samedi 23 novembre 2024

Naples à la veille du miracle de San Gennaro : "La maison ensorcelée" Partie II Chap 20



Le sourire de Naples à la veille du miracle de San Gennaro

Roman à Capri : La maison ensorcelée

 Seconde partie

 Chapitre 20

 Sur le sentier du retour, dos au Fortinio d'Orrico étincelant sous l'or embrasé du couchant, nous méditions en silence, l'humeur étrange, entre la mélancolié et l'apathie.

 J'avais d'un ton péremptoire clamé notre départ prochain, annoncé notre reniement de l'île maudite, l'île aux chèvres, l'île qui se jouait de notre bonne volonté et se gaussait de notre passion inutile.

 J'éprouvais pour ce rocher fleuri la hargne sombre d'Eve rejetée du Paradis. Capri se refusait à nous qui l'aimions avec tant d'abnégation, de folie, de désespoir et d'espoir. 

 Eh bien, nous lui prouverions qu'elle n'était après tout qu'un énorme entassement de rocs plantés de Pins ballottés par le Siroco , un grotesque amas de falaises rongés par les orages et la fureur de la mer, une misérable escale du grand tourisme qui n'avait plus rien de l'élégance du grand Tour.

 Capri ne nous méritait pas, notre coeur était trop pur, finalement, le mercantilisme l'avait contaminée,  elle boutait hors de ses chemins empierrés, de ses traverses délabrées la fine fleur des poètes, et coquettait avec les banquiers, les financiers, les hommes d'affaires.

 lle n'existait plus celle qui fût l'île des rêveurs, la citadelle des amants aux impossible amours, la sauvegarde des empereurs malmenés par Rome, l'étoile sur brillante en ses brumes au large de Naples, l'ultime refuge en cas de guerre lancée par un dictateur du Nord selon Wells, le visionnaire ... Mais alors, que nous restait- il ? Nous prîmes le petit bus sans réaliser si nous étions seuls, nous prenions en fait notre deuil, le deuil de quasi sept années d'attente et de sursauts, de rencontres, de bavardages, de promenades mystiques ou légères, de passion amoureuse envers un extravagant caillou !

Et tout cet ahurissant cortège de sentiments, cet flot irrépressible d'émotions à cause d'une maison en ruines ou peu s'en fallait! une espèce de cabane d'une séduction odieuse, d'une beauté proprement vénéneuse, une maison qui s'était exténuée à peupler de son jardin sauvage un vieux rêve de ma lointaine enfance, un songe que je subissais en l'adorant, un repli en mon âme qui détenait la clef d'une chaîne étirée à travers les siècles...

Il était urgent de monter sur le premier bateau, d'aller dîner à Naples, de revoir Simonetta la raisonnable la concrète, l'amie pleine de ce bon sens qui me manquait et qui fuyait l'Homme- Mari dès qu'il débarquait à Capri. Nous allions nous précipiter dans sa boutique de bijoux prodigieux et lui annoncer notre ferme résolution:  le monde ne se limiterait plus à une cabane à Capri sertie dans un jardin d'herbes  foisonnantes et de fleurs rouges et roses semées par les tempêtes .

D'ailleurs, Simonetta et moi-même avions formé le périlleux projet de transporter sa boutique Napolitaine un soir d'automne au sein de notre vieille maison humide du sud-ouest de la France, comment imaginer quelque aventure moins capriote et plus terre à-terre ? Voilà qui servirait de remède idéal à notre obsession tranquille:  il devenait urgent de prouver aux Sirènes de Capri, que seule leur soeur de Naples, sous les traits de Simonetta,  occupait notre esprit et allait s'exiler quelques jours à l'autre bout de la mare nostrum.

