vendredi 31 janvier 2025

Deux Napolitaines et un sac de bijoux au pied des Pyrénées III : "La maison ensorcelée" Partie II Chap 24: Roman à Capri



 La maison ensorcelée Partie II

 Chapitre 24 

 Comment fredonner l'air des bijoux entre Naples et les Pyrénées III

Le lendemain de l’arrivée de nos belles Napolitaines frileuses en notre maison archaïque et humide, encore rafraîchie par son ruisseau déferlant des Pyrénées, l’aube agita ses doigts de rose sur une pelouse resplendissante, et mon cœur bondit de reconnaissance envers ce cadeau céleste.

Nous en avions terminé avec les mauvaises surprises, une intuition me l’assurait !

 Et de toute façon, quel choix s’offrait- il à nous sinon celui de la bonne humeur ?

 Point d’égoïsme ou d’angoisse enfantine, les Napolitaines allaient se réjouir de ce soleil timide, l’organisation de notre présentation audacieuse de bijoux aussi ravissants que délicieusement éloignés des modes, se ferait sans peine.

 Demain soir, les invitées, jetant aux orties économies et méfiance, s’extasieraient, comme un vol d’hirondelles de retour dans leur pays natal, à la vue des mirobolants trésors à peine jaillis du gros sac de Simonetta !

 Aux anges, et rassurés, nous fêterions ce succès en finissant le champagne de l’Homme-Mari. (Mais en resterait-il ?)

J’entendis une fenêtre s’ouvrir sur l’aile Sud, les Filles de Naples avaient survécu à leur première nuit ! et une exclamation de surprise joyeuse vola vers l’aile Nord, celle de notre chambre…

  Cette journée vouée aux rigoureux préparatifs, assortis de quelques tournages de petits films » maison », si j’avais bien compris, se levait dans un immense concert d’oiseaux. En ses débuts, le mois d’octobre encore hésitait entre volupté subtile et radieuse mélancolie, feuilles empourprées et pelouses à l’éclat de tendre émeraude.

 La soirée des bijoux devait être préparée dans l’après-midi et battre son plein le lendemain soir.  Si ce joli climat avait l’amabilité de s’attarder, voire de s’épanouir, nous naviguerions sur des eaux paisibles et nos invités évolueraient l’œil envoûté par les joyaux enchâssés de jade vert printemps, d’améthyste impériale, de calcédoine bleue de mer, et de pur cristal de roche, au fil des salons où les guetteraient une armée de  coupes de champagne prodiguant esprit amusé et humeur enjouée.

J’imaginais les lumières sculptant notre Diane, blanche et solitaire au milieu de la première pelouse, les portes-fenêtres reflétant les créations de bronze, d’argent, de jade, ou d’améthyste savamment égarées, sur de petites tables, entre des tableaux, des livres, des fleurs en porcelaines de Capodimonte  et des citronniers en majolique invitant au plus envoûtant des  périples de Naples à Capri.

 J’entendais déjà un flot de gens acclamer notre extravagante balade au « pays où fleurit l’oranger » !

Mon optimisme, un peu émoussé par une nuit privée de sommeil et une imagination m’emportant au galop vers les pires péripéties, reverdit encore davantage à la vue d’une compagnie de pies sautillant sous nos fenêtres avec une autoritaire majesté.

C’était ridicule bien sûr, mais, si ces amatrices de bijoux étaient déjà à l’affut, c’est qu’une étrange prescience leur avait murmuré que le spectacle en vaudrait bientôt la peine.

Pourquoi ne pas ouvrir l’exposition sur l’air de la Pie Voleuse de Rossini ?

J’y songeais une seconde, avant de me souvenir que j’avais à ma charge le destin de deux Napolitaines affamées et peut-être souffrantes, enrhumées, courbaturées, en proie aux tortures de la migraine, ou tout à la fois par la faute de la fatale humidité de nos vieux murs…

C’étaient en quelque sorte des maux historiques et il était de bon ton de les endurer sans gémir. Quoi de plus élégant que d’être frappé par les douleurs d’une angine d’époque ou d’un refroidissement sentant son XVIIIème ?  Ces ennuis traditionnels infligés par une maison fière de sa longue histoire, nous les endurions dans cet esprit- là, mais nos belles cousines de Sophia Loren allaient-elles, nous maudire ce matin ? Leur inaltérable courtoisie se nuancerait- elle d’une évidente lassitude ?

