avant de prouver mon respect aux Carabiniers dont la caserne garde l'entrée de notre allée.
L'Homme-Mari est revenu ravi de son choix et encore davantage d'avoir eu une inspiration en pleine rue.
C'est décidé, les deux portables vont être mis au frais, oubliés, et, libres à l'instar des chats de la communauté féline d'Anacapri, nous irons par les traverses romaines, grecques ou simplement anciennes, affronter le sentier dei Fortini du côté du Faro, afin d'approcher par les sentiers vertigineux, la Cala la plus resserrée, la plus mystérieuse, la plus périlleuse de l'île, celle qui fait trembler même les marins éprouvés, et qui sera notre exploit maritime dés que la bonne fortune daignera nous ramener à Capri. Affronter la prodigieuse cala di Tombosiello: voilà un défi digne des exploits d'Ulysse ! Sur l'horizon, ce projet exalte notre passion capriote et nous reverdit d'importance ...
Je suis enchantée, tout en réclamant une faveur: celle de saluer notre ruine, ce qui ne prendra qu'un instant d'émotion, avant de rendre sa gentillesse de l'automne présent à la Signora Rosetta, logeant au-dessous, au bout de 77 marches taillées pour les Atlantes ou un troupeau d'éléphants. Chère et douce, pétillante Signora Rosetta, habile jardinière, coeur généreux, dont je me repens encore d'avoir emprunté le gentil caniche en plein hiver, inspirée par un vaste et sombre dessein: rencontrer le voisin dominant le jardin abandonné qui hante mes rêves d'enfant.
L'Homme- Mari me confie qu'il redoute la vision affreuse d'une maison saccagée, peinturlurée par des mains criminelles, et cernée d'un océan de ronces ... Heureusement, le repas, fenêtres ouvertes sur les pentes vertes et les maisons blanches du Monte-Solaro, lui rend ses forces et une certaine souplesse. Allons, ne va-t-il obliger son épouse bien-aimée à marcher sur les pierres aigues des sentiers en surplomb de terrifiantes pentes abruptes ? Tout cet effort dans le but de considérer d'un Fortinio juché au-dessus du vide, la mer rugissante et plus loin un gouffre bleu et vert façonné par les dieux afin d'y sommeiller pour l'éternité...
"C'est d'accord, tu as raison, la Signora Rosetta va adorer goûter tes chocolats en prenant son café, quant à la maison, mieux vaut affronter la réalité."
Or, bizarrement, à première vue, au bout du chemin rocailleux dominant un immense verger, le jardin abandonné ondule sous ses vagues de fleurs mauves, rouges et jaunes, le portail vert reste solide, l'escalier noble et imposant, le sortilège nous saute à la figure et l'angoisse de la découverte à la gorge; nous avançons, le même cri de détresse nous échappe. Le grand portail est tombé, des ordures envahissent le bassin, des détritus s'entassent un peu partout.
Pourquoi ? "Oui, pourquoi ? " dit la Signora Rosetta, ravie de son cadeau français, et attristée par nos mines moroses. Elle a compris à quel point nous étions attachés à la vieille maison qui souffre tant de cette inexplicable et injuste incurie.
" Tenez, mangez ce gâteau de Pâques, cela vous consolera un peu ! Regardez comme mon chien semble content de vous revoir lui aussi ! C'est une bonne idée d'aller vers le Faro à traversant le bois, attention à ne pas glisser, vos chaussures sont toujours trop élégantes, Signora ! Montrez- moi donc une photo du mariage de votre fils, celui qui ressemble tant au bel homme qui habitait au-dessus il y a si longtemps, j'en ai tellement entendu parler que je m'imagine parfois bavarder en sa compagnie, tous les deux assis en haut des marches, juste devant le portail tombé par terre... Quelle tristesse.
Ah ! qu'ils sont beaux ces nouveaux époux ! comme vous devez être fiers ! Prenez garde, Dottore, votre portefeuille laisse s'échapper vos papiers... "
L'Homme- Mari remet la belle photo parmi ses cartes, remercie de sa sollicitude la gentille Signora Rosetta que j'embrasse comme une amie, et nous nous quittons après avoir respiré les suaves parfums de son verger cultivé avec un amour infini. Ce jardin des Dieux semble flotter, bien au-dessus des miasmes morbides, cultivé en terrasse sur la vallée secrète de Caprile, c'est une odorante oeuvre d'art où les tomates étincellent à l'instar de rubis et les salades se parent de reflets d'émeraude.
Justement, la Signora Rosetta insiste pour déterrer sa plus ronde laitue et m'en remplit les bras: l'art de vivre capriote se conjugue avec la générosité de l'instant ...
La jardinière talentueuse n'oublie pas d'ajouter deux citrons dodus, et me conseille de boire leur jus afin de ranimer ma pâleur (Ai-je l'apparence si maladive ? Alarmée, je brandis mon tube de rouge à lèvres comme une arme défensive !).