"Ce projet de cocktail dont nous parlons depuis avant le Covid, sans cesse reporté, toujours en vigueur dans nos conversations, nous n'avons plus le droit d'en faire une chimère , il n'est plus temps d'hésiter comme un cheval qu'effraie un ruisseau, prouvons à notre amie toujours aimable, jamais lassée de notre obsession capriote que nous sommes dignes de confiance, cette mostra  aura lieu, nous transformerons le salon, la salle à manger, la cuisine s'il le faut, et ton bureau, ne grimace pas,  en tout cas les plus jolies pièces de la maison seront éclatantes de colliers, bagues et bracelets ressuscitant les fastes des Patriciennes de Pompéi, des fontaines de bijoux, et aucun risque d'attirer le descendant d'Arsène Lupin, n'oublie pas que ces joyaux sont façonnés en argent ou en bronze... 

Du romantisme, de l'histoire, du charme, mon Dieu, et si personne n'achetait ? Simonetta en serait si blessée et nous si confus ! Mais peut-être va-t-on croire que nous sommes au bord de la ruine et obligés de vendre des marchandises exportées  pour survivre ? Et si tous nos invités fuyaient, épouvantés à l'idée de tomber dans un traquenard ? Allons, ils ne sont pas pleutres ou avares, je me monte la tête, qu'en penses- tu ? soyons optimistes, personne ne résiste à une invitation au voyage à la mode de Baudelaire, luxe, calme et volupté, c'est- à dire, bijoux, campagne profonde et champagne à prix raisonnable !"

 L'Homme- Mari  ne  partage guère mes troubles existentiels, son souci se porte sur le buffet, le  choix et le nombre des invités  et la masse de gravier à commander afin de rendre notre cour moins humide en l'honneur de ce que nous imaginons ensemble comme un déferlement d'amis extasiés par ce pittoresque "Grand Tour" entre Naples et Capri  installé d'autorité à la maison.

Il évoque lugubrement les caprices du plombier, les féroces humeurs fiscales et le délabrement de la façade nord, est-ce bien raisonnable  de convier une troupe élégante dans une maison aussi ancienne et quasi décatie ? Que va penser Simonetta ? Ne croira-t-elle que nous sommes des barbares, et comment supportera-t-elle notre climat froid ?

"Son ami de coeur la réchauffera ! de toute façon, dis-toi bien que c'est l'héritière de la Sirène Parthénope que nous présenterons à l'admiration de ces gens du sud, toujours attachés au rayonnement de l'ancien Royaume de Naples, ne sommes -nous cousins des Napolitains, nous les Français, grâce à Caroline Murat et son flamboyant époux ? Elle qui bâtit une ville idéale où l'on s'adonnait à la musique, la danse, la porcelaine et la peinture! 

 A propos de légendes Napolitaines, Lady Hamilton l'amante de Nelson qui plaisait tant aux femmes en manquant d'un oeil et d'une jambe, on pardonne ces petits détails aux héros,  et la reine Marie-Caroline,  sa grande amie, la soeur de Marie-Antoinette qui s'acharna à traquer les artisans de la Révolution dans son royaume, ne font pas le poids, en dépit de leur parfum de souffre, face à la reine Caroline si férue d'art et de beauté. 

Prenons le bateau demain, il nous reste deux jours  en Campanie, le dernier, nous l'emploierons à dire au revoir en nous gardant de descendre vers la maison de mon ancêtre. Ne réveillons pas notre attachement, efforçons- nous  de nous conduire en personnes indépendantes, détachées des passions,  libérées de cette malédiction capriote qui nous ligote depuis, non, je me trompe, tout de même pas ..."

L'Homme- Mari contemple les voiles laiteux des brumes s'effilochant sur les flancs piquetés de lumières du Monte -Solaro. Soudain, il  prononce des mots qui me stupéfient.

 Finalement, maison ou pas, Capri nous sert de lien solide, en nous présentant ce bienfait  précieux pour l'avenir.: un horizon de complicité, au-delà de la vie commune qui vous éloigne en vous attachant à l'instar de deux coques de bateaux que la houle froisse. et déchire. Tant pis pour ce fantôme qui ne cesse de m'inciter à remonter un bouleversant passé. Qu'il se tienne tranquille du haut de son nuage d'où il observe la Capri de notre siècle, si bruyante, si agitée, et pourtant assez puissante pour ne se donner qu'à si peu.