L’homme- Mari avait déjà prévu le pire car je l’entendais s’agiter entre la cuisine et la salle à manger, sa nervosité ne faisait aucun doute, des bruits de voix se mêlèrent au claquement des volets, parlait- il aux chats ou à nos amies ?

J’avais intérêt à me hâter sous peine de passer pour une égoïste invétérée ! La crise conjugale nous menaçait !

Un soupir heureux m’accueille sur le seuil de la salle à manger débordante de lumière du matin. Serions-nous adoubés par nos Sirènes de la mer Tyrrhénienne ?

 La sublime Flora, absolument recouverte de beaux châles d’une blancheur de neige fraîche, son chignon impeccable brillant à l’instar du plumage d’un merle, me tend les bras en riant de l’air d’une personne qui est en train de vivre l’aventure la plus divertissante, et ne manquera pas de la raconter à tout Naples, sans en perdre une infime péripétie.

Simonetta drapée dans une cascade de laine noire saupoudrée de rivières d’or bruni, de majestueuses boucles d’oreille lui conférant l’allure d’une déesse antique faisant l’honneur à des mortels éperdus d’admiration de goûter leur petit-déjeuner rustique, se répand aussitôt en compliments, fleuve coulant de sa bouche en vagues véloces, emportant au passage la merveilleuse nuit, et célébrant en premier lieu les merveilleux radiateurs  qui avaient réussi à les réchauffer : 

» Un vero miracolo, cara amica, aucun fantôme n’a toqué à la porte, Flora était si déçue d’ailleurs, elle l’aurait pris en photo, surtout le bel ancêtre de l’escalier, celui en redingote et gants jaunes, quel dommage qu’il n’ait pas daigné nous rendre visite ce Cavaliere plein de fierté, on jurerait un Napolitain, et ce matin, les oiseaux, quel vacarme, le printemps, même ici des oiseaux chantent malgré le climat, c’est très encourageant et l’Homme-Mari, mais quelle gentillesse ! Chose incroyable à Naples, il s’est levé avant tout le monde et ne cesse de procurer chaleur, croissants et café, presque aussi bon que chez nous !

Les maris Français sont les meilleurs du monde, et ce café, quel délice, hier je n’en pouvais plus, ce matin, je suis rajeunie, d’où vient-il ce café miraculeux ?

De la boutique de Toulouse si chic ? J’en ramènerai ! Mi dispiace, nous sommes descendues très vite, l’odeur du café, et l’envie de vous revoir, et Flora désirait caresser les chats, elle n’en a jamais vu de si drôles ! Quel plaisir de parcourir un si long chemin pour son petit-déjeuner, et ces portraits, encore plus impressionnants, si rébarbatifs, et ces pauvres femmes en crinolines, quel air triste, des mauvais maris certainement, mais quels beaux bijoux, elles portaient, une source d’inspiration pour moi malgré leurs tristes figures !

 Flora va les prendre en photo, si seulement elle pouvait les forcer à se détendre ces Dames pétrifiées dans leurs belles robes ! Toi, en tout cas, cara amica, tu vas apparaître au naturel.

 Oui, cet après-midi, nous avons tout écrit ! Calme, calme, cara amica, calme-toi, juste un petit film, tu n’as pas hérité des bagues et broches des portraits ? Non, les impôts, toujours les impôts, c’est très fâcheux j’espère que tes invitées ne diront pas qu’elles ont trop d’impôts pour acheter mes bijoux. »

Je parviens à balbutier des mots ridicules dans un italien terriblement défaillant :

 « Oui, un temps merveilleux, oui, un film au naturel, mais pas trop, je crains d’être affreuse, le naturel est comme Capri dangereux… Les impôts ? Je ne sais que te dire, prions le Ciel !  N’y pensons pas, cela nous porterait malheur… d’abord une escapade pour le déjeuner dans ce village si typique où la population va couvrir de fromages et d’éloges nos belles Filles de Naples. »

Soudain soucieuse, je me tais en mesurant la gravité de la situation : mon mari a cruellement besoin de moi, je ne le sens que trop…

Sans me laisser une seconde de répit, l’Homme-Mari implore mon assistance immédiate d’un regard aussi conjugal qu’éloquent, pour mieux corser  cet instant  crucial, nos deux chats de combat jaillissent dans son sillage, en miaulant férocement afin de me rappeler à mes humbles devoirs.

