vendredi 11 octobre 2024

Amalfi, tempête et parapluies ou "La maison ensorcelée" partie II chap 17



 Amalfi, tempête et parapluies

La maison ensorcelée" Partie II

Chapitre 17

Ou l'art d'affronter trombes d'eaux et tempête sur la douce "costeria" Amalfitaine

Nous étions en villégiature sur une île que nous chérissions plus que notre pays, notre campagne, notre maison humide, notre jardin vert meurtri par l'âpre vent du sud-ouest.

La cause était entendue, notre rêve d'une cabane à Capri , en l'occurrence une maison ensorcelée et ensorcelante habitée par un fantôme qui avait toutes les chances d'appartenir à la cohorte de mes ancêtres du côté paternel, décourageait notre famille.

 A l'exception de Fils dernier qui savait apprécier en connaisseur les élans saugrenus  et l'esprit d'aventure chez les personnes ennuyées de se montrer raisonnables. Fils aîné nous tançait parfois puis revenait à ses propres passions, d'ailleurs l'Italie du Sud ne le séduisait plus autant.

 Nos caprices capriotes  gagneraient  certainement à être abandonnés au profit de projets plus sérieux, pensait- il, mais, en jeune homme courtois et doué de compassion envers la faiblesse d'autrui, surtout celle des auteurs de ses jours, il  cessait assez vite ses mises en garde.

Nous étions ainsi laissés libres de revenir en paix sur les falaises, de gravir le monte-Solaro au coeur de la mauvaise saison, de naviguer en bravant les coups de vent et de raconter notre éternel désir d'une pauvre maison décatie, inconnue et invisible, blottie  dans le coin le moins à la mode de l'île à chaque aimable promeneur.

 Fils cadet se taisait pour une simple raison: il n'avait jamais mis un pied sur le divin rocher et préférait nous abandonner à ces folies qui passeraient peut-être avec l'âge. La seule à nous approuver de tout son coeur restait notre fillote de cinq ans, âge bien tendre, mais âge suffisant pour éprouver l'irrésistible envie de voir les Sirènes de Capri barboter devant leurs grottes prodigieuses.

Notre ami Salvo se contentait de soupirer, cette maison portait une malédiction, son propriétaire ne la vendrait jamais, même pour une somme mirobolante, le jardin cachait un secret, ou un trésor, tout Capri gardait en ses creux de pierre, en ses cavernes, en ses jardins remplis de vestiges, les débris sublimes des joyaux volés aux Patriciennes, aux concubines des empereurs, et même aux Pirates Grecs, ou Barbaresques.

J'attendais toujours qu'un expert (je refusais de comprendre que notre planète fourmillait d'experts en Art tous opposés les uns aux autres) ferait jaillir la vérité la plus éblouissante de la tête de femme enturbannée retrouvée voici quelques années sur la sofa de notre chambre d'hôtel à Naples.

"Qu'importe! dis-je à l'Homme-Mari qui observait d'un oeil perplexe la brume tournoyer sur la mer en ce matin nacré de septembre, qu'importe si un grain s'annonce, le beau temps arrive tout de suite après, qu'importe si nous nos projets sont irréalistes, c'est l'apanage des grandes espérances. Ne sommes- nous tout simplement heureux de profiter de ces quelques journées à en faire beaucoup trop, malgré notre voeu de farniente du début ?

 Oui, la maison ensorcelée porte de nouvelles blessures, mais elle résiste, elle tient bon,  elle est fière de ses cicatrices, et ses rides feront baisser son prix avant qu'elle ne s'effondre.

Oublions- la, de toute façon, nous n'y pouvons rien. Tournons le dos à Capri aujourd'hui, cela ranimera notre flamme, et fera taire les enfants qui nous jugent absurdes. Ils seraient rassurés de nous voir quitter l'isolement d'Anacapri, cette espèce d'envoûtement perpétuel qui nous enferme ici, prisonniers volontaires de ce côté-ci de l'île ... Descendons au moins au port ! A défaut de trouver une destination originale, nous persuaderons un brave marin de nous faire traverser vers Positano...

Nous devrions mourir de honte, toutes ces années à rêver sur les hauteurs de Capri et pas une seule visite au village le plus snob de la côte Amalfitaine !"

L'Homme- Mari n'a aucune envie de quitter notre superbe isolement et encore moins de naviguer par gros temps vers le port chatoyant de Positano, à la poursuite des légendes mondaines de saison ...Les trois Sirènes ironiques et maléfiques, sommeillant parfois sur les  âpres rochers du Faro ou prenant un bain paisible au sein des profondeurs  bouleversantes de laCala di Tombasiello, suffisent à son bonheur. Or, ses yeux brillent sous les premiers éclairs frappant le Monte-Solaro, et le voilà qui me pose une question de confiance :

"Toi qui a eu la chance de visiter Amalfi enfant, quel souvenir en gardes- tu ?"

