vendredi 28 juin 2024

Les violons du Palais Cerio:"La maison ensorcelée" ou Roman à Capri Partie II chap 12



 Les violons du Palais Cerio

 La Maison ensorcelée Partie II

Chapitre 12

 Nous avions beau nous sentir capriotes de coeur, d'âme et de corps, nous avions beau frémir à la moindre nouvelle émanant de l'île, lue avec épouvante le matin sur nos écrans ou dans les pages des journaux, secousses du Vésuve, pénurie d'eau potable à Capri,, tempêtes l''hiver, afflux démesuré de touristes  l'été, nous n'étions même pas d'enviables et enviés mortels se glorifiant du somptueux titre de Résidents.

 A l'interrogation que l'on me posait d'un ton assuré  quand je priai au port de Naples, Molo di Beverello ou Porta di Massa selon les saisons, que l'on me vende:

" Due biglietti per Capri, solo andante per favore, grazie mille !"

 "Residente ?", je soupirais et avouais comme s'il s'agissait d'une faute impardonnable:

" No, forse un giorno,   ma non ancora ..."

Ce jour avait toutes les chances de ne jamais poindre, mais "nella bocca del luppo!" comme on se souhaite la bonne fortune en Italie !

Personne, les Capriotes excepté, ne comprenaient cet égarement, cet attachement, cet enivrement, tant d'îles surnagent du côté des Cyclades, et il reste encore des rochers inconnus sur les océans , pourquoi cet aveuglément ? 

 Sans doute les paradis du pacifique prodiguent- ils les enchantements des étendues de sable doré, des poissons volants sur les vagues transparentes et des soleils invaincus. Or, quelles sirènes y logent- elles ?

 Quels dieux Grecs s'y sont-ils adonnés aux amours interdites ? Quelles colonnes sculptées défient -elles le ciel peuplé de légendes tissées par notre Poète qui créa la poésie  de notre berceau méditerranéen ?

Quelles grottes merveilleuses abritent- elles encore  les divines, les mélodieuses, les radieuses Circé, Calypso et Galatée ? La princesse Nausicaa, hélas, joue à la balle avec ses jeunes suivantes très loin sur l'horizon, elle n'appartient pas au pays des sirènes, toutefois, son ombre gracile se devine à l'instar d'un songe embrassant la mémoire...Homère chante et les rochers résonnent des épisodes voluptueux ou nostalgiques du voyage d'Ulysse.

Capri est une lyre qui nous envoie ses accords entêtants, mêlés au vent du matin, à la brise du soir, ou à  l'âpre Sirocco qui teint la mer en bleu sombre, aux fureurs du vent du nord qui souffle sans pitié trois jours, prend pitié de vous, et vous rend  le goût de vivre après vous en avoir dépossédé.

Mais si dans les replis obscurs de la mémoire frémit  encore l'aile des anciens amours, c'est le chant d'un poète maudit qui flotte sur les vagues  de la baie de Naples, quand l'aube, au visage d'archange triomphant, efface les voiles diaphanes des nuits de juin :

"Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,

Renaîtront- ils d'un gouffre interdit à nos sondes,

Comme montent au ciel les soleils rajeunis

Après s'être lavés au fond des mers profondes ?

O serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !"

Baudelaire est un poète adoubé par Capri ...

 Or, le matin prévu pour ce rendez-vous avec le charmant Auguste, galant homme à la mode capriote, l'île ne respirait presque plus, enfouie sous un voile palpable de précoce canicule, et privée de la brise délicate qui insuffle l'envie de cheminer tout le jour sur les sentiers les plus périlleux, ceux qui serpentent juste au bord des précipices...C'était le temps parfait pour ne rien faire quelques jours avant notre départ, perspective endeuillant déjà notre humeur ...  Le bel empereur Auguste avait parfaitement saisi le sens de la vie sur l'ile. L' insolent Alberto Savinio ne lui fit-il dire ces paroles immortelles :

" Capri me rendit la paix, la santé, Ici on vivait comme des enfants, comme des lézards. si tu avais vu mes Romains, graves et affairés, allongés toute la journée au soleil, autour du rocher de Monacone ! Je les regardai depuis les terrasses de ma villa de Tragara.

C'est alors que me vint l'idée d'appeler cette île Apragapoli: la cité de l'oisiveté."

 Ainsi, la simple obligation de grimper dans un petit bus afin d'affronter la foule coulant comme de l'eau au fil des étroites venelles du bourg  de Capri, fréquenté par tous les peuples de la terre, la mi-saison n'existant qu'à peine en ce lieu trop vanté nous soulevait le coeur. Perdre une journée d'oisiveté bienheureuse à imaginer nos vies futures sur l'île ! 