D’une des portes-fenêtres retentit un concert de plaintes félines, on me supplie de partout, je ne suis finalement sur cette Terre qu’une Mamma chargée de la nourriture terrestre ou sentimentale d’une famille d’affligés perpétuels, et, dans l’ordre des priorités, je choisis l’Homme-Mari en le déchargeant de la cafetière la plus affreuse de la maison, une monstruosité craquelée et poussiéreuse dont nous ne nous servons qu’en présence de nos pires invités.

Sous les rires de nos Napolitaines qu’amuse mon air offusqué, j’en tire une seconde, ancienne, argentée, pansue, digne de nos amies, et d’émotion renverse le café sur une chatte innocente qui saute, indignée, sur la table et envoie valser les croissants avant de les déchiqueter sous les yeux effarés de nos  belles affamées.

 Je voudrais disparaître dans les courants d’air, purement et simplement, hélas c’est un vœu impossible, il ne me reste qu’à feindre la désinvolture et taire la terrible vérité, nous n’avons plus que du pain de mie rassis à la cuisine…

 Flora se penche, comme en proie un violent malaise, l’Homme- Mari se précipite, au comble de l’inquiétude :

« Elle a avalé de travers, elle étouffe, il faut appeler le S A M U ! »

 Je   saisis la malheureuse par les épaules, et nous découvrons avec un intense soulagement qu’elle lutte contre une crise d’hilarité incoercible…

La sonnerie impérieuse du téléphone achève de ruiner mes espoirs d’un matin calme.

L’Homme- Mari, le dos courbé sous le poids de ses responsabilités de sauveur et protecteur de deux Napolitaines dans un manoir français, bondit en m’assurant que cette fois nous aurons droit à la défection de la moitié des invités …

 Eh bien, non ! Deux seulement, nous laissent en plan demain, je relève la tête et écoute la suite, nos pauvres amis sont dans un état de déception extrême, ils ne supportent pas de ne pas voir nos Napolitaines en chair et en os, ainsi, en personnes magnanimes, ils nous octroient un lot de consolation, leur visite en pleine préparation, cet après-midi, comment refuser sans passer pour des Français mesquins ?

D’autant plus que c’est moi-même qui avait suggéré cette brillante idée dans un grand élan de fatale étourderie …

« Mais, dis- je soudain illuminée de joie, ce sont des Suisses, tous les Suisses apprennent l’talien au berceau, qu’ils viennent ! Cela me reposera l’esprit…

Bavarder en Italien loin de l’Italie, c’est tout de même déconcertant, je doute de moi et j’ai l’horrible certitude de faire une faute par mot … « 

Quelques heures plus tard, installées au soleil sous les arcades, au cœur d’une place médiévale chamarrée de colombages, nos deux Filles de Naples attisent la curiosité et font naître une quasi-dévotion autour de leurs francs sourires et de leur grâce mutine. Flora, si svelte disparaît derrière une tour de fromages de brebis, Simonetta s’attendrit au point d’avouer qu’elle ne se reconnaît pas :

 » J’aime tout !  Ces viandes, ces sauces, c’est la France, qui fait rêver, celle des montagnes perdues, celle des campagnes endormies, des bois épais et remplis d’animaux. Comme ces gens sont gentils, ils n’ont jamais vu des Napolitaines ?  Ce soir, nous nous contenterons d’une tisane, maintenant, je suis si tentée…  Et toi, tu ne manges qu’une feuille de salade ?

