jeudi 11 juillet 2024

Ericeira, la ville aux vagues glacées: Sous le vent du Portugal Partie I




 Sous le vent du Portugal

  Première partie

 Ericeira, la ville aux vagues glacées

 Pour des habitués de l'Italie du sud, le Portugal est une terre rude, gardée par son océan redoutable.

Il faut ajouter à ce visage austère l'impitoyable morsure du vent qui court sur les collines d'Ericera à Lisbonne. Ericera, ce mot  flotte à l'instar d'un air exotique, une chanson des îles sous le vent, et c'est bien là le caractère de ce port battu des tempêtes et soumis aux orages, cette petite ville respire avec le vent. Ericera, à une heure de Lisbonne séduit sans ambages les amoureux des glissades sur un frêle esquif: c'est le paradis des jeunes gens aux muscles élégants qui pratiquent  l'intimidante discipline du surf, ce sport interdit aux simples mortels, aux paresseux ou  aux maladroits !Ou à ceux qui, à l'instar des chats, sont incompatibles avec une eau glacée. Ou surtout à ceux qui n'aiment que les eaux de claire turquoise à la température civilisée de la "Mare nostrum".

Les hasards d'une gracieuse cérémonie de mariage, sur une colline défiant les fureurs de l'océan, nous ont incités à une balade sous le vent du Portugal, d'Ericera au château-fort de Lisbonne. Sous l'égide des mouettes rageuses des remparts rompus par les vagues, et des familles de paons traînant leurs atours sur les pavés de la vieille- ville... Nous en sommes retournés pleins d'usage et raison, hantés par la fraîcheur de l'air  au bord de l'océan, et l'austère  fierté du Lisbonne médiéval.

La surprise est la qualité d'un voyage réussi, ce Portugal sous le vent nous ne l'attendions pas ! Mais, une fois, l'étonnement ressenti, nous avons admis que les préjugés étaient choses à piétiner,  et le Portugal une terre déroutante qui avait l'immense mérite de savoir dépayser le promeneur trop sûr de lui.

Ainsi, poussés vers de nouveaux rivages, selon les aimables paroles du poète oublié Alphonse de Lamartine, nous longeâmes au couchant les ruelles d'Ericera, en quête de quelque nourriture et de sourires à l'italienne. Une gargote nous offrit l'une et les autres,  poisson en abondance et gentillesse amusée, autour de nous des familles qui n'avaient rien de nordique, un restaurant portugais, rempli de clients portugais en plein Portugal !  Quel miracle ! Cet exploit, hélas, ne se renouvela que fort peu. Ericera est la terre promise des surfeurs, et des touristes d'Europe du Nord, n'appartenir à aucune de ces aimables catégories vous met dans une situation bizarre, voire  terriblement gênante. Comment peut-on vivre sans planche de surf au bras ?

 Avouons- le, vous devenez invisibles, sauf miracle. Toutefois, allongée sur une placette, au bout d'une ruelle descendant vers les antiques murailles déchiquetées par les siècles et les flots, une église éblouissante d'or nous ouvrit son coeur de coquillage baroque. 

Sainte Marthe, soyez remerciée de votre puissance d'apaisement prodiguée à deux voyageurs égarés de corps, et même un peu d'esprit. 

Le dieu hasard nous mena jusqu'au collines jaunes, rocheuses et mélancoliques veillant sur les plages peuplés d'imprudents ou de frileux. L'océan garde sa froidure au début de l'été et nul n'oserait s'y jeter sans une bonne combinaison, sous peine de souffrir de conséquences pénibles: grippe, rhume, bronchite, ou corps rougi, verdi, et face violacé.

La horde des solides surfeurs barbote en faisant une cour souvent déçue à la vague qui l'emportera, ou du moins lui permettra de susciter l'admiration des foules frileuses.

Je suis moi-même emportée par un élan de compassion envers ces énergiques nageurs exaltés par des eaux brutales privées de sirènes... Se tenir sur sa planche, se croire fils de Poseidon, puis sombrer  droit au fond des flots, voilà le destin ou l'occupation, comme on voudra, de ces sujets de la vague hautaine...

En remontant vers le coeur de la petite ville, les façades se pressent et se bousculent, parsemées de frises, embellies de carreaux bleus,  maisons carrées, pimpantes, blanches et roses, blanches et jaunes, étrangement nettes. Tout à coup, une maison trapue ne craint pas d'étaler un balcon défraîchi, une porte décrépite, une adorable façade décatie engloutie sous un fouillis de fleurs qui sentent l'Afrique, un peu de noble vérité dans un monde trop soigné pour être vrai.