Et,  pour moi, à songer avec un peu trop de mélancolie secrète à mon fantôme coiffé d'un  affreux couvre-chef sentant ses deux siècles.  Pris de compassion à l'égard d'une de ses rares lectrices de l'an 2024, le poète de Sorrente, ce Tasse inventeur de tant d'amours impossibles et hallucinées, en avait chassé l'ombre jusqu'au golfe de Salerne, vers l'archipel des Galli. Une très bonne initiative :  les grottes de ces îles minuscules  ne servaient- elles d'antres de pirates aux sirènes toujours accusées de perfidies, crimes ou autres plaisanteries abominables à l'encontre des navigateurs intrépides ? Mon immatériel ami, leur compagnon de bonne ou mauvaise fortune, y reprenait certainement des forces avant de revenir  tourmenter  mes paisibles errances sur les sentiers de chèvres.

"Je crois qu'il faut se forcer un peu" dis-je à l'Homme- Mari qui m'explique qu'il désire une seule chose :remettre ce rendez-vous au soir ou aux calendes grecques, la nuit lui a porté conseil, et la confiance s'est envolée sur la mer de lait bleuté.

 " Ton ami Auguste  nous raconte des histoires, il va nous proposer un des ces appartements délabrés et ruineux dont personne ne veut. Le dernier était en face de Sorrente, sans accès en voiture, deux heures à marcher chargé comme un âne pour survivre ! 

Envoie- lui un gentil message et qu'il nous laisse en paix !

 Nous le reverrons en septembre, d'ici là, tu auras peut-être vendu un tableau sublime que les experts croyaient être une croûte, ou encore, en creusant le jardin pour y installer un tuyau d'arrosage, tomberais- je sur le coffre aux pièces d'or enseveli par mon ancêtre en 1789, avant son exil aux Amériques, et jamais retrouvé depuis."

 Je me demande si j'ai épousé un indéfectible coureur de chimères et la moutarde me monte au nez. 

"C'est absurde ! Cet or a  depuis longtemps enrichi le village, au pire un percepteur des impôts, au mieux, un brigand de grand chemin, et le marché de l'Art n'a rien d'un marché de Noël ! Les journalistes nous assourdissent de ventes excessivement hautes comme s'il s'agissait d'une loi universelle, Je ne suis qu'une obscure, une sans grade, vouée à proposer de jolies oeuvres qui embellissent les murs de maisons charmantes et sans prétention. Mes modestes gains ne suffiront jamais à rassasier un propriétaire  d'une ruine s'écroulant sur un talus au bout du chemin le moins connu d'Anacapri. 

Notre dernière chance réside en cet Auguste, ce prénom m'incite à penser qu'il serait un instrument du destin, n'oublie pas que les Sirènes adorent se métamorphoser en personnes connues, qui sait si Auguste est vraiment celui que nous prenons pour un honnête et patient dottore en immobilier ? 

Descendons ! Avec un peu de chance, les touristes préféreront naviguer vers Positano aujourd'hui ! Les plages y sont tellement plus agréables qu'ici, on plante son parasol sur un rocher et on pousse des cris dans l'eau si profonde qu'elle reste toujours quais. glacée, rançon de sa limpidité; Positano et Sorrente sans oublier Ischia gorgée de restaurants, de bars, de plages confortables, vont détourner  de Capri les amateurs de plaisirs faciles. Le bourg d'en -bas nous rafraîchira de la belle humeur d'un village enfin paisible, et nous aurons enfin droit à la vue sur la grande terrasse, sans nous heurter à des flots cosmopolites agglutinés sur le parapet comme une pluie de sauterelles.

Auguste sera si blessé de nos fausses excuses ! Il s'est efforcé à tant de gentillesse envers nos désirs impossibles à réaliser, il ne mérite pas que notre mesquinerie.  D'ailleurs, si nous arrivons assez  en avance, nous aurons un moment d'entrer au palis de la famille "royale' de Capri, les incroyables Cerio, tous personnages de roman, tous fous de leur rocher antique, écrivains, historiens, bâtisseurs , que sais -je : un mythe  infiniment séduisant ! Ils ont laissé une Villa  évoquant un temple grec du côté de la pointe de Tragara, et ce Palais -musée  des plus que je devine émouvants. Des concerts y sont souvent donnés, nos amis me supplient  à chacun de nos séjours de ne pas négliger cette antique maison.

