samedi 18 janvier 2025

Sirènes Napolitaines en pays Toulousain ou" La maison ensorcelée" chapitre 23 Partie II


 Intermezzo  Napolitain suite 

La Maison ensorcelée" 

Chapitre 23 seconde partie

Deux Napolitaines dans la fraîcheur de l’automne toulousain

 

Les dés étaient jetés ! les deux Napolitaines, engloutissant magret et cassoulet avec un entrain qui remplissait l’Homme-Mari d’émotion et la patronne du restaurant Toulousain de légitime fierté, avaient décidé de transformer notre salon en boudoir oriental, et d’attiser la fièvre des amateurs d’exotisme et d’antiquité existant encore au fin fond de notre province.

Le destin était en marche, les invitations acceptées la maison lustrée tant bien que mal, (et plutôt mal que bien),le buffet sans doute annulé, mais le champagne et les gâteaux minuscules seraient à défaut largement  étalés, afin de consoler les estomacs meurtris tout en éloignant les critiques faciles. Notre réputation d’originaux nous sauverait pour une fois, et de toute façon, je ne pouvais plus rien face au destin délibérément du côté des mes amies, nouvelles sirènes surgies de leur golfe fabuleux !

Je refusais d’imaginer davantage les immanquables catastrophes qui nous cernaient, l’heure était à la douceur de vivre, et surtout à la bonne santé de mes deux belles amies victimes de leur curiosité culinaire… une promenade s’imposait sous peine de voir Simonetta s’endormir, et Flora éprouver un malaise dû à un repas infiniment plus nourrissant que ses raffinés en-cas habituels.

L’Homme-Mari supplia pour être laissé en paix en tête-à-tête de son quotidien préféré ; il garderait le sac gonflé de mystérieux joyaux avec autant de dignité sérieuse que si ce dernier avait été dérobé au trésor de la Tour de Londres ! Et, nous le comprîmes, éprouverait un vif soulagement à ne plus entendre un mot sur cette exposition qui menaçait de métamorphoser sa maison en île des pirates.

Comme s’il lisait dans mes pensées, il s’écria d’un ton enthousiaste devant la jeune serveuse émerveillée : 

« Le sabre du grand-oncle ! il faut que je le retrouve, et sabrerai les bouteilles d’un coup sec, vous verrez, mesdames, vous verrez comment un Français manie son sabre devant ses invités ! voilà qui ajoutera de l’élégance et aidera à la bonne humeur, c’est promis, comptez-surmoi , prenez votre temps, je vous en prie, vous avez les Jacobins, la place du Capitole, Les Augustins, ah, ils sont encore en travaux, et puis, tu inventeras bien quelque chose, n’oublie pas que le chauffage tarde à se mettre en route à la maison, si vous vous hâtez , nous reviendrons dans une maison glacée et elles s’enfuiront … »

Heureusement, nos Napolitaines ne comprennent goutte à ces prières conjugales !

Ce n’est pas le cas de la sympathique patronne, et de la gracieuse jeune serveuse qui se tordent de rire en lançant des regards compatissants sur ces sublimes créatures condamnées à supporter un séjour campagnard d’une rudesse écossaise…

Va pour les Jacobins église, couvent, refuge spirituel de Toulouse ! Au coin de la rue, juste après le hiératique Hôtel de Pierre de Bernis, parfait exemple de l’élégante  et rayonnante architecture de la Renaissance, le monument est gardé par un Cerbère nanti d’épaules robustes que souligne un costume impeccable.

A notre vue, le voici qui fronce les sourcils en écoutant ces Dames babiller comme des pies  moqueuses en leur italien d’une vivacité de torrent.  J’explique que mes deux Napolitaines désirent ardemment et humblement s’initier aux merveilles toulousaines, et le Cerbère s’humanise en clin d’œil.

Pour un peu ce rude personnage en sangloterait d’attendrissement. Tout s’explique, il me confie avoir vu dix fois « Mariage à l’Italienne »…

« Des Napolitaines ! C’est la première fois que j’en vois ! Sauf Sophia Loren bien sûr, mais jamais de près presque, ça c’était une femme !  Ah, c’est qu’elles sont aussi mignonnes les vôtres, et vous aussi, vous êtes une Napolitaine ? Non, on ne le dirait pas, c’est un compliment, les Italiennes, c’est déjà bien, mais alors les Napolitaines !