  Ce village aux Colombages, j’adore ce mot français, vous donne l’impression de remonter très loin dans le temps, que c’est excitant et reposant à la fois, ces couleurs douces sur les façades, cela me donne des idées de création, t’avais-je appris que nous allions monter des pierres sur un nouveau métal, le Palladium, plus précieux que l’or, plus chatoyant que la Lune dans sa plénitude, le reflet d’un monde surnaturel ces étincelles argentées sur les façades m’y font songer tout à coup …, Quel endroit paisible, ancré sur son passé comme un bateau arrivé au port.  Une chose m’intrigue toutefois, c’est normal qu’il y ait si peu de monde ? »

 A mon vif étonnement, Flora répond à ma place, approuvée par la jeune restauratrice qui, ô miracle, sait un peu d’italien :

 « Bien sûr, regarde, c’est un village pour les bergers, pour les petits marchés, pour les paysans qui apportent leurs légumes, c’est la France des livres d’images et elle vit toujours, quelle émotion, mais la route tourne beaucoup, et les forêts profondes et sauvages se referment sur vous, on se sent si loin de tout.

Je comprends pourquoi, cara amica, tu aimes tant venir chez nous, tu quittes enfin le pays de la solitude…et tu laves tes idées mélancoliques dans le bleu de notre golfe…Les âmes sont facilement joyeuses entourées de nos paysages, malgré les tristesses, les drames auxquels nul n’échappe, à Naples, à Capri, ou dans une jolie vallée de vos Pyrénées !

Avons-nous le temps de nous balader ? Et d’acheter ce plat bizarre que tu appelles  confit de canard pour les amis de Naples ? »

J’aime beaucoup Flora, si frêle, si forte, et si sage, en dépit de sa jeunesse, elle incarne une patience souriante face aux épines de la vie qui est l’apanage de ces sœurs du golfe de Naples, un héritage spirituel dont le flambeau brille depuis qu’Homère chantait à l’aurore de notre monde sur les vagues de clair saphir de la mer des Sirènes…

La Cathédrale au bout de la place scintillante de lumière inespérée nous incite au recueillement dans sa nef engloutie de pénombre spirituelle.

« Hier, Les Jacobins, c’était grandiose, dit Flora, aujourd’hui, cela ressemble à une église d’Italie fréquentée par les familles qui se sentent chez eux …  L’église chez nous, à Naples ou à Capri, Sorrente, Amalfi, et dans les petits villages presque ignorés des touristes, oui, il en existe, tu les découvriras peu à peu, l’église vraiment, cara amica, c’est la maison !»

J’approuve en me souvenant de l’église de Santa Sofia au cœur d’Anacapri, où de touchantes dames prient entre deux courses, veillées par leurs bons vieux chiens .

Au-dehors, retour aux tentations terrestres, les boutiques s’arrachent mes deux descendantes des princesses grecques de Néapolis, quelques salutations, exclamations, acclamations, une ribambelle d’achats destinés à alimenter les cuisines napolitaines en cocasses recettes françaises, et nous voilà sur la fameuse route qui tourne.

 Je ne suis pas du tout douée pour la conduite et redoute qu’un malaise ne détruise la belle harmonie de ce pèlerinage en France profonde. Le Ciel a pitié de ma maladresse ; enivrées de vins traîtres, rassasiées de mets fort nourrissants, mes passagères s’endorment en dépit des virages aigus.

Et, sérénité au cœur, je les réveille juste en face de notre porche.

Mais, voici l’Homme- Mari qui me fait des gestes nerveux à l’orée du jardin, derrière lui un couple très élégant, revêtu de tenues de campagne lustrées que l’on pourrait croire issues d’une boutique traditionnelle de la Vieille-Angleterre.

Mon Dieu ! Les Suisses ! j’avais oublié nos amis Helvètes, les voilà, épanouis, enthousiastes, et un peu surpris d’assister au débarquement de deux Napolitaines encore enfouies au creux de leurs songes de l’après- déjeuner.

« Je vous en supplie, Simonetta, Flora, les Suisses sont déjà arrivés, les amis suisses qui frétillent d’impatience à l’idée de vous serrer la main et, espérons- le de vous parler dans votre langue, et bien sûr si heureux aussi d’admirer les bijoux, en souhaitant qu’aucun cambrioleur ne se soit emparé du sac aux bijoux en notre absence… »  

Mon discours nerveux, débité à une vitesse quasi italienne, accomplit un prodige !