 Voilà une occasion de leur prouver que nous sommes capables de nous détacher au moins deux heures d'affilée de notre jardinet d'Anacapri ou  de nos  promenades quasi immobiles de la Migliera: nous n'avançons que pour nous arrêter, envoûtés par un paysage qui n'est jamais le même et qui nous surprend toujours ... Mais, il faut évoluer, hier Sorrente, aujourd'hui le palazzo Cerio, andiamo !"

L'Homme- Mari n'a pas l'énergie de résister à ce torrent d'éloquence, et par miracle, en sortant de notre allée, nous arrêtons in extremis le bus menant en bas, dans le village de Capri, toujours rival d'Anacapri, depuis l'époque reculée où les Pélasges, peuple grec venu de la mer, pirates à la haute stature et au regard bleu plantaient les premiers bosquets et vignobles  de l'île, quelques 6 ou 7 siècles avant notre ennuyeux tapage ...

Le bureau du charmant Auguste se dissimule dans une arrière-cour sombre, où nul touriste n'aurait l'idée de s'aventurer. Cela s'annonce très bien, hélas, une robuste Mamma assise sur les marches de l'escalier encombré de pots de citronniers, nous chasse en brandissant son arrosoir décati en guise d'arme défensive. Auguste vient à peine de s'absenter, des Américains l'ont mandé au plus vite: 

" Des gens qui ont de l'argent, beaucoup d'argent et qui donnent des ordres; l'argent , c'est ce qui vous permet de faire perdre du temps à ceux qui n'en ont pas, moi aussi je n'en ai pas, à part mon verger via Tiberio, si vous passez par là, juste avant de déboucher via Moneta, vous le verrez de loin, mes tomates sont les plus grosses de Capri, mais, j'y reviens, vous, vous êtes les Français ?  Ah ! vous avez l'air aimables, et vous voulez vraiment être propriétaires sur l'île ? 

Alors, je ne sais pas, attaquez une banque ou une bijouterie, il y en dans tout le quartier ! Mais nos Carabiniers veillent, et vous aurez du mal !   Je dis des bêtises aussi grosses que moi,  je me souviens maintenant, Auguste m'a demandé de l'excuser si vous veniez. Ces Français qui sont amoureux d'une maison en ruines, et veulent l'acheter au prix d'une cabane à Naples ! Mais, vous avez raison, vous êtes à Capri, qui sait ce qui peut arriver ? 

 Priez San Stefano, le Saint Patron de notre église, là sur la Piazzetta, et aussi San Costanzo, le Saint de l'île à Marina Grande, et San Antonio ? Oui, il est bien brave, mais  il n'égale pas San Stefano, comment le pourrait-il ? Auguste sera de  retour d'ici la fin de la matinée, enfin pourquoi pas ?  Ciao ! " 

L'Homme-Mari jette un coup d'oeil pensif à cette redoutable  bavarde dont il admire la verve sans en comprendre un traître mot. Toutefois, il a instinctivement saisi l'essentiel de ce déluge verbal 

"Auguste nous a posé un lapin!  Capri est vraiment l'île des lapins, cette désinvolture me fatigue les nerfs, entrons au frais quelque part. Les touristes déferlent du funiculaire, la canicule les excite et ils bondissent comme des chèvres,  la Piazzetta se remplit de gens complexés qui n'osent s'assoir, et les  vieux habitués, regarde ces costumes clairs et cette cascade de bijoux extravagants, s'en amusent. Cet endroit est terrifiant, une salle de spectacle, même à cette heure matinale, la marmite aux potins bouillonne ! Où fuir ? "

 Je propose l'église dont la porte s'ouvre au-dessus d'une volée de marches, nous écrasons quelques pieds de voyageurs , en bousculons certains, et finissons vivants et excédés sur une placette envahie par  d'opulents  bouquets de roses, la jeune fleuriste agite sa chevelure d'un noir miroitant, et nous décoche un  sourire à donner envie d'acheter toute sa boutique . Je suis sur le point de céder à cette tentation parfumée, à Capri les fleurs distillent une senteur féérique et vous font tourner la tête autant que si vous tombiez dans un bassin odorant, quand  le son doux et rauque des violons m'ôte tout bon sens. 

Aérien et languissant au-dessus de la vaste frénésie, une suave mélodie voltige en froissant les nerfs amoureux et sensibles :

 " Le violon frémit comme un coeur qu'on afflige"

Baudelaire toujours ! 

 Une porte massive entre-baillée  nous convie dans les mystères d'un palais où d'invisibles musiciens tirent des sons voluptueux sur d'immatériels violons. Ensorcelés nous avons l'audace de suivre les élans fantasques d'une valse aux accents d'un romantisme déchirant, et nous voilà surprenant un aréopage d'artistes, la mine sérieuse, l'archet furibond, la chevelure soulevée d'émotion, en pleine répétition! Sous les regards de hauts et vertueux personnages capriotes, dûment encadrés d'or, dans la salle de concert du très austère Palazzo Cerio... 