 Allez, c’est gratuit pour vous trois ! Vous ne faites qu’un petit tour ? Quel dommage ! Revenez, promis ? Ces Napolitaines ! eh bien ça alors ! Vous allez me dire si vous avez mieux que nos Jacobins là-bas, oui ? Santa Chiara ? Non, ce n’est pas possible, vous plaisantez, mais je vous pardonne ! Alors, elles aiment Toulouse ? Dites-leur que Toulouse les aime ! « 

Fortifiées par cette admiration spontanée, nous rêvons un moment entre les colonnes et fuyons avant qu’un troupeau de touristes ne trouble la claire sérénité de ce lieu où murmurent de sublimes vibrations.

Place du Capitole, miracle, un rayon timide émane du pâle soleil d’octobre et frappe les dorures du Palais , hélas, ce spectacle a beau charmer mes Napolitaines , je devine une légère déception, Toulouse charme, séduit, amuse, repose, Naples, vous entraîne dans ses prodiges, vous frappe par sa majesté et vous ordonne de la suivre au sein de ses profondeurs, c’est un gouffre, une  fille des sirènes qui danse sous un volcan et chante dans la tempête, renaît de ses cendres et oublie ses malheurs, ses immenses malheurs…

Il serait vain de comparer ces deux villes, mais comme il est bienfaisant de les aimer chacune et de leur rendre l’hommage qu’elles méritent. Au hasard des porches anciens, des cours secrètes, de la Place de la Trinité à la rue des Marchands aux façades ornées de statues Grecques (« Voilà enfin un air d’Italie !’ ! «) des boutiques à la mode, (« Vraiment Simonetta, tes bijoux sont tellement plus ciselés que ceux remplissant ces vitrines ! !»), l’Homme-Mari supplie sur son portable que nous ayons pitié de lui.

« J’ai commandé trois thés pour vous, Place Esquirol, dépêchez-vous, je suis en terrasse et il commence à fraîchir ! Je préférerais revenir vite à la maison, nous avons une heure de route et si nos amies découvrent la maison en pleine nuit, elles vont s’imaginer que nous vivons dans un endroit bien lugubre … »

« Du thé ? » L’homme-mari a-t-il oublié à qui nous avions affaire ? Aussitôt, je finis notre balade chez Roquemaurel, adresse éminemment toulousaine des amateurs de cafés, mes Napolitaines se précipitent, clament leur joie, et leur soulagement : du café ! elles sont sauvées ! ce qui leur donne le courage de boire le thé naïvement proposé par l’Homme-Mari.il est vrai qu’en Angleterre,  aucun chagrin, aucune catastrophe, nulle tristesse, aucun désagrément ne sauraient résister à une tasse de thé, ou même la simple perspective d’une tasse de thé, breuvage digne d’adoucir les tumultes du monde et d’apaiser les crises de nerfs. Mais, les Napolitaines boivent du café ! et les nôtres reprennent des forces en humant le parfum vigoureux exhalé des paquets entassés dans la voiture. La nuit descend en vagues brumeuses, nos voyageuses finissent par céder au sommeil, et ne se réveillent que dans la ruelle menant à notre maison. Leurs regards accrochent une maison austère coiffée d’ardoises bleues.

Les deux battants du portail s’ouvrent avec une majestueuse lenteur en dévoilant un bataillon de citronniers souffrant d’anémie tenace et des visages antiques en terre-cuite ou en pierre, scandant le toit et les murs de leurs visages hiératiques. Au loin des Cèdres bordent une pelouse tondue avec soin par l’homme-Mari qui la considère avec une légitime fierté. Enfin, la nuit éparpille ses ombres sur un jardin qui sent le sauvage, comme le disait le bon poète Jean de La Fontaine.

 Simonetta esquisse un sourire puis franchement éclate d’un rire rassurant :

« Je comprends pourquoi tu aimes tant le soleil de Naples ! Cette maison aux volets innombrables sort d’un roman d’autrefois !   On dirait qu’elle abrite un mystère, un passé bouleversant, des amours mortes ? Un crime ?  Une famille de fantômes ?

 Tu me raconteras !  et ces chats ?  Une armée de chats !

