Paons prétentieux, château des chevaliers, et poète des nostalgies :
A Lisbonne, un soir
Pour les voyageurs ignorants et désorientés que nous étions, l'entrée dans la ville des grands aventuriers de l'océan fut une terrible déconvenue.
Nous arrivions de la station balnéaire d'Ericera vouée corps et planches au seigneur surf ; et rêvions de places aux nobles demeures encerclées des notes mélancoliques d'une poignante mélopée, de palais sculptés d'anges, d'églises d'or et de pourpre, de façades couvertes d'azulejos chatoyants sous un soleil qui aurait enfin cessé de se dérober sous une couronne de nuages.
L'armada d'immeubles massifs nous découragea, les premiers boulevards gorgés de circulation achevèrent de nous inciter à fuir directement vers l'aéroport, et de retrouver notre campagne lointaine, ignorant les élans lancinants du Fado, mais retentissante de concerts d'oiseaux enivrés par l'été.
Trop tard ! Nous avions retenus une chambre pour trois jours en un endroit si singulier que le chauffeur refusa avec une non moins singulière énergie de nous y hisser. Il nous laissa en plan, encombrés de sacs aussi lourds que si nous charrions des trésors venus du Nouveau- Monde, au bord de la crise de nerfs et face à l'arche monumentale de l'antique porte fermant jadis l'enceinte du vieux château.
Au passage, le Tage avait langoureusement roulé ses eaux couleur de ciel dans lesquelles choient les toits rouges et les jardinets en cascade ceignant la citadelle. Ce ne fut qu'un coup d'oeil, toutefois nous un éclair d'espoir brilla, et son éclat chassa notre envie de décamper au plus vite de ce Portugal fouetté de vent frais au début de la belle saison.
Tout de suite la ruelle se leva raide et glissante, ses pavés périlleux submergés sous les mouvements des voyageurs en déroute, portables au poing et hargne en bouche. Nous aurions pu être à Carcassonne, à Collioure, à Rome, à Naples, que sais- je ? Où étions- nous d'ailleurs ? Lisbonne déconcerte et l'enceinte de la citadelle désoriente. Le soleil choisit ce moment précis pour resplendir avec une acuité dont nous avions perdus l'habitude.
La brise est femme et qui dit femme dit caprice, au Portugal ou autour de notre fol univers, n'en déplaise aux esprits féministes. Sous les remparts de la citadelle de Saint -Georges, elle se fit mutine, caressante, charmeuse et c'est parfaitement charmés que nous atteignîmes les grilles les plus cachées de ce château des croisés. nous étions allés dix pas trop loin et ce fut en rebroussant chemin que nous frappâmes à la porte d'une massive porte bleu vif. Pas n'importe quel bleu ! Mais, cette nuance qui égaye les murs blancs d'Ericera et les façades de Lisbonne, ce bleu qui contient l'énergie du Portugal, un bleu qui n'appartient qu'à ce pays, teinte plus robuste, plus dure, moins subtile que le bleu Grec, moins musicale que le bleu de Capri; finalement, un bleu qui ne s'en laisse pas conter...
Laporte fermait en majesté l'entrée d'un petit palais jaune clair, d'aspect sévère et mystérieux, nous devions nous tromper, personne ne daignerait nous ouvrir d'un pareil lieu.
Mais, quelque bonne âme invisible eût pitié de ces voyageurs en déroute, et la porte s'ouvrit en silence, laissant poindre une bouffée de fraîcheur sur nos visages déjà illuminés.
La porte se referme sur nos personnes ébahies.
Nous voilà dans une belle salle parée de ses arcades de pierres claires et lustrées, de pots antiques et et de statues. Juste en face, un paradis tranquille, patio fleuri de roses sommeillant sous l'égide de sa fontaine fraîche à l'imperceptible mélopée. Une émouvante famille de paons, mère méfiante et oisillons cocasses, nous scrute et manifestement ne nous juge guère sympathiques. Une fois accomplies les démarches ennuyeuses et obligatoires qui sont le lot de tout voyageur, on nous envoie avec une courtoisie exquise tenir compagnie à ces paons un tantinet vindicatifs : notre chambre exige une si touchante préparation ! De toute manière, le bonheur ne prend-t-il sa source dans l'attente ? Approuvant cette philosophie, nous tentons d'apprivoiser la mère au plumage discret, qui couve sa couvée de bébés dégarnis d'un regard outragé. Un battement d'ailes furibond rompt la quiétude du jardin- clos fleuri de roses, voici le seigneur et père qui s'avance dans l'épanouissement de sa magnificence emplumée, étrange bouquet de fleurs mirobolantes caressant les pavés !
L'oiseau royal nous toise, davantage emporté par le désir de recueillir nos hommages que de protéger ces insignifiants, ces chétifs volatiles dont il ne tire manifestement nulle fierté !
