lundi 5 août 2024

Nostalgie d'été ou l'île perdue: "La maison ensorcelée": Roman à Capri chapitre 13 Partie II

L'étoile perdue ou nostalgie d'une île

 "La maison ensorcelée" Partie II

 Chapitre 13

Nous étions encore une fois en exil chez nous, dans un pays qui ne nous ressemblait guère et où nous ne nous sentions franchement pas compris. Notre maison décatie et son jardin romantique,  fier d'arborer  sur sa pelouse toujours échevelée une Artémis antique et court-vêtue, ( à défaut d'une piscine ou d'un terrain de tennis !) étaient prêts à s'envoler sur un nuage, mais comment mettre la main sur un honnête magicien? 
 Cette espèce devenait fort rare et de moins en moins recherchée en ce monde gouvernée par la rage du pragmatisme bien-pensant. 
Nous ne récoltions en vérité qu'avanies variées et impôts de toutes sortes. Un ennui irréversible tombait d'un ciel gris ... 
L'humanisme s'envolait, mangé par de fausses divinités, dévoré par des préjugés reniant l'art d'inventer et d'embellir sa vie, et aussi celle d'autrui...
 L'île de nos rêves, la patrie de notre coeur scintillait sur l'horizon, embrumée de bleu, hiératique au sein de ses murailles inexpugnables. la maison qui ne cessait de nous hanter brillait avec une sombre ardeur sur la montagne de soucis et désillusions qui nous servait de pain quotidien.
 Comment la retrouver ? comment y pénétrer en maîtres et non en promeneurs enchantés?
Le charmant Auguste, notre nouveau "chevalier blanc" dans cette bataille qui s'éternisait,  avait une idée : hélas, parfois mieux vaut ne pas en avoir du tout.
 Des idées,  nous en avions déjà une kyrielle en tête, preuve de notre supériorité intellectuelle à défaut de notre puissance financière !
 Mais, plaisanterie ou pas, ces fameuses belles idées qui ont la noble réputation de gouverner le monde, ne vous mènent souvent à rien de bon.
Nous étions rejetés de nos rêves insulaires, de ce pays idéal, peut-être imaginaire qui gouvernait notre avenir en surgissant d'un passé confus, l'exil nous avait fermés la grâce d'un jardin finissant au bout d'une allée engloutie sous une houle d'herbes parfumées, notre  portail aux guirlandes verdies restait clos sur le domaine ensorcelée qui nous avait donné ce rendez-vous saisissant avec la partie ignorée de l'île la plus légendaire en ce fol univers. 
 Et, cela l'Homme- Mari ne s'en doutait guère, j'étais désormais abandonnée par un fantôme distillant un humour aigre ou une autorité fort a lassante à mon égard sur les sentiers les plus inconnus de  cette île soumise aux caprices des sirènes sardoniques,  chats potelés et chèvres musclées. 
Cet abandon me faisait une peine extrême, je n'en comprenais absolument pas la raison, j'aurai dû chanter de joie à la perspective d'être enfin libérée de ce promeneur du passé. or, le vide  creusé par l'absence d'un être immatériel s'agrandissait de jour en jour.
 Auguste, notre si aimable chargé de relations diplomatiques avec le propriétaire invisible de notre cabane à Capri, cette maison dont nul n'avait envie mais qui nous maintenait prisonniers de sa grâce vétuste, Auguste avait promis de tenter quelque approche impossible, quelque tour ou ruse à la façon d'Ulysse, certainement son ancêtre en droite ligne, qualité dont pouvait s'enorgueillir bon nombre de Capriotes, cela va de soi.
 Pour le moment, rien ne bougeait, si ce n'est notre désir de repartir sur l'île au plus vite.
Après quinze jours soufflés comme une chandelle ancienne, consacrés au soin, au confort, au bonheur  de la  plus jeune membre de notre famille, le cerveau prodigieusement confus au sein de la prodigieuse canicule, j'ouvris sans conviction aucune un brave portable relégué depuis pas mal de temps au fond d'un tiroir.
De toute manière, nul mortel n'aurait songé à me gratifier de bonnes ou mauvaises nouvelles, nous étions enveloppés d'une cape d'invisibilité, les ondes de chaleur éteignaient le souci de son prochain et la curiosité élémentaire à l'égard de l'état d'un monde toujours victime de conquérants criminels ou de politiques à l'ambition sans limites. 
La beauté, cet idéal Grec, coulait à pic sur l'horizon barbouillé de couleurs violentes ..."Esprit de beauté, où as-tu fui ?"
"Mais Capri existe ! Capri et toutes les Ithaque, ces îles qui nous sauvent de la dictature du vulgaire, de la tristesse du rejet, de la méchanceté stérile, de la laideur partout répandue !" dis-je tout haut.