 Ce sont les vôtres ? Tous ? Dio mio! « 

 J’avoue la vérité en tremblant, j’ai la faiblesse de recueillir les animaux abandonnés qui viennent m’expliquer leurs drames, toutefois, seuls un aréopage de favoris, courtois et rusés, se sont hissés jusqu’à l’appréciable rang de chats de maison. Les autres ont droit à de la nourriture saine, à des encouragements aimables, à des soins d’urgence et à l’abri de no tre dépendance.

Flora s’amuse énormément, et  sa manière ingénue, la voilà qui sort de la voiture, leste  et rieuse à l’instar d’une enfant étourdie, et  se glisse entre les battants  du portail, qu’un mécanisme paresseux ouvre avec une superbe lenteur, et  roucoule des mots doux aux félins terrorisés par cette apparition inconnue.

 Simonetta garde son sang-froid, concentrée sur le visage mélancolique de ce manoir aux volets clos qu’elle va bientôt  métamorphoser en grotte ruisselante de bijoux sauvés des fureurs du Vésuve …

 Le plus dur est passé ! Que non pas …

L’Homme-Mari me lance un regard qui en dit long, j’ai compris, je dois gagner du temps, bavarder au moins dix minutes, afin de le laisser vérifier si les radiateurs ont rempli leur mission dans les chambres dévolues à nos invitées.

 Une fois à l’intérieur de nos murs antiques, l’atmosphère saine, fraîche, décidemment salubre, incite nos amies à se blottir plus étroitement dans leurs montagnes de lainages. D au lieu d’en plaisanter, u coup, j’éprouve un sentiment de mélancolie noire.

Qu’ai-je fait si ce n’est promettre la douceur du pays toulousain en automne, à d’innocentes filles du golfe des Sirènes, habituées à la lumière puissante et au soleil vivace depuis leur naissance ?  Promesse impossible ! Quel châtiment injuste ne tombe-t-il de nos plafonds ! Et, honte absolue, histoire de ruiner mes derniers espoirs, l’Homme-Mari descend l’escalier du pas lourd de celui qui regrette d’annoncer une terrible nouvelle….

« Le chauffage est un peu faible, mais je l’ai forcé, vous verrez, d’ici quelques heures, les chambres vous sembleront bouillantes !  Donnez-moi vos bagages ! Oh, j’y pense, le gros sac du restaurant, cette espèce d’outre gonflée de choses lourdes et cliquetantes, qui s’en est chargé ? »

Un gentil troupeau d’anges vagabonds étouffe nos balbutiements affolés, le sac des bijoux disparu ? Nous sommes maudits !

Je ne peux croire en un pareil châtiment de je ne sais quelle divinité jalouse, jallons-nous accuser de fatale étourderie le si dévoué Homme-Mari ? Je m’y refuse en fouillant  les valises entassées sur les mosaïques ravagées  (les mécènes sont engloutis au fond des mers à notre époque) bouscule deux chats et  la malheureuse Flora, et vérifie avec épouvante l’absence du chargement confidentiel.

Simonetta manque s’évanouir, Flora en perd son adorable sourire, et l’Homme-Mari arbore la mine contrite du coupable démasqué …

Mais, j’invoque instinctivement Parthénope, et ses sœurs les princesses déchues hantant la grotte bleue, la grotte rouge, la grotte blanche, et ce gouffre où tombe le ciel du côté des escaliers romains dégringolant vers la crique du Faro.

 

Je prie aussi San Antonio, le bon Saint Patron d’Anacapri, ce Saint patient et compatissant, habile et généreux qui a  aimablement retrouvé mon courrier posté voici deux siècles, les chats perdus sur La Migliera, les enfants éparpillés à la sortie de l’école  sur la Piazza Caprile, et autrefois, le télégramme du bon docteur Munthe, et bien sûr la carte vitale de l’Homme-Mari au printemps dernier.

 Je ne m’estime pas vaincue ! cette soirée établie en hommage à la prodigieuse beauté de la Campanie et au talent non moins prodigieux de Simonetta, ne sombrera pas dans le ridicule d’un sac égaré …

J’ai raison au sein de ma déraison, San Antonio montre son talent à faire des miracles à distance.