Un relent du passé éveille un frisson dans mon dos, je repousse une vision sinistre, et me contente de répondre avec une prudence de vieux diplomate dressé à flotter entre deux eaux:

"Pluvieux !"

 Je n'ose avouer garder en mémoire l'image impitoyable d'une énorme masse d'eau rompant la douceur de la petite ville, puis notre fuite éperdue entre les venelles, gluantes, parmi une armada de voyageurs  en proie à une absurde terreur, enfin la sensation désagréable de se transformer en chien ou chat trempé jusqu'aux os.  

" Je crains, dis-je d'un ton patient, que ce port d'Amalfi ne te déçoive, il attire les touristes comme des abeilles dans une ruche, cela va te faire virer à la mauvaise humeur, et justement, tu le vois bien, la météo vire au  temps chagrin. Sauvons ce qui peut l'être encore,  pourquoi pas Positano ? Bien sûr, c'est un port encore plus célèbre que Saint-Tropez ou Cadaqués, mais y arriver par mer doit être saisissant... 

Et nous verrions enfin les minuscules Galli, ces rochers si séduisants de loin par temps clair, et si maléfiques quand on rôde autour ! Ces îles interdites aux simples mortels seraient les résidences estivales des Sirènes, tu ne cesses de me vanter les périls de cet endroit périlleux et hanté entre tous...C'est très attirant ! Des îles où un aréopage de fortunés à l'âme de pirate, campent sur les vestiges d'une immense Villa romaine. Elles seraient interdites aux curieux prêts à l'abordage, mais qui sait ? De l'audace, observons- les du ferry, achetons une carte du golfe de Salerne, et la prochaine fois, naviguons tout autour de l'archipel infernal !

 Voilà qui fera frémir Salvo et nous gratifiera définitivement de la réputation de fous de Français... "

Les Galli ! Comment résister à une navigation autour de ces rochers parsemés d'ossements selon Homère, ces récifs  aigus, peuplés d'oiseaux de mer, avec sur l'îlot le plus vaste, les ruines d'un domaine antique s'étendant à pic sur un promontoire digne des effroyables belvédères de Capri ?

L'Homme- Mari, un peu oppressé à l'idée de fendre la houle sur la mer aussi capricieuse qu'une Diva Napolitaine vers un archipel hanté par des Sirènes cannibales, et pire les Carabinieri aux aguets sur leur bateau rapide, me vante les beautés de Positano, lieu de délices qu'il ne connaît que sous la forme de carte postale. L'essentiel est de nous prouver que Capri n'est qu'une île que l'on adore et que l'on oublie.

 Pour un peu, une île à laquelle, nous enverrions une corbeille de roses en guise d'adieu, assorti du mot rituel "Chère amie, ce fut un plaisir, mais restons- en là ...". 

Ne le mériterait- elle à force cette île de Capri qui se croit fatale, unique en ce fol univers, irremplaçable, irrésistible ? Hélas, la honte me suffoque presque, comment ai-je l'outrecuidance de mentir à ce point ? Capri est tout ce que l'on veut, le meilleur et le pire, le bon et le mauvais, le silence et le tapage, la folie et l'harmonie, la paix et la tempête, l'amour et le désamour, mais on y revient toujours ...

 J'ai beau tenter de rompre poliment cette chaîne invisible qui nous  lie à ce petit monde embrumé de bleu , je sens la vanité, la vacuité, l'insignifiance extrême de mon beau raisonnement. Capri ne se quitte pas à l'instar d'une amoureuse dont les appas ne délivrent plus d'enchantement. Féroce, insatiable, arrogante, elle prépare sa" vendetta" ...

Mais, il est trop tard pour reculer ! le bus de la Piazza Caprile nous emporte à grandes secousses, nous partons du bout de la ligne et à chaque fermata, le petit véhicule ramasse des malheureux qui se tassent en s'étouffent, bientôt, c'est une boîte de sardines humaines qui dégringole avec son chargement frétillant et haletant vers Marina Grande.