"Bientôt sept ans ...Mais beaucoup plus, j'ai l'impression de connaître cette île et cette ruine d'en bas depuis l'éternité...Pas un mot aux enfants. Mais contrairement à toi, je suis sûr que Capri ne nous abandonnera jamais. Enfin, essayons toujours, Naples, ce n'est pas un grand changement !  Je ne me souviens plus d'où est sortie cette Sirène affublée de ce nom si bizarre de Parthénope ? "

 Le lendemain, sur le pont du ferry répandant sa trace de fumée sur les eaux limpides de la baie de Naples, à l'abri des mouettes tournant dans la lumière généreuse de la matinée, j'essaie de ranimer le destin tragique de Parthénope, Sirène chassée de son archipel des Galli, ou mieux encore bannie des rocs de Capri, châtiment infligé par son indigne grand-père, le Dieu de la mer, qui s'indignait des goûts pacifiques de sa petite-fille préférant croquer algues et coquillages au lieu de dévorer les pauvres marins. Piteuse sirène en vérité qui  s'échoua à l'instar d'une algue fripée sur la grève du port où s'abritait les pirates Pélasges, venus, ainsi que leur nom le signifie en grec, de la haute- mer. 

Mais qui sont au juste les Sirènes ? Femmes à tête d'oiseau selon les uns et surtout le vieil Homère, ou séductrices à queue de poisson, châtiment décidé par la déesse de l'amour jalouse de leurs chants suaves, talent hérité de leur mère présumée, la muse Calliope, spécialiste de la poésie épique, et de leurs danses aquatiques, héritage de leur père le superbe fleuve Achelos, les Sirènes au caractère incomparablement moins cruels, existeraient encore sous des formes aussi séduisantes que surprenantes. Bon nombre de personnes sérieuses se vantent de les avoir croisées à Capri , Sorrente, Amalfi, et parfois dans les jardins perchés du Bosquet de Capodimonte à Naples.  

Les trois gros rochers fermant la baie de Marina Piccola à Capri  cacheraient les trois dernières Sirènes encore en état de faire mourir d'amour les nuits de tempête les beaux nageurs assez imprudents pour piquer une tête dans les vagues furieuses.

Cette légende est d'ailleurs une vérité à l'instar de la myriade de fables flottant dans l'air bleuté de Capri. Certains, dont Victor Bérard, helléniste métamorphosé en mythe après avoir osé se prendre pour le descendant direct d'Ulysse dans les années trente en embraquant à sa suite vers les îles de l'Odyssée, eut l'audace d'affirmer que l'humble archipel des Galli au large d'Amalfi était bel et bien le vestige abrupt du château des antiques et féroces princesses de la mer. Depuis Capri fronce le nez !et les Sirènes, sourdes aux discours des grands érudits infligeant leurs doctes déductions aux mortels, batifolent sans broncher au sein des grottes en hiver. L'été, l'île trop peuplée les agace et elles se replient on ne sait où ... 

"Oui, mais Parthénope dans ce fatras de légendes ? Qui était- ce au juste ? Une femme- poisson, une femme- oiseau, ou une invention d'Homère ?"

 Je suis bien triste d'avouer à l'Homme -Mari que Parthénope, en grec celle qui a un visage de  pure jeune fille, a rejoint le séjour des Dieux, peut-être sur l'Olympe ennuagée, ou du côté du Parco Filosofico d'Anacapri, après son éreintante traversée du golfe de Naples à l'aube des temps. Son sanctuaire, aurait été creusé dans une falaise regardant vers Capri, et une poignée d'initiés aux anciens mystères veilleraient au fil des siècles à le fleurir. C'est un gage de protection pour Naples qui s'évertua en ces temps homériques à soigner la malheureuse si éprouvée en lui offrant du sirop d'orange et du jus de fleurs.

 Hélas ! elle refusa de vivre en mortelle et  disparut comme un nuage, ne laissant que le souvenir de son  sourire adorable aux Grecs, dépités de ne pouvoir en faire une Sirène de compagnie ... 

Que devint son corps d'oiseau ou de femme- poisson ? Seuls les descendants des Pelasges le savent ! 

"Mais de nos jours, le sourire de Parthénope éclaire encore le visage des Napolitaines, pense à Sophia Loren ! La Sirène de" Mariage à l'italienne" et de "C'est arrivé à Naples" , films extravagants, sauvés du naufrage par la seule beauté de son sourire irrésistible, Sohhia, la Sirène de la Piazza del Gesu Nuovo ! La Sirène a la faculté, la manie, l'intelligence de renaître, en perdant son féroce appétit, en se muant en une fantasque créature capable de donner et de recevoir l'amour  ...  Enfin, j'ajoute foi à ces histoires à dormir debout, que veux-tu, Tant de mystères sont ensevelis au fond de ce golfe miraculeux..." 

L'Homme- Mari fixe la mer comme si une des trois Sirènes, je lui fais grâce de leurs étranges prénoms(Psinoé, Thelxipie et Aglaophone aux yeux d'émeraude !)  allait en jaillir dans une gerbe d'écume, Capri s'enveloppe de ses brumes bleues et nous abandonne sur l'horizon étincelant.  La ligne blanche de Naples s'avance avec ses navires amiraux, Palais Royal, Château de l'Oeuf sur son île minuscule, Château neuf, Chartreuse di San Martino, ses jardins en terrasse, et ses terrasses comme des jardins, ports grands et petits, bateaux énormes, barques modestes et véloces, Naples, la brillante, l'arrogante, l'indomptée malgré les évanescentes fumées encerclant le sommet du Vésuve ...

 Naples sourit, s'agite, vit et danse sous un volcan, cette force invincible, cette Foi en leur ville  irriguant les veines des Napolitains. Serait-ce l'antique leg de Parthénope, soignée et choyée, en dépit du courroux de Poséidon dont elle dédaigna de dévorer l'ennemi juré Ulysse d'Ithaque,  et du ressentiment de Proserpine, reine des Enfers, qu'elle abandonna à son destin conjugal, par les  pirates de la haute- mer, ces immenses Pelasges aux coeurs compatissants ? 

Qu'il est doux de délirer quand le ferry fument comme une armée de vieux grenadiers et que les marins font grincer les câbles !Cette fois, nous voici dans la lumière de Naples, éblouis parmi les voyageurs inquiets qui se pressent dans les escaliers malodorants en infligeant leur impatience maladroite aux habitués qui les considèrent avec une aimable condescendance..

A défaut de Parthénope, un Napolitain mince, vif, agile et très brun,  nous fait de grands gestes sur le qua,: voici notre ami Antonio, notre propriétaire du haut de la Villa qui nous abrite quand la fortune daigne nous laisser libres de revenir ivres de bonheur et exaltés comme des enfants sur les montagnes d'Anacapri.  Quelle courtoisie de nous épargner les caprices et affres d'un taxi, et de nous affirmer que la perspective de suivre l'itinéraire grimpant jusqu'au très désuet Grand Hôtel de Capodimonte l'inonde de ravissement ! 

Mais que de monde, que de vacarme, que de remous ! Antonio impassible franchit les ruelles étroites où se déversent des torrents de promeneurs gesticulant et hurlant contre un ennemi invisible les avenues semblent accueillir une révolution imminente, l'air tout entier retentit d'appels enragés, la petite Fiat imperturbable pique droit vers la colline de Capodimonte, sans se soucier des conducteurs au bord de la crise de nerf, et dans un virage impeccable, s'arrête pile devant la porte massive du vénérable palace qui a vu des jours meilleurs.

 Je remarque une gracieuse place à la noble architecture passablement défraîchie, mais reflétant le pur, baroque; de vastes et beaux escaliers à balustres s'enlèvent vers le palais de Capodimonte, hélas, ils sont barrés par une grande affiche interdisant aux commun des mortels de se hisser sur leurs marches romantiques. Antonio suit mon regard et dans silence éloquent me suggère  que les dernières  aimables frissons  du damné Vésuve ne date pas de l'autre siècle mais de la semaine passée ...  

Cette impression assez troublante se ressent dans le somptueux hall du grand hôtel, nous marchons entre d'imposantes colonnes  comme au sein d'un bois épais, il faut bien songer à soutenir le plafond en cas de fureur soudaine du monstre a doué d'un sommeil léger...  

A la réception, Antonio parlemente en usant d'un italien si rapide, si accentué que je m'en attristerais presque , toutefois, la certitude de vivre une nouvelle aventure dans un endroit incongru m'aide à endurer avec humilité ce flou ou ce flot comme on voudra. Donc, à Capri, je comprends l'italien et à Naples, pas un traitre mot ! A en juger par la mine arborée par l'Homme-Mari, nous en sommes au même point... 

Eh bien, tant pis pour le ridicule, j'ose supplier  que l'on me dise la raison de l'hystérie napolitaine du moment.

 "San Gennaro ! Vous arrivez chez nous sans savoir que demain le miracle se produira ou pas  Le Vésuve a grondé, si le sang de notre Saint Patron ne se liquéfie pas, il déversera son feu sur nous! N'en doutez pas !" 

C'est une svelte jeune fille à la blondeur, la pâleur suave d'une Madone Florentine qui  intervient d'une voix d'une véhémence outragée. Nous approuvons, moi par prudence , l'Homme- Mari par incompréhension, Antonio s'amuse, et le jeune réceptionniste, fin comme un chevalier de la Renaissance Italienne peint par Carpaccio, confesse son manque de ferveur.
 " Ce sang qui devient liquide, c'est un tour de charlatan, ou un phénomène scientifique. Je dis la vérité !  Tu fais peur à ces Français... Chambre 212 à propos, voici la clef, oui, elle est ancienne, comme tout l'hôtel, les meubles n'ont pas changé et la décoration, depuis le grand tour, j'espère que vous aimez les vieilles choses ? "

 J'ai bien envie de dire que si nous adorions le neuf, nous n'aurions même pas l'idée de mettre un pied à Naples, mais la Madone de Botticelli ou du Corrège n'entend pas perdre la partie de San Gennaro:

" Vous savez, clame-t-elle en levant ses bras potelés au risque de faire craquer son tailleur étroitement ajusté sur son exquise silhouette, vers le plafond orné de chérubins et de roses entre les colonnes protectrices,  non vous ne le savez pas, mais si le Covid est tombé sur nous, c'est parce que le sang de San Gennaro n'a pas voulu se liquéfier ! Comment refuser de croire au miracle ? 

Demain, juste à côte d'ici, la foule va protester, supplier, sangloter, prier bien sûr, et vous, où serez- vous ? Comment déjà repartis à Capri ? vous n'avez pas un matin à consacrer à San Gennaro ? Même les Français de Napoléon ont assisté au miracle en la cathédrale, et leur chef, le Général Championnet, a aidé le Saint Il a crié plus fort que les Napolitains, il ordonné à notre San Gennaro de se dépêcher d'accomplir son miracle, et San Gennaro lui a obéi ...C'était un vrai Français ! "

 J'ai rarement éprouvée une telle confusion, j'en pleurerai de honte, moi qui prétendais raffoler de la Campanie, voilà que j'entraîne de la manière la plus inconsidérée l'Homme- Mari à Naples la veille de l'effréné débordement qui entoure deux fois l'an le miracle de San Gennaro. Je n'ai pas le courage d'avouer à la beauté de Botticelli la perfidie de l'aide de camp du beau Général Français, oui, le miracle a bel et bien suscité la ferveur de la foule campant à Santa Sofia, mais à quel prix inconnu au bataillon !

 A la fin d'une interminable attente en la cathédrale de Santa Sofia, preuve "dela colère de San Gennaro contre les Français", l'homme de Dieu dévolu au spectacle de la fiole remplie du précieux sang coagulé eût la désagréable surprise de recevoir en pleine figure ce vigoureux ultimatum  du charmant aide de camp du superbe général Championnet:

"Je veux vous dire, de la part du général en chef que si dans dix minutes le miracle n'est pas fait, dans un quart d'heure, vous serez fusillé."