Comme pour nous prouver que ce voyage se déroule sous une brise favorable, la sonnerie de mon humble portable interrompt notre descente aux enfers, une jeune voix éplorée m’explique qu’un gros sac vient tout juste d’être oublié par une jeune fille  inconnue, « Une très grande fille brune couverte de lainages, souffrirait-elle d’une forte grippe, la pauvre, en tout cas, le sac , je le porte pour qu’il ne s’abîme pas mais qu’il pèse lourd ! Voudriez-vous mettre en marche le mécanisme ? »

Je sanglote de reconnaissance, me répand en mercis éloquents et accompagne l’Homme-Mari occupé à ouvrir à nouveau le portail paresseux. Miracle, une petite jeune fille nous envoie le sac dans les airs, et Flora l’attrape au vol avant d’embrasser notre ange-sauveur qui rosit de surprise. « C’est une princesse ? » J’affirme que c’est encore mieux et la petite jeune fille regarde, perplexe, les deux battants se refermer sur ces invitées exotiques …  »Une impératrice alors ? »

 Après une série d’accolades dans le couloir, le précieux sac sur le cœur de Simonetta, j’entraîne les rescapées en tout sens, leur révéle le lieu de la future exposition et les installe dans deux chambres garnies de bouquets de fleurs et de couvertures épaisses autour de radiateurs larmoyants.

« Ce soir, une soupe chaude, demain, déjeuner  à une bonne demi-heure d’ici, j’ai retenu une table dans une charmante auberge d’un village des Pyrénées Ariégeoises où les fromages valent vraiment la peine de braver la fraîcheur de l’air ! et ensuite,  retour à la maison, le soleil brillera, et nous inventerons un décor digne de Visconti !!  Ne perdez-pas courage, vous vous habituerez vite à cette vieille maison, je l’ai senti tout de suite, elle vous adore, nous allumons du feu dans la grande cheminée de la salle à mange en votre honneur, vous prendrez votre dîner devant, les idées vont jaillir, il suffit d’avoir chaud pour que renaisse l’inspiration ! « 

Les deux Napolitaines grelottantes m’approuvent d’un ton qui m’indique qu’elles ne croient pas une seule de ces paroles réconfortantes, et s’empressent d’étaler les belles couvertures sur leurs épaules… J’entends un appel angoissé de l’Homme-Mari et quitte mes voyageuses du sud en tremblant moi aussi…

Quelle catastrophe nous frappe-t-elle encore ?

« Le buffet, c’est fini, pas de buffet, mais, respire, tout va bien, enfin si on veut, la pâtissière nonagénaire nous sauve in extremis, elle a eu vent de l’histoire, plaint les pauvres obligés de fermer, et nous propose une solution, cela sera un peu moins raffiné, mais tant pis, tu es d’accord ? Pas de foie-gras, des quiches, et je ne sais quoi, enfin, cela sera sûrement mangeable. Tu me diras, nous pouvons faire des tartines ensemble, et ramener du fromage des Pyrénées.  Il nous reste un après-midi …Autant dire une éternité ! J’oubliais, les dix derniers amis à n’avoir pas répondu, eh bien, ils viennent, quel succès ! Je dois absolument acheter du champagne supplémentaire demain à l’épicerie de ton fameux village des fromages, n’importe lequel pourvu que le mot ‘Champagne » soit marqué dessus …»

« Jamais, dis-je d’une voix mourante, plus jamais… »

« Jamais ? Plus jamais de quiches ?  Quoi   d’autre alors ?»

« Non, plus jamais d’invités !

Excepté nos Napolitaines, je les aime beaucoup … La maison aussi d’ailleurs, je le sens, mais vont-elles s’en rendre compte ? « 

Aurais-je  ce soir l’imprudence de sortir de sa cachette la bague Romaine douée de double-vue ?  Un obscur élan d’irrépressible nostalgie m’incite à grimper au grenier, or l'escalier me glace les sangs, les ténèbres me font reculer, cette bague ressemble à Capri, toutes deux sont hantées, dangereuses, laissons-les en paix, jusqu’à demain !

Mes invitées ont préparé un spectacle oriental : un trésor de pirates chatoie devant la cheminée de la salle à manger, le bronze reflète la flamme claire et mouvante, les calcédoines bleues des sautoirs emmêlés évoquent des chevelures de sirènes prises dans les filets de pêcheurs …

Je reprends espoir ! Cette exposition va bouleverser ceux qui ignorent  encore les séductions subtiles du golfe de Naples et de ses filles !

 Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix

A bientôt, pour la suite et la fin de cet intermezzo aux bijoux


 

                                                        Campagne toulousaine, lin en fleur.
                                                                   Crédit photo: Vincent de La Panouse

 

 


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