A peine sur le quai, nous sentons la morsure du vent frais.  En escaladant les rochers en contre-bas, la mer se trouble d'une inquiétante teinte vert pâle, et envoie son fanion d'écume bleue mordue de blanc sous les murs cernant les plages minuscules. Le farniente ne se cultive plus en cette menace de tempête... Le port a perdu sa confusion souriante, nul voyageur angoissé par ce nouveau monde hurlant et tonitruant  ne s'agite autour des taxis, les cafés sont d'un vide hivernal et le guichet affiche "Amalfi, Napoli" et rien d'autre, c'est la déroute maritime ! ...

"Positano ! "réclame l'Homme-Mari du ton d'un homme qui ne se laissera pas intimider par un grain insignifiant.

"Positano, non ! Amalfi, si !"

La tempête se lève, nous explique-t-on, si nous sommes assez fous pour tenter l'aventure, ce sera Amalfi, plus tranquille que Positano, à prendre ou à laisser ! D'ailleurs, si nous arrivons à entrer au port d'Amalfi, il n'est pas du tout certain que nous puissions en repartir , peut-être en bus, vers justement Positano, ensuite, Napoli, mais en taxi ? Ou à la nage vers Capri !

Le bateau tangue à l'autre bout du quai, la tentation du risque nous saute au coeur, et nous courrons en agitant nos billets, on jugerait en nous observant, rouges et au bord de la crise de nerfs, que notre vie est en jeu. 

En vérité, croyons- nous avec une confiance puérile, quelque chose de puissant, de grave, d'irrésistible, nous attend à Amalfi !

 L'équipage doute manifestement de la bonne marche du navire, une atmosphère tendue angoisse les passagers qui scrutent la mer et poussent des cris nerveux à chaque vague farouche et bellement balancée dans une  furieuse gerbe d'écume. L'Homme- Mari craint surtout la honte du mal de mer, et moi, créature que ce tourment n'atteint pas, je m'emplis les yeux d'embruns et de vols de mouettes. La brume s'épaissit, masquant les murailles terrifiantes des falaises  taillées au sabre, j'entrevois l'ouverture d'une crique, la masse rébarbative d'une île minuscule, et soudain au fond d'une baie exquise, une ville épousant la roche élevée, un Sorrente plus gracieux, Positano !

 Hélas, nous fuyons au large de ce délicieux lieu de délices et le bateau danse, enragé, déterminé à l'affrontement, obstiné à nous mener vers Amalfi dans un superbe ruissellement qui torture vigoureusement les hublots.

"Les Galli, quel dommage, ce damné bateau les évite, on ne voit que qu'une sorte de tortue flottante, très lugubre, même l'eau a noirci autour des rochers... Peut-être un souvenir des ossements de ces pauvres marins dévorées par les Sirènes aux ailes de mouettes, voraces anciennes propriétaires de ces lieux sinistres ! "

"Tu as trop lu Homère" soupire l'Homme- Mari en guettant le port salvateur.

L'archipel maudit disparaît, et une montagne se dresse, touchée par la grâce d'un rayon de soleil , c'est Amalfi. Pourquoi l'ai-je bannie de ma mémoire ? Cette ville surgit comme bâtie par le caprice d'un dieu inventif, incrustée à même les roches rougeâtres. Balcons du vertige, terrasses en fleurs, hautes façades, Villas patriciennes, jardins suspendus sont accrochés à la falaise ou creusés dans l'épaisseur prodigieuse du roc à pic.

L'esprit confus, nous suivons la foule et sans trop regarder notre chemin, pénétrons sur une place agitée autour de sa fontaine,  rien de plus charmant, mais nous restons pétrifiés, étonnés jusqu'au fond de l'âme, la place se mue en un domaine divin d'où un escalier d'une magnificence baroque évoquant les paysages imaginaires  du fantasque Hubert Robert entraîne vers la porte sublime de la Cathédrale. On croirait presque l'échelle des anges, et en gravir les marches m'angoisse ... En suis-je digne ?

" Un café, ensuite, nous grimperons. Finalement Amalfi en valait la peine. Pourquoi garder le souvenir d'un village pluvieux ? Tu as dû confondre... Cela remonte à si loin..." décide l'Homme- Mari dont le bon sens apaise mes élucubrations ! 

Le soleil timide et coquet s'élance sur les pigeons chassant les miettes des voyageurs, et les enfants chassant les pigeons. C'est un tableau  baigné de lumière voilée, un tableau parfaitement italien et absolument radieux. 

Si seulement on nous prenait pour des Italiens nous aussi! Nous voilà cernés par des troupes de Français se lamentant de la nourriture, de la fraîcheur de l'air, du prix des camées antiques engloutissant les vitrines de l'échoppe ravissante, juste à un angle de la place veloutée de soleil humide,  et encore des pigeons chassant les miettes de croissants, et des enfants pourchassant pigeons et ballons...

Que de plaintes vaines et stridentes au coeur d'un tableau d'une délicatesse toute spirituelle !Pourquoi ne se contentent-t-ils de cette féérie échappée de l'air, de la lumière et de la beauté extravagante du monument perché à la cime de ses marches titanesques ?

La Cathédrale, splendide et pure, inspire recueillement, admiration et songes élevés, prières et douceur, de son cloître où les rumeurs se taisent, cercle harmonieux aux fresques idéales, à sa crypte, paradis en miniature aux arcades peintes d'anges d'une beauté n'appartenant guère à notre monde. 

Cet antre spirituel éclate d'or et de teintes vives, je remarque un ange, discret au front de sa colonne, pensif, retenu, le seul de la kyrielle angélique à s'abîmer dans une prière dont la ferveur dépasse le temps et subjugue le spectateur silencieux...

Tant de force et de beauté céleste finissent par nous épuiser et nous reprenons notre souffle sur une vaste terrasse où l'on bavarde en toutes les langues excepté l'italien.

L'Homme-Mari soupire, las mais heureux, l'Italie rend heureux !

 "Pluvieux Amalfi ?"

"Si Dottore, la Signora ha ragione, ecco qua la pioggia ! questo pomeriggio !" 

 Cette fois, l'oiseau de mauvais augure emprunte la forme humaine d'un cameriere dodu, fort aimable et singulièrement déprimant.

 Nous n'écoutons pas ce prophète de malheur, et, une heure de repos plus tard, plongeons hardiment vers les venelles se jetant à l'assaut de la vieille- ville. un pas, deux pas, et la malédiction s'accomplit: la pluie la plus hasardeuse, la plus violente, la plus désagréable, s'élance sur nous, sur les troupeaux de voyageurs, sur les pigeons, les enfants, les ballons. 

La pluie, divinité cruelle et terrible, se change en trombes et les trombes se métamorphosent en torrents dévalant de la montagne, tout Amalfi sombre au fond des eaux ...

Qu'allons- nous devenir ? Où fuir ?

 Quel refuge inespéré nous tendra- t -il les bras ?L'eau coule à gros bouillons et nous évitons de  justesse trébucher au milieu du courant forcené, la foule en détresse entre dans chaque boutique encore ouverte, ne regarde rien, n'achète rien, se masse sur un seuil dégoulinant et dégouline encore plus, c'est une tragédie aquatique dont nul n'espère la fin.

j'avise un antre sombre et y précipite l'Homme- Mari. Enfin au sec! nous sentons le chien mouillé et reculons d'effroi devant les somptueuses gravures anciennes que nos vêtements répandant l'eau en rigoles risquent de transformer en chiffons d'ici une seconde. 

Mais le courage nous abandonne à l'idée de repartir sous l'onde mouvante qui ne cessera sans doute jamais de choir du haut d'un ciel hostile. La rue se couvre d'un dais de parapluies frénétiques, qui se bousculent et se dressent en formant un rempart incertain contre les tourbillons d'eaux froides. 

Ce spectacle affligeant me cloue sur place! Je ne sortirai pas de cette boutique même si l'Homme- Mari m'éblouit de regards éloquents: nous sommes tombés dans un piège à touristes naïfs ! 

Poussée par ma faiblesse de femme transie, je vais jusqu'à feindre l'admiration et l'envie face aux charmantes "Vedute" d'Amalfi, et supplie pour que le patient vendeur m'en propose une de Capri, tout en priant qu'il n'en ait aucune. 

C'est sous-estimer le talent d'un antiquaire maître dans l'art de circonvenir son client. Affable et habile, le courtois boutiquier m'ensevelit sous un monceau de Vedute di Capri, rien ne manque à la collection, pas un collier de corail au cou des Ragazze, corbeilles en couronne sur la tête, pas un Faraglioni non plus ne saurait être oublié, ni un seul rempart écroulé du palais de Tibère. 

Je vacille, tentée, mais l'énoncé du prix de ces exquises évocations m'arrache un cri étouffé, l'Homme- Mari en profite pour me pousser au-dehors, et, miracle, la pluie suspend des flots !

"Pardon, hurle un inconnu carapaçonné de plastique rose, vous êtes bien Français? Oui, alors dépêchez- vous, au port, c'est la confusion,  ils sont en train de faire partir les bateaux en avance, si vous voulez sortir de cette ville infernale, foncez! Nous, nous attendons le bus, au moins il ne coulera pas !" 