"Vous manquez de vitamines et de soleil, cara Signora, prenez le temps de ne rien faire du tout, d'un autre côté, je vous dis ça, mais moi, si je ne travaillais pas au jardin, j'en mourrais. Alors, plantez des fleurs ! Non, il n'y a jamais trop de fleurs pour être heureux sur l'île, votre époux se trompe, continuez à planter ! Vous n'avez pas de maison ? On n'a pas besoin d'être propriétaire de sa terre, il suffit de l'aimer, vous n'êtes pas d'accord ? Ah !Priez San'Antonio, s'il vous aime bien, un jour, vous deviendrez mes voisins, et je vous apprendrai à faire la Torta Caprese.
Revenez me voir, et passez -moi un coup de fil avant votre visite, sinon, si vous sonnez à l'improviste, je serais en train de soigner mon potager et je n'entendrais que les mouettes, elles en font un tapage ! Et, puis, vous savez, même à Capri, il y a parfois des méchantes gens qui s'invitent chez vous et cherchent vos économies. Le Paradis, c'est vite dit, le continent nous amène des mauvais visiteurs. Grazie a Dio, mon chien aboie fort !"
La belle salade serrée contre mon coeur, les citrons dans les poches de l'Homme-Mari, nous remontons piazza Caprile où par un hasard inespéré, j'oublie que le hasard n'existe pas à Capri, le bus du Faro nous ouvre sa porte. il est vide, à l'exception d'un couple élégant qui à notre vif agacement échange des lamentations en français. comment survivre dans un bus vide allant vers nulle part ? Je les fais sursauter de joie en les rassurant, ils ne risquent rien ! Le Faro étonne même les voyageurs qui ont décidé de ne plus s'étonner, et avec un peu de chance, peut-être y apercevront -ils des dauphins qui eux aussi ne s'étonnent de rien, ce sont les philosophes de Poséidon ..
Mais, existe-t-il un bon restaurant de ce côté ? Ils ne se doutaient pas que l'île soit si sauvage en début avril ! on s'imaginerait presque remonter le temps, quelle étrange impression... Je ne sais quoi répondre, et j'avoue que nous nous disposons à arpenter les sentiers romains vers la plus dangereuse "cala" de l'île.
Les aimables sujets du roi Philippe, soupirent d'admiration face à ces Français qui osent prendre des risques ! Et nous prenons gentiment congé, en nous sentant les héritiers fiers et hardis des compagnons d'Ulysse qui prenaient l'aventure à pleines mains sans se poser trop de graves questions...
Le chauffeur nous désigne un point très éloigné, en contre-bas, et nous souhaite beaucoup de courage !
Comme il a raison ! Les chemins empierrées torturent les marcheurs même aguerris, il faut descendre, remonter, respirer face au précipice ouvert sous vos pieds, se cramponner à une branche, puis glisser sur des escaliers qui vite se métamorphosent en nouvelles descentes herbeuses, avant de vous prodiguer la vue sur la mer vide, d'une pureté extravagante, ses vagues tissées d'améthyste liquide pourfendant les rocs sans se lasser, puis étreignant d'une coulée d'aigue-marine, pareille à la chevelure désordonnée d'une néréide, l'étroite passe de la mythique cala di Tombosiello,
L'air est parfumé de thym, de fleurs inconnues, de romarin chauffé au soleil, le gouffre nous nargue, séducteur infernal, le vertige me tire en avant et l'Homme- Mari en arrière.
Franchirons- nous vraiment en septembre la minuscule porte de ce sanctuaire où nagent encore dauphins en mal de refuge, et princesses marines veillant sur le dernier palais des Sirènes ? Nous escaladons, rêveurs, (le rêve n'est-il l'élément capriote par excellence ?) les âpres remparts du Fortinio del Pino, et longeons le sentier à pic menant gaillardement vers les bosquets de Pins noirs; ces farouches gardiens des marches taillées à même le rocher par les Pirates Grecs, soldats Romains ou braves paysans capriotes comme on voudra !
Un serpent vert clair s'enfuit au creux de son mur (bel exemple dit l'Homme- Mari, de l'opus reticulatum romain) mais pour une fois, le spectacle de ces vestiges de l'Antiquité ne suffit à m'ôter ma peur instinctive, me voilà clamant ma terreur comme si Poséidon me frappait de son trident et l'Homme- Mari, en mari classique, se moque de sa Femme- Epouse.
Deux heures après ce flot d'émotions pittoresques, nous ranimons notre vaillance de hardis explorateurs au Bar Grotta Azzura, au début de la rue piétonne Giuseppe Orlando, les yeux accrochés au Monte-Solaro qui se pare de fauve à l'approche du soir. .L'Homme -Mari ouvre son portefeuille et constate que sa carte vitale, une invention purement française, s'est échappée vers un autre lieu.
Je tente de calmer son effroi, son énervement, sa colère, et lui promet que ce document dénué de la moindre importance à Capri tant qu'il reste en parfaite santé, sera de retour au plus vite, il me suffit de faire un tour chez nos amis, nos commerçants, et de reprendre nos itinéraires. Quoi de plus facile ? L'Homme-Mari hausse les épaules, le drame est achevé, la maudite carte a dû choir au fond de la cala di Tombosiello, et susciter le rire des Sirènes."