Nous abandonnons le clan entier à son destin, et décidons de mettre le nez dehors, ce palais nous porte un peu sur les nerfs, sa paix a quelque chose d'accablant, ce sanctuaire nous apaisera ce soir grâce à son buffet garni en abondance et à toute heure de Porto, thé à l'anglaise et mousseux français. Puisque notre chambre impose un travail considérable, la sagesse nous incite à quitter les splendides et raides fauteuils de cuir sombre gardant le souvenir du séant des hardis chevaliers qui s'emparèrent du château en 1147, et à baguenauder sur les créneaux d'où ils reçurent sur leurs armures autre chose que du robuste vin portugais.
Nous tournons et retournons dans les ruelles, grimpons après avoir acquitté du prix exorbitant de quelques euros au sommet d'un mirador, refusons de nous goûter le verre de porto tendu généreusement par l'aimable comité d'accueil, achetons des gâteaux dont la recette reste le secret des religieuses du couvent de Sainte Béatrice, admirons comme d'habitude les maisons les plus décaties , et choisissons un flot de cartes postales , apanage un peu ridicule des voyageurs ignorant avec panache l'usage instantané des images saisies sur leur portable, fuyons la foule qui du coup nous poursuit en sens inverse, supplions que l'on nous vende des billets pour le château en dépit de l'heure tardive, et finissons par une errance rêveuse d'escaliers du vertige en jardins suspendus.
Notre pays de l'autre côté des montagnes retient son souffle, le soir amène la paix, le souci, et l'heure électorale qui ne sera point exquise.
Qu'importe ! Les pins d' émeraudes, élargissant leurs ramures à l'abri des remparts, étonnent par leur ampleur, l'eau se cacherait- elle en quelque bassin secret et souterrain ? Les puits semés de cour en cour ne le prouveraient- ils ?Pourtant, la citadelle fut vaincue, et les chevaliers du nord de l'Europe y firent claquer leurs oriflammes d'or, de gueules et de sable...La poussière se lève, le vent nous adresse un soufflet presque sentimental, nous nous penchons vers les toitures rouges dégringolant vers le fleuve irrémédiablement lavande en cherchant des vergers et n'apercevons que des jardinets échevelés.
Tours, palais, humbles maisons piquent ce paysage rougi de soleil couchant, un bourdonnement farouche étreint la brise, c'est Lisbonne la remuante, Lisbonne, agitée de tremblements et souffrante de fièvre, guette la fin du jour. nous restons sur notre terrasse du château, indifférent à ces tumultes, veillés par une armada pompeuse de paons en quête de nourriture, l'heure galope, d'ici une minute, nous vivrons un moment d'histoire dont nous garderons le bizarre souvenir... Est-ce si grave ? Le temps a renversé son sablier d'or, Lisbonne se moque bien des élections de ce pays qui ne sait d'elle que ce qu'elle veut bien lui donner...
Sur les ailes du vent s'effiloche la musique nostalgique d'un vieil air de Fado.
Demain , nous oserons franchir l'enceinte du château et gravir les pentes encombrées de cette ville bouillonnante, demain, nous jouerons les voyageurs empressés, ce soir, c'est l'heure exquise, l'heure électorale est vaincue ...
Cette harmonie ancienne née des tours et des remparts, étincelants et glorieux dans les lueurs du soir, des reflets sur le fleuve empourpré, nourrit la musique et son obsession mélancolique si loin et si près. c'est la romance d'une âme qui cherche un corps, d'une tristesse qui se lave en vain au fond des mers, la nostalgie passionnée de Lisbonne !
Et toujours, Baudelaire chante en ma mémoire:
" Sois- sage,, ô ma douleur et tiens- toi plus tranquille,
Tu réclamais le Soir, il descend; le voici,
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci."
Et soudain Fernando Pessoa de remuer le vent froid qui nous arrache à notre tendre méditation ; l'âme du Portugal chante avec le vent du soir !
" Je rêvais d'un marin qui se serait perdu sur une île lointaine. Sur cette île, il n'y avait que quelques palmiers, tout raides, des oiseaux tournoyaient autour... Je n'en ai pas vu se poser... Depuis qu'il s'était sauvé du naufrage, le marin vivait là... Comme il n'avait aucun moyen de revenir dans sa patrie, et comme il avait mal chaque fois qu'il s'en souvenait, il se mit à rêver à une patrie qu'il n'aurait jamais eue; il se mit à faire qu'une autre patrie ait été la sienne, une autre sorte de pays , avec d'autres sortes de paysages, et d'autres gens, et une autre façon de marcher dans les rues, et de se pencher aux fenêtres ... Il ne cessait jamais de rêver..."
Lisbonne serait- elle une femme redoutant d'éveiller un marin naufragé qui dort dans ses nostalgies ?
Comme la politique, ses affres, ses tourments, ses fureurs me semble vaine au château de Lisbonne, un soir ...
Bon voyage sous le vent du Portugal !
Nathalie- Alix de La Panouse ou Lady Alix
crédit photo Vincent de La Panouse
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