Le Français inconnu ne se trompait pas, deux bateaux chahutent devant le qui, et une masse compacte de voyageurs élève ses billets en sanglotant, vision encore plus dramatique sous le ciel vibrant d'éclairs! " Capri ? Capri ?"

 "Non! me répond-t-on dans toutes les langues du monde, non, pas de bateau pour Capri !"

 Le bateau pour Capri serait-il déjà en mer ?

Un couple de Brésiliens fond sur nous, exaltés, nous sommes Français, ils adorent la France, l'Italie est trop perturbée, aucun bateau ne correspond à leurs billets, j'essaie de les consoler, peine perdue, un marin hargneux les accable définitivement en leur désignant un point noir valsant sur l'horizon:

" Il est là votre bateau, dit-il en un anglais barbare, vous ne saviez pas qu'il fallait arriver en avance ? Personne ne prend son bateau à l'heure quand la tempête souffle ! Vous les étrangers, vous croyez monter dans un train !  Choisissez- maintenant: la nage, le bus, ou l'hôtel, et basta ! vous, Signora, avancez pour Capri, vite, le bateau part dans une minute, dai! presto, pesto!"

Un autre marin me saisit par la main et me lance sur la passerelle trépidante, je suis sauvée in extremis du bain de mer par un passager compatissant, l'Homme- Mari grimpe à son tour et nous nous affalons sur nos fauteuils au moment précis où notre navire attaque la sortie du port comme s'il était pourchassé par une armée d'ennemis déferlant des montagnes. 

Or, très vite, l'allure folle s'apaise, et voilà que notre bateau entreprend de dessiner des ronds dans l'eau, une volte, une seconde , et nous piquons droit sur le port! La terreur fait se lever les quelques passagers, une nuit à Amalfi, paradis délicieux, non, c'est un châtiment trop cruel !

Une heure s'étire ainsi, entre voltes et vire- voltes. Le silence pèse du plomb, soudain, un bout de ciel bleu pointe son éclat rassurant entre les nuées gris-de- fer, et à notre immense soulagement, le bateau se secoue et choisit l'horizon. Après la pluie, le beau temps, enthousiastes et  passionnés, nous guettons chaque crique enflée de maisons roses, chaque petite île rude, chaque entrée sauvage vers une baie mystérieuse, et déjà l'ultime pointe rocheuse nous lance le défi de la traversée. Allons- nous tanguer et souffrir jusqu'à l'épuisement complet de nos nerfs ?

 Crainte ridicule !  Crainte coupable ! Les puissants sortilèges de Capri agissent en un battement de coeur, la tempête nous fait grâce de ses élans fiévreux, les vagues s'adoucissent, et Marina Grande étend ses quais comme pour nous serrer dans ses bras.

 "Enfin Capri, dis-je, toute honte bue, il faut savoir la quitter pour mieux y revenir."

 Sur le quai, Salvo inquiet, surveille notre débarquement, on nous jette à ses pieds, le bateau s'élance vers Naples, à la vitesse d'un équipage surgi des Enfers..." 

"Quelle idée de faire la croisière par ce temps ! Vous n'avez pas le droit d'inquiéter les amis. Et comment avez-vous trouvé Amalfi ? "

"Pluvieux !" réplique l'Homme-Mari.

 Il ajoute sans rire, "Je crois que pour faire fortune, ouvrir une boutique de parapluies dans cet port s'impose à tout être doué de bon sens ...une idée à suivre ? "

 " Ridicule, murmure une voix que je croyais à jamais éteinte, ridicule, ne nous quittez-plus, et revenez sur les pas de votre oncle ... Justement, demain, il fera beau sur le sentier d'Orrico ...;"

Encore lui ! Mon  beau fantôme éternel, ne me laissera -t-il  jamais en paix ?

Ou serait-ce la voix de l'île qui chante plus fort que le bourdonnement rauque de la mer d'Automne ? 

"Demai, nous resterons à Anacapri et du côté de la Grotte Bleue, et  descendrons vers le Fortinio d'Orrico que libéra mon ancêtre en octobre 1808. C'est un devoir que je me repens de n'avoir pas accompli J'ai tellement honte, j'ai trahi tant de monde, si tu savais ...."" 

"Vraiment ?"

"Chiaro che si ! Voilà ce que l'on attend de nous,  basta pour Amalfi !"

A bientôt, pour une autre péripétie entre Capri et Napoli, un autre chapitre de la "Maison ensorcelée", seconde partie,

 Lady Alix ou Nathalie-Alix de la Panouse



  

Amalfi, tempête en vue ....Automne 2024

Crédits photo réservés Vincent de La Panouse

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