N'en parlons- plus." dit-il sombrement de manière à me faire sentir l'intensité de son découragement.
Or, je suis une bonne épouse, et aussi une Anacapriote de coeur, je connais la solution au malheur, tout relatif, s'abattant sur l'Homme- Mari. une prière au bon San'Antonio et beaucoup d'efforts...
Me voilà en chasse de la carte française dans toutes les boutiques, le nez par terre, et le dos courbé, au ca où l'infernal document m'attendrait sur un banc de majolique, une ancre de bronze, un puits, un escalier, au hasard d'une venelle ou même sur le comptoir du Bar Grotta Azzura... en récompense, je reçois la compassion de tous, une immense vague de gentillesse se gonfle sur mon sillage, mais son écume a beau bruire, aucune carte "extraordinaire, un télégramme ? Non ? La carte bancaire? non ? Alors quoi d'autre ? Ah ! une invention française ! Pauvre Signora ! Personne ne l'a vue, personne ne sait ce que c'est ! Priez San'Antonio, que pourriez- vous faire d'autre ?"
Je prie encore une fois sur les ailes du soir rougeoyant, et décide que la comédie est finie ! L'Homme-Mari a mieux à faire que se lamenter. Ne recevons- nous toute une famille caprese à dîner ? On va bientôt nous livrer des plats que nous prétendrons avoir cuisiné avec soin et amour toute la journée, je dois me hâter et oublier cette étourderie si habituelle en voyage.
La beauté placide et réconfortante du Monte-Solaro cerné de volutes mauves a adouci l'humeur de l'Homme- Mari qui me confie n'avoir pas dérangé le repos de nos deux portables afin de se consacrer à la préparation de ce tour de force que reste un dîner soi-disant français à Anacapri. J'entends vaguement une rumeur, mais notre livreur vient de remplir sa mission, les amis ne ne nous rejoindront, certainement un peu inquiets de notre menu, que bien plus tard. Je n'y suis pour personne, sauf, les chats du voisin...
Or, le vacarme s'intensifie, la sonnerie tinte avec rage, et du côté de notre tourelle, campée sur sa terrasse éclairée par la somptuosité pourpre du couchant, la voisine- carabinière lève se bras vers le ciel, puis dans notre direction, et clame quelque chose que je comprends pas du tout !
Quel dieu disparu invoque-t-elle ? Déjà eux ? Ne bouge- pas, j'y vais, s'écrie l'Homme- Mari.
Par quel prodige nos amis toujours en retard fondent- ils sur nous en avance ? Ciel ! je cache les sacs portant en belles lettres bleues le nom du traiteur, secret d'état ! Gravissant l'escalier comme des chèvres capriotes, la famille invitée se répand en explications, embrassades, cris de soulagement, et l'Homme- Mari pétrifié sur place me tend sa carte vitale miraculée !
"Pourquoi ne répondiez- vous jamais ? se plaint Salvo, "Nous n'avons cessé de vous appeler !" renchérit Flavia tandis que Giulia se tord de rire en contant tout ce roman improvisé.
Tout Anacapri a couru pour nous ce soir, carte vitale en main ! Du trottoir devant le fleuriste, elle est arrivée au Bar, à côté, mais nous étions déjà enfuis, heureusement, la fille de la Signora Tina qui achetait des gâteaux, a eu la bonne initiative de prendre la carte, et de l'amener à sa mère puisque la Signora Francese est une bonne cliente et une amie. Donna Tina a demandé conseil à la Signora Felicia venue lui dire bonsoir, les deux dames ont décidé de porter l'embarrassante carte à Arturo, serait-ce un document compromettant ?
La photo était bien celle du Dottore Francese, mais était- ce bien une carte bancaire ?
Que devait- on en faire ?Arturo, toujours plein de ressources face aux tragédies futures, confia ses clients à Lena sa belle et douce épouse, et courut jusqu'à la via Capodimonte, Salvo était sur le point de fermer, mais il comprit aussitôt la gravité de l'affaire, hélas, nous semblions sourds ! Et si nous avions été victimes d'un accident ? Quelle idée de frôler les gouffres ! Angoissé, Salvo manda Flavia à la rescousse, Giulia, à bout de nerfs, pressa ses parents et voilà la raison de leur déferlement ! Nous étions vivants , et la carte ? Ah ! Vitale ? Une carte de vie ou de mort ? "
"Ah! vous avez prié San'Antonio ? Eh bien, il vous a écouté subito presto, c'est la preuve que vous devenez vraiment capriotes ... Comment ? Pas de mozzarella dans l'insalata ? Une salade à la mode française ? Enfin, nous vous aimons beaucoup, vous savez ... Mais San'Antonio s'est montré indulgent!"
A bientôt pour la suite de ce roman-feuilleton à Capri,
Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix
Capri : la Cala di Tombosiello ou le sanctuaire des princesses de la mer,
Vue d'en haut, du côté du Faro d'Anacapri
Crédits photo réservés Vincent de la Panouse, avril 2024
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire