lundi 11 novembre 2024

Bague Romaine à double-vue : Roman à Capri "La maison ensorcelée" Partie II Chap 19



 Une émeraude romaine par la poste de Capri

"La maison ensorcelée" 

Partie II  Chapitre 19

Aveuglée de soleil et au comble de l'exaspération, j'en oublie une vérité bien plus stupéfiante.

Ce maudit promeneur solitaire sortant des remparts d'un Fortinio à la sinistre mémoire a le don de  faire naître d'horribles relents d'injustice, c'est un être infernal surgi des Enfers! Hors de moi, je ne saisis pas tout de suite qu'un décrochement vient de se produire.

L'arbre rassurant  s'est mué en jeune pousse, les murailles offrent de terribles ravages, et la tombée du soir de fin d'été a laissé place à un petit matin de mai, frais et odorant contre le ciel bleu pâle.

L'Homme- Mari n'appartient pas à cette dimension, ni le charmant poney des précipices, ni la beau panneau en majolique contant la gloire des héros. La solitude sereine a basculée sur les rochers à fleur-d'eau. Pire encore, voici que je distingue les traits de ce donneur de leçons qui ne cesse de prétendre que  je ne voyais rien en ce fol univers si ce n'est  sa vaniteuse personne deux cent ans plus tôt ...

"Vous ne portez pas la bague romaine ? Vous me décevez, une pierre qui fut sous Auguste le trésor d'une Patricienne ! Elle vous aurait ouvert les chemins du passé, pourquoi la négliger ? On vous l'a volée une première fois, je vous la rends et vous la méprisez."

 Je regarde ma main gauche comme si l'émeraude allait pousser sur mon annulaire. puis, une intuition me force à fouiller dans mon sac. Ce matin, un gamin a déposé une enveloppe que j'ai prise pour la facture du traiteur, le papier épais et  jauni m'avait étonnée, mais ce rendez-vous de fin de journée sur les falaises d'Orrico me troublait trop pour qu'un courrier banal  ait la chance de me préoccuper.

L'enveloppe ne s'est pas envolée, elle a gardé son aspect vieillot; j'aurai dû la déchirer avec allégresse ou mélancolie, pourquoi un voile s'est-il posé sur mes yeux ?Je devine un objet aigu  enseveli sous un chiffon , j'ouvre, en remarquant l'écriture, griffue, désordonnée, quasi illisible, l'encre aussi a quelque chose d'inusité, une nuance violette, et une senteur âcre s'échappe du velours rouge qu'une main soigneuse a plié  à l'intérieur. Un vertige m'empêche d'approfondir ce délicat mystère, d'ailleurs, est-ce bien moi la destinataire ? J'ai accepté tout à l'heure ce courrier sans même  en déchiffrer l'adresse. Le jeune messager avait l'air si convaincu ! 

" Villa Artemis ? Ecco una lettera da Napoli,appena arivata stamattina, per lei, contessa." 

J'avais souri, flattée par cette manie désuète et charmante de parer tout un chacun d'un titre éveillant la bonne humeur, et une pincée de snobisme: Dottore, Contessa, et quoi encore? Ne nous manquait que Votre Excellence !

"Mais qu'attendez- vous ? L'émeraude est douée de double- vue, pas vous, que craignez- vous ?  "

Juchée sur une grosse pierre flanquée de fleurs mauves en clochettes, la silhouette brumeuse s'agitait de plus belle, j'allais jusqu'à croire que son couvre-chef menaçait de choir en hommage aux  ultimes vestiges de la bataille.

"Enfin, quelle mouche vous pique-t-elle ? Nous ne sommes pas sur ces remparts pour respirer l'odeur des ruines, nous avons besoin de l'émeraude, elle seule nous précisera ce qui nous reste à accomplir.

  Je vous en prie, si vous m'aimez encore un peu, si vous me détestez encore un peu ce qui revient au même,  prenez- cette bague !"

Je me sens soudain extrêmement lasse, désabusée, ennuyée de la vie et surtout de cette maudite émeraude que j'entrevois à travers les épaisseurs de papier froissé. Vais-je hurler afin que l'Homme-Mari vienne me délivrer de cet esprit trop insistant ? Hélas, nous avons changé de dimensions, lui et moi, nos temps ne sont plus accordés, je suis très loin de mon présent, et ce passé renaissant de ses cendres ne m'inspire plus que l'envie de me jeter dans la mer ! 

Comme si l'encombrant amoureux de jadis lisait en moi à ciel ouvert, il s'avance parmi les étranges débris, les pierres tombées, le fouillis d'herbes et de fleurs qui nous séparent, mais ses mains ne me peuvent toucher, ses yeux luisent au sein d'une envolée brumeuse, le soleil semble son ennemi, sa silhouette sans ombre disparaît puis reprend  une très vague consistance sur les marches d'un escalier menant à une ancienne crypte peut-être... 

J'ai enfin saisi la bague massive et la pierre éclate en fanfare, verte comme les amours jamais vaincues, envahie d'un jardin extravagant, cassée, mal en point et pourtant la plus vivace lumière en émane et se répand sur les murs brisés, les rocs insensés, au point de noyer l'air de sa nuance insoutenable. Je recule, épouvantée, j'essaie d'arracher l'anneau ensorcelé, peine perdue ! 

"Pitié ! C'est un maléfice, libérez- moi de ce piège ! Que voulez-vous au juste ? Ce vert me lave le cerveau, je deviens aveugle, non, je vois ..."