Et le poème tant aimé piqua ma mémoire comme une promesse d'espoir;

"Garde toujours Ithaque présente à ton esprit.
Y parvenir est ta destination finale.
Mais ne hâte surtout pas ton voyage.
Mieux vaut le prolonger pendant des années;
et n'aborder l'île que dans ta vieillesse,
riche de ce que tu auras gagné en chemin, 
sans attendre d'Ithaque aucun autre bienfait.

Ithaque t'a offert le beau voyage.
Sans elle, tu n'aurais pas pris la route.
Elle n'a rien de plus à t'apporter.

 Et, même si elle est pauvre, Ithaque ne t'a pas trompé.
Sage comme tu l'es, avec une expérience pareille, 
tu as sûrement compris ce que les Ithaques signifient."

 Bien sûr, je comprenais, mais enfin, je n'avais pas cette sublime patience !
Je me sentais bien plus folle que sage ! d'ailleurs il y a dans la folie un charme que seuls  les fous comprennent, n'était- ce l'antienne des Durrell, ces fous d'anglais qui furent aussi passionnés de Corfou que notre famille, ou du moins quatre de ses membres, de Capri ?
Hélas ! à leur époque, vivre à plein temps dans une ou même plusieurs cabanes à Corfou relevait d'une loi bien établie, celle du romantisme impécunieux ...
 Où dénicher une marmite sonnante de pièces d'or ?
 Justement le vacarme du plombier, pourquoi les plombiers ne viennent- ils jamais en hiver et toujours au coeur de l'été, bourdonnait comme un péan victorieux, si seulement cet homme au hasard de ses percées dans les murs de notre pauvre maison fragile, tombait sur la cachette du trésor disparu depuis trois siècles !
 Machinalement, je me penche sur les noms des correspondants qui ont tenté de m'envoyer leurs aimables pensées, et je lance moi aussi un cri victorieux dont l'ampleur réussit à couvrir les clameurs de la maisonnée. 
Auguste avait écrit! par son truchement Capri elle-même me parlait d'espoir, de déraison, et de départ, surtout de départ, au diable les travaux urgents, la fin de mois désastreuse, les enfants récalcitrants, les devoirs assommants envers le quotidien fastidieux, Capri nous voulait, nous n'avions qu'à obéir.
 Je fouille les couloirs, les pièces tenues dans la pénombre, et secoue l'Homme- Mari qui s'exténue sur un dossier insipide.
"Auguste a raison, il nous faut tenter le tout pour le tout, c'est le moment, on annonce un risque de secousses sismiques du côté de l'Etna, et la terre a tremblé du côté de Pouzzoles, les très fortunés ne désirent ni feux de l'enfer, ni déchaînement des flots, nous avons au moins cet argument à faire valoir au propriétaire qui, tu ne le croiras pas, consent enfin à lire notre proposition sans intermédiaires. 
La malheureuse maison est envahie par des inconnus qui taguent ses murs, Auguste envoie d'horribles photos, regarde, c'est épouvantable,  c'est merveilleux, vois-tu, ces gens vivent sans payer un sou et dévastent sans vergogne le jardin  et l'intérieur, le sindaco s'énerve, les voisins se lamentent, nous avons une chance ! il faut dégainer nos économies, et qui sait ? "
 " Nos économies, c'est vite dit, après passage de impôts, et factures des travaux chez nous, il restera une petite somme, de quoi acheter une  citerne décrépite, mais si le Vésuve menace, cela changera la donne ...En souhaitant que le maudit volcan ne fasse que jouer avec les nerfs des Napolitains L'argument des squatteurs destructeurs me paraît nettement plus convaincant, Auguste peut-il attendre notre venue d'ici trois semaines ?

"Trois semaines ! Jamais ! Nous partons demain."

  "Deux semaines alors..."

 "Une semaine, je suis d'accord, en train, en voiture, à la nage, en bateau ..."

" Je réserve les vols les moins chers pour septembre, où logerons -nous ? Dans la grotte blanche  ou sur les rochers de la crique du Faro ?As-tu oublié que nos amis d'Anacapri font eux aussi, c'est une manie, des travaux de plomberie ?"

Une voix que je pensais ne plus jamais entendre  tinte dans un chuchotement quasi inaudible:
" Demandez asile à nos amis de la Villa que vous aimiez tant, ils ne vous ont pas oubliée. Moi non plus d'ailleurs, courage, Capri vous prie de  la rejoindre, vous ne sauriez refuser..."

Je manque d'air, un voile obscurcit mes yeux, mon coeur est un instrument de supplice lancé au galop, cette voix lointaine, c'est le Ciel dans la tombe;  quelle faiblesse de ma part de l'écouter ! et cette suggestion pleine de bon sens, qualité que j'ignorais chez un fantôme qui se respecte...
" Je sais où trouver une chambre d'hôtes! dans la seule Villa où personne ne songerait jamais à  demander l'hospitalité: tu ne le regretteras pas, c'est la seule à posséder une allée de colonnes volées à Tibère."

La suite très vite. 

 A bientôt, 

 Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix



Capri, l'étoile de la mer.
Tableau circa 183O
Collection privée



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