On se retourne vers nous, on s'exclame, on s'agace, on s'amuse, je me répands en compliments sur l'esprit du lieu, la gloire des Cerio et l'harmonie de ce concerto à peine ébauché ; la mansuétude étant une vertu italienne, on nous pardonne !  Nous promettons de revenir le soir-même, et  filons à l'anglaise en manquant, submergés de confusion, trébucher dans l'escalier.

La lourde porte se referme sur les trésors de l'antique famille Cerio, les violons amoureux gémissent et  sanglotent, sans doute plaignent- ils notre sort, ne sommes- nous  chassés du paradis ?  Je suis sous le coup d'un sentiment absurde, une faible lueur  rose et rouge vacille devant mes yeux, je distingue les contours d'une allée de pins et de cyprès presque noirs sous les ultimes feux du couchant, au loin se devine la mer frappée d'éclats pourpres, ma tête se vide, et me voilà  récitant tout haut la fin du poème : 

"Un coeur tendre qui hait le néant vaste et noir,

Du passé lumineux recueille tout vestige! Le soleil s'est couché dans son sang qui se fige...

Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !"

Le souvenir de qui ? Je suis lasse de ces intempestifs relents d'un amour trop ancien pour cette vie.   J'existe maintenant, les vies antérieures n'ont plus de sens, les amours anciens ne sont plus que musique  douloureuse dans le vent du soir ...

Au diable Baudelaire et les paradis perdus ! Vivons ! soyons futiles, frivoles, légers comme des promeneurs ébahis au fil des venelles bruyantes et irrespirables de l'effervescent, papillonnant, fracassant bourg de Capri en début de saison!

Une petite escapade au gré des venelles attise les caprices les moins éthérés du monde et range les fantômes du passé au placard des antiquités. D'une main ferme, j'incite le méfiant Homme- Mari à demander le prix d'une toute petite bague sertie d'une aigue-marine difficile à voir, mais charmante, une tête d'épingle  de cristal bleu -vert, élégamment cernée de brillants imperceptibles, sauf si l'on les fait scintiller dans la lumière de Capri, cela va sans dire. Une bagatelle ! Une fantaisie !

Gouvernant son antre éblouissant depuis un comptoir de bois doré, le plus superbe des bijoutiers, crinière blanche lustrée, gilet  brodé tendu sur son imposant estomac, regard bleu glacé, nous détaille, nous toise, et nous jauge. Manifestement mon italien ne lui en impose pas, et la mine un tantinet nerveuse de l'Homme- Mari, pas davantage. 

Le prix de ce joyau arraché aux mines lointaines du Brésil ?

 " Ah ! une pierre inestimable, petite taille, mais nuance digne de la mer dans le golfe de Naples. Vraiment, le souvenir  irrésistible d'un voyage de noces ou d'anniversaire de mariage. Que choisir de mieux, si ce n'est la bague à votre droite,  beaucoup plus grosse, plus en accord avec vos yeux, une aigue-marine verte, un spécimen d'une extrême originalité !  Pour la Signora, tout de même, je déconseille une gemme charmante mais quasi invisible. Il faut se montrer généreux avec une épouse depuis? Ah ! vous voyez, tant d'années ! C'est admirable, extraordinaire, la Signora est une épouse extraordinaire qui mérite une pierre extraordinaire. Le prix ? Un détail pour un cavaliere comme vous!" 

Un silence de mort s'étend sur cette caverne précieuse parée des yeux bleus d'une myriade d'aigues- marines chahutant leurs reflets pastel, vert de mer, ou manteau de la Vierge.

Le superbe personnage regarde l'Homme-Mari bien en face, salue et énonce avec une dignité majestueuse:

"8000 euros, je fais un effort à cause de la distinction de la Signora, les aigues-marines ne vont  qu'aux femmes distinguées "

L'homme- Mari ne va pas oser dire le contraire, toutefois, la  somme l'épouvante !  Je fais la moue et lève les mains en signe de détresse, nus esquissons un mouvement de retraite, aussitôt notre terrible vendeur nous arrête d'un seul chiffre :

"Pour vous, 4000 !"

Nous secouons la tête, l'Homme-Mari avec force, moi en y mettant plus de douceur ; je jure de revenir en septembre, au moment de notre anniversaire de mariage, d'ailleurs, ai-je l'illumination de préciser, nous séjournons de temps en temps à Capri ! L'oeil du superbe vendeur au beau gilet s'allume et resplendit presque autant que les  gemmes éclatantes entassées dans son échoppe. Nous avons touché au point sensible !