Or, comment créer des liens sans parler la langue du pays ? Hélas ! Le portugais  hésite entre l'Espagnol et l'italien, et vous fait tout de suite perdre votre latin. La seule consolation restant aux plus enthousiastes, c'est de bredouiller de timides "Obrigado" (je suis votre obligé) et de souhaiter des "Bon dia" emphatiques, en confondant le soir et le matin. L'anglais est une langue en péril, sa prononciation locale la rend digne d'un dialecte Groenlandais. L'art de la conversation s'enlise vite dans un marécage.

 A notre hôtel, un blanc décor suédois, (comment oser l'art du nu Suédois en gris et blanc à Ericera la portugaise  aux maisons vêtues de bleu exubérant, d'ocre  et de vert  émeraude ? ) le voyageur d'Allemagne aggrave encore cette terrible confusion en ne condescendant qu'à scander d'autoritaires "Ya, Ya" à chacune de nos tentatives inconsidérées, ce qui ne manque pas de  nous coûter la perte de notre propre considération. 

Heureusement, du côté de l'océan, et à l'assaut des collines sauvages, à condition de ne surtout pas regarder les constructions abondantes de villégiatures identiques hérissant le paysage, la nature impérieuse gouverne encore ce coin du Portugal.

Ce littoral tourmenté, souvent meurtri par la griffe des promoteurs, cette mer glacée, soulevée sur de rudes écueils, essaient de sauver leur propre intégrité. Mais jusqu'à quand ?

 Loin de ces pensées surgies d'un cerveau romanesque, une fête nocturne réchauffe les invités frissonnants sous les morsures du vent embué de sel et de senteurs poivrées. L'assistance bavarde dans toutes les langues, sauf celle du pays, et supporte sur ses épaules, robustes ou frêles, d'épaisses couvertures de laine, peut-être tissées au Portugal, de quoi évoquer une cérémonie en l'honneur d'un grand chef Apache ou Cheyenne avec vue sur le soleil tombant à l'instar d'un glaive rouge au creux de l'océan. De mignonnes petites maisons peintes en blanc, soulignées de bleu vif, forment des coupe- vents qui ne coupent rien. Le vent étend sa loi même en ce vaste patio aux jolis bassins, et froisse avec ardeur les rideaux de vigne-vierge enguirlandant la tonnelle vouée à abriter l'immense table de noces.

Le lendemain, au sein d'une humble chapelle dont le toit s'était envolé, un jeune couple se jura un bonheur éternel sous le vent moqueur qui, histoire d'apprendre la vie à ces idéalistes, s'évertua à arracher les tentures blanches accrochées, au-dessus de leurs charmantes têtes, à une arche encore debout.

 L'heure exquise, rehaussée d'une mélodie inventée par l'amitié, fut gâtée par le discours laborieux d'une dame dégoulinante de bonnes intentions, ( la meilleure façon d'atteindre le pire), qui s'acharna à comparer ces amoureux à un vulgaire plat de basse cuisine d'origine italienne. Indignée, la mère du jeune époux, en réponse à tant d'ail et de persil incongrus, eut l'audace de riposter par les mots d'amour de saint Paul, apôtre du sentiment absolu, un idéal pour ces idéalistes qui s'épousaient dans toutes les langues de la terre :

" Si je parlais toutes les langues de la terre, sans l'amour, je ne serais qu'une cymbale qui résonne.

L'amour est patient, l'amour est bon, l'amour n'est pas jaloux, il ne se vante pas, il n'est pas orgueilleux.

Il ne fait rien de honteux, il n'est pas égoïste, il ne se met pas encolère.

Il ne se venge pas, il ne se réjouit pas du mal , mais il trouve sa joie dans la vérité.

Il supporte tout, fait confiance en tout, espère tout.

L'amour ne passe pas."

Fortifiée de ces mots d'amour fou, attendrie encore par l'attendrissant souvenir d'Ulysse rendu par l'amour à Pénélope, la soirée prit son vol, le vent fit voler les robes courtes, souleva, les jupes longues, aiguisa la bonne humeur, et  se mua en une douce brise du soir. Celle-ci enleva les amis, enlevés de bonheur et alourdis par les mets du festin, en un bal enivrant, agrémenté d'un vin portugais qui enivra les danseurs jusqu'à la venue trop preste de l'aurore laissant sur la pelouse ses voiles envolées.

 Les jeunes mariés de l'océan avaient les ailes de l'amour et ils s'enfuirent au matin  :

 " Ils regardaient monter en un ciel ignoré

Du fond de l'océan des étoiles nouvelles"

 Nous prîmes le coeur léger la route de Lisbonne, la tempête avait eu le bon goût de se calmer, le soleil attendrissait les collines vertes, au loin, l'orgueilleux Tage aux reflets de lavande s'étendait comme une mer  domptée.

A la semaine prochaine pour la suite de cette balade portugaise:

 "Paons et palais au pied du château de Lisbonne"

 Lady  Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse



Le Tage à Lisbonne depuis le château de Saint Georges

Crédits photo Vincent de La Panouse









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