Selon le génial Alexandre Dumas qui le tenait de témoins fort sérieux:
 " Le chanoine laissa tomber la fiole que le jeune aide de camp rattrapa heureusement avant qu'elle n'ait touché la terre, et qu'il lui rendit aussitôt avec les marques de la plus profonde dévotion."
Le résultat prit cinq minutes au lieu des dix escomptés, le chanoine leva la fiole dans les règles de l'art en prononçant, face à l'assistance transie d'émotion et rouge de colère, la parole rituelle :

"Il miracolo è fatto!"

Le général Français venait de réussir un magnifique coup diplomatique à la hussarde.
 Loin de se douter de l'ironie de notre auteur adorateur de Naples, le sosie du chevalier de Carpaccio m'explique qu'un  concert battra son plein avec une énergie irrésistible devant le Palais royal ce soir, il ne nous manquait plus que cela !

Dans mon ignorance magistrale,  j'ai eu la sottise d'annoncer notre arrivée à Simonetta au même moment et au même endroit ! Ce rendez-vous inoffensif vire à la descente périlleuse vers un coeur historique ivre de musique, de danse et de vin...

"Existe-t-il par pitié un endroit paisible aujourd'hui dans cette ville ? s'enquiert l'Homme-Mari d'un ton aussi déterminé que celui jadis de l'aide de camp Français qui se fit si bien obéir.

 "Le bosquet de Capodimonte, Dottore, mais le palais et son musée sont fermés, cela ne fait rien, vous reviendrez un autre jour, pour vous consoler, vous contemplerez depuis le Belvédère la plus merveilleuse vue sur Capri qui soit en ce monde, vous qui semblez aimer l'île, vous en serez ravis. Capri ne s'oublie jamais même à Naples. Ensuite les Jardins sont encore plus envoûtants que ceux du palais Pitti à Florence, je vous le jure !C'est la pure vérité, nous n'avons rien à envier aux Florentins, nous autres Napolitains, ce sont eux qui nous envient, qu'est-ce que leur  pitoyable et triste petite ville de province à côté de la nôtre, antique, étourdissante, merveilleuse, avec cette lumière de cristal qui tombe droit sur les façades et nous éloigne de toute mélancolie ... 

Ah, j'oubliais, vous n'avez pas de chien ? Quel dommage ! Là-haut, au bout d'une allée, vous auriez été si contents de trouver le jardin pour chiens de petite taille, et son voisin, celui destiné aux chiens de grande taille, vous voyez, nous autres, les vrais Napolitains, nous pensons au moindre détail de la vie ..."

Je me sens revigorée, non à cause de cette litanie napolitaine, mais grâce à un seul mot, une seule évocation, que m'importe la frénésie de Naples et le faux ou vrai miracle,  l'enchantement renié reprend sa force, et je suis prête à courir vers la colline de Capodimonte.

"Capri ? Capri là-haut ? Partons tout de suite, Capri me manque tellement, te rends- tu compte ? Nous l'avons quittée depuis quatre bonnes  heures ! je n'en peux plus, et ces jardins me tentent terriblement, lors de mon rendez-vous au palais avec le faux ou vrai expert, voici quelques années, je suis revenue trop vite au port, c'est un crime, une preuve de mauvais goût, Parthénope m'en veut certainement et elle va nous foudroyer ou inventer une farce si nous ne la persuadons de notre bonne foi envers sa ville bien- aimée, de toute façon, tu ne supportes pas plus que moi les villes agitées, il nous suffit de gravir la colline, rien de plus facile ..."

"Pour les jardins vraiment ou pour Capri ? Et cette fière certitude de lui tourner le dos ? Allons d'abord vérifier si notre chambre ne sombre pas sous des fauteuils vétustes, un baldaquin défoncé et et la poussière, des siècles, puis une Trattoria, et ensuite, l'air de Capodimonte loin de la foule déchaînée.. " 


 A bientôt pour la suite de ce roman-feuilleton entre Naples et Capri,

 Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix


 
Naples au-dessus des toits, Capri sur l'horizon
Crédit photo Vincent de La Panouse
18 septembre 2024

                                                                                                                          


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