Je vois sans voir, des images confuses peuplent ma tête, des souvenirs d'un temps si lointain, je n'en rattrape aucun, c'est un cortège tumultueux, des sentiments s'entrechoquent, des espoirs, des désespoirs, et par dessus ce vertige un tourbillon entre la vie, la mort. Je suis prisonnière d' un cercle qui tourne, ne cesse de tourner et m'entraîne vers une île couverte de blanches Villas, de statues élancées sous des  lauriers- roses, des bataillons de jeunes arbres sur les pentes montagneuses, puis un vallon désert, pierreux, d'où la mer s'aperçoit au pied d'immenses pâturages verdoyants. et des colonnes que l'on bâtit, des colonnes puissantes encerclant une allée menant à une Villa modeste mais sereine, enfoncée dans le roc et ouverte à la lumière, un refuge d'anachorète, ou la maison d'un Patricien discret.

 C'était au temps où Auguste distribuait couronnes et cadeaux sur l'île qui avait le don d'inciter les chênes desséchés à reverdir. Je distingue dans cet amas de souvenirs mouvants un beau visage de femme, une silhouette en tunique immaculée, elle me regarde avec douceur, une douceur poignante, qui était- ce  pour porter si dignement une douleur si paisible ?

 Puis, l'émeraude scintille, étoile tombée, étoile perdue, je vois mon fantôme en chair et en os, je le connais depuis l'éternité, je l'aime à en mourir et le repousse avec horreur,  ni avec lui, ni sans lui, de toute éternité, le voile s'est déchiré ... Or, il s'approche et me tend un objet brillant, une maudite lueur verte nous sépare, ma main a refusé la sienne, la bague roule sur l'herbe, je la ramasse, et une brûlure me fait crier, j'ouvre les yeux, le ciel est rouge, l'air frais, le soir glisse sur la mer et l'Homme- Mari  se matérialise, content de lui et du monde entier, un étrange objet scintillant dans sa main. 

" Regarde un peu,  on jurerait cette bague que tu avais volée sans le vouloir voici quelques années,  cette grosse émeraude cabossée, tu me diras, cela devait être un modèle courant sous Auguste, j'ai failli l'écraser, heureusement sa lumière m'a empêché au dernier moment de marcher dessus.

Quelle trouvaille !pense aux gens qui visitent ces ruines , comme c'est bizarre que nul ne l'ait aperçue encore, Crois- tu que nous devions la montrer aux Carabiniers ? Comme tu es pâle, bouger d'ici te redonneras des forces, ce Fort est superbe mais son atmosphère bien oppressante... Veux- tu  porter cette bague à nouveau ?  Cela nous éviterait de la perdre ou d'avoir des ennuis , mieux vaut que les promeneurs s'imaginent qu'elle t'appartient ; après tout, ne l'ai-je trouvé en toute honnêteté ? " 

'Cette bague est maudite, j'en suis certaine, soit jetons -là à la mer, soit vend-là pour tenter d'augmenter notre fortune ! J'ai eu une révélation en rêvant ici, la maison ensorcelée existait voici deux mille ans, c'est pour cela qu'elle nous attire, nous faisons partie d'une chaîne, une chaîne d'amour et de désamour, quel rôle y jouons- nous, je n'ose le deviner ....

 Il faut, soit nous soumettre, donc nous montrer  des gens raisonnables,  braquer une ou plusieurs banques, ou attendre que le fameux tableau exalte le marché de l'Art, ou prier pour que Fils Dernier épouse une princesse héritière, ou nous démettre, donc fuir au plus vite !

 Pourquoi ne pas filer à Corfou et nous mettre en quête d'une cabane antique écroulée en haut d'un promontoire ? Le style de maison qui ne séduit personne sauf les amateurs de passé idéalisé, d'air vif et de soleil ?

Au moins, nous aurions la paix, pas de relents de souvenirs, pas de maisons ensorcelées, juste des vacances  romantiques, comme tout le monde, partons de cette île, elle se moque de nous depuis le début, elle est hantée de haut en bas, je ne la supporte plus ! D'ailleurs, il existe une petite île, Paxi ou Paxos, au bout de Corfou, une soeur de Capri, voilà la solution ! Au large de cette île inconnue, une voix aurait annoncé la fin du dieu Pan ... Tu me diras, encore une île hantée!

 Je commence à haïr les esprits de l'air des Eaux et tous les fantômes pullulant sur ces terres modelées par une foule d'êtres qui ont acquis le droit d'erre sur leurs rivages pour l'éternité. Qu'ils nous fichent la paix ! Je désire un rocher paisible, une île qui aurait la courtoisie de ne pas nous lancer un incertain passé ou une gloire antique à la figure, l'île des gens normaux, mais je me mens à moi-même,  tu as raison de rire .. Pourtant, la vérité, c'est que je n'en peux plus de cette obsession que nous inflige Capri,  Cessons de souffrir pour une île qui se dérobera toujours !  les grandes passions n'ont-elles  une fin ?"

Une voix ténue se mêle au vent du soir et susurre entre les branches du Lentisque, seigneur du vieux Fort, cette réponse sarcastique :

" Les grandes passions ont toujours une fin, et un recommencement ... "

 A bientôt pour la dénouement de cet étrange feuilleton à Capri, 

 Nathalie-Alix de La Panouse 

ou Lady Alix


                                  "Jeunes filles de Capri "                              

Jean Benner circa 1880

 Ce tableau vaporeux redonne vie aux jeunes filles portant depuis l'Antiquité de lourds fardeaux à Capri, surtout en empruntant la Scala Fenicia, escalier antique aux marches énormes grimpant jusqu'à la porte à pont-levis d'Anacapri.

 Le jeune peintre Alsacien Jean Benner tomba amoureux de Capri et de ses jeunes filles, il fut incapable de prendre le bateau du retour et s'installa sur l'île pour toujours ...

 Crédits photo réservés, collection privée

 

 

 

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