 "Bon, ce serait un peccato si la bellissima Signora n'avait pas son cadeau d'anniversaire de mariage, Je me sacrifie, comment ne pas se sacrifier pour une Donna Francese si charmante  et qui revient à Capri, Vous me réglerez en deux fois, maintenant et en septembre.  C'est le plus bas.je ne bouge plus. Non ? "

 Ciel ! Comment nous tirer de ce mauvais pas ? Nous devons fuir au plus vite, sinon ce digne homme va lancer les pires malédictions sur ces deux Français qui croyaient que les aigues-marines n'étaient que des pierres fines et peu coûteuses, du moins ailleurs qu'à Capri...

 Miracle, un couple d'Américains, clients nettement plus appréciables pour un bijoutier capriote, pointe du doigt les joyaux les plus rutilants; nous voilà oubliés, adieu pierre bleue, adieu caprice d'un instant, le portable tinte et la voix d'Auguste nous convie à prendre un café en bas de la route principale.

" Oui, précise-t-il, vous verrez, il n'y a que des gens d'ici, nous serons tranquilles, je vous attends ! J'ai du nouveau ! "

 Deux secondes plus tard, un appel d'Arturo nous pétrifie de stupeur.

 " Je vous attends pour déjeuner ensemble, vous savez, en bas de la route principale à Capri, le restaurant où vous ne rencontrerez que des gens d'ici, nous avions décidé ensemble avec Lena de ce rendez-vous, je craignais que vous  n'ayez autre chose à faire aujourd'hui, j'étais inquiet, vous êtes déjà sur la route ?  Bravo ! Nous vous rejoignons dans une heure, quel plaisir : vous ne mangerez que des plats de chez nous, alors, a presto !"

 Accablés, nous regardons au bas de la route, Auguste et Arturo ne mentent pas, un restaurant aligne ses tables sur une terrasse couverte  au bord des anciens remparts. Et de toute évidence, ce lieu retiré de la foule, en apparence modeste, est aussi attirant que terriblement capriote... Essayons maintenant de ressembler à de vrais italiens ! La chance nous sourira peut-être ...

Je lève les yeux et remarque une grosse maison forte délabrée, juchée comme si elle allait choir dans le vive sur des arcades décatie. "Oui, dis-je à l'Homme-Mari, regarde, ce manoir qui tombe en ruines lui aussi, non, je ne veux pas tu fasses une proposition, ce fut le couvent de cette bizarre religieuse, la Madre Serafina. Une illuminée ...Norman Douglas  s'est montré très caustique à son égard, en tout cas, son couvent fut la maison d'enfance de notre amie Flavia. Il est tombé dans l'escarcelle du Sindaco qui ne le restaure guère, à l'automne dernier, un de ses nouveau habitants m'avait donné rendez-vous sur la Piazzetta, et cette fois, c'est moi qui ai suivi la mode  en lui posant un lapin..."

La honte m'ôte l'envie d'en confier davantage. Je désirerais de tout mon coeur me faire pardonner de mon manque de parole par  l'inconnu de haute stature qui m'avait offert un jeune guide afin que je ne déambule pas au hasard dans les vestiges du Palais de Tibère... 

"Signora, ne regrettez rien ! "me supplie, dix minutes plus tard, le charmant Auguste pétillant, sémillant, bienveillant, éminemment capriote ! et de me réconforter de son accent chantant :

" Le hasard n'existe pas à Capri, s'il le désire, ce Cavaliere se montrera à nouveau. Ne cherchez pas à provoquer une rencontre, si c'est le personnage auquel je pense, sa protection vous est acquise... Non, Signor, ici, les cafés sont italiens, pas americano, mais vous pouvez boire un jus d'orange fraise ... Allora, pour la maison, il faut patienter, mais gardez la speranza ! Je crois que j'ai une très bonne idée pour avancer vos affaires, d'abord le café ! "

 La salle déborde de familles heureuses, les appels fusent, les paroles haussent le ton, les mains invoquent le Ciel, mon esprit flotte sur l'air triste et joyeux d'une mélodie égarée en chemin, mon âme valse avec les violons du Palais Cerio...

 A bientôt pour la suite de roman -feuilleton à Capri, 

 Nathalie-Alix de la Panouse

ou Lady Alix



Une villa du vertige à Capri vers 1900

Avant la Villa Fersen, avant la gloire de la Villa San Michele, le Capri des sortilèges endormis...

 







 


  


 




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