 Nos deux Filles de Naples, rendues aux affres de la réalité, tapotent leurs cheveux, sortent leurs miroirs de poche, et allongent leurs jambes afin de réussir leur sortie de voiture à l’instar de princesses habituées à susciter l’adoration des foules.

Les aimables citoyens de Genève s’avancent toujours rayonnants et reculent d’un coup quand je les présente comme deux personnes aussi sympathiques que cultivées, de vrais citoyens du monde, capables de d’entamer une conversation dans la langue de Sophia Loren, Mastroianni, Visconti, Leopardi, Dante, du Tasse et tant d’autres superbes acteurs, auteurs et créateurs.

Embarrassé, notre infiniment distingué citoyen de Genève regarde son épouse qui comprend que c’est à elle qu’incombe le devoir de rabattre mon enthousiasme inopiné : 

« Vous êtes si gentille, et si flatteuse, mais je vais vous décevoir, non, tous les Suisses ne pratiquent pas l’Italien, hélas… peut-être pouvons-nous essayer l’Anglais ? En tout cas, nous vous apportons ces chocolats qui eux ont le mérite d’être authentiquement genevois, ah, la demoiselle semble passionnée, elle a bon goût, ce sont les meilleurs de Suisse, autant dire du monde ! »

Flora me supplie d’un bel œil implorant, et je glisse la boîte nouée d’un beau ruban dans ses mains, je ne comprendrai jamais comment cette frêle jeune fille a l’énergie d’autant dévorer tout en affichant la mine la plus éthérée qui se puisse imaginer…Les nerfs sans doute … ou un mystère enviable ! Simonetta étouffe un bâillement puis retrouve son entrain ; l’empire qu’elle exerce sur sa personne m’étonne toujours.

« Mon Dieu ! un intrus ! voyez ! là-bas, on vous volé votre tracteur ! « s’écrie notre Genevoise persuadée que les mauvaises gens rodent en liberté dans les jardins français.

« Mais non, coupe, l’Homme- Mari, enchanté d’avoir un prétexte pour filer au plus vite, c’est le jardinier, il vient quand il veut, et justement je l’espérais, je vous laisse, pardonnez -moi,  vous savez, pour moi, un jardinier l’emporte même sur le président de la République. Mais que fabrique-t-il avec le tracteur ?   Je ne me souviens pas de lui avoir demandé de le prendre, c’est une urgence ! »

Tracteur, Jardinier en béret, et Homme- Mari au triple galop, à l’instar d’un enfant s’échappant de l’école, fuient au loin, je flotte  un instant, en cherchant une parole assez vague et courtoise pour éviter un malentendu regrettable, grâce au Ciel, nos amis du Nord et du Sud s’amusent de ce  charmant caprice conjugal  au lieu de se plaindre d’ un affront international.

Nous voici cheminant au train de sénateur dans les allées, Flora ferme la marche en filmant le moindre balancement des branches sous la brise qu’irise un soleil glorieux, pendant ce temps, les Charmants Genevois confrontent leur Anglais parfait au roucoulement rocailleux qui est la manière dont une Napolitaine cosmopolite s’exprime dans la langue de la Reine.

L’heure s’écoule en propos parfumés et compliments fleurissant les pelouses que brunissant les premières feuilles d’automne. Ma timide proposition de descendre vers le ruisseau par un sentier parsemé de cailloux pointus ne suscitant aucun enthousiasme, je lance une invitation à prendre un thé classique que tout le monde refuse avec un farouche entêtement. 

Les aimables amis du Nord, en retard sur leur programme du jour, ne désirent pas davantage se pencher sur l'amoncellement des bijoux, cela sonne comme un mauvais augure, et mon cœur se serre. Ce refus inexplicable n’assombrit guère mes amies qui après les adieux entrent dans la bataille ! 

Flora brandit le sac aux merveilles, et en étale le scintillant contenu sur tous nos fauteuils, Simonetta me prie d’entrer en scène, j’obéis docilement et suis aussitôt filmée devant ma porte, les bras étincelants de bracelets , feignant de découvrir à mon immense surprise mon amie maniant notre heurtoir par un singulier hasard.

« Simonetta : toi ici !  quelle surprise ! Bienvenue ! quelle joie !  Et dire que j’ai enfilé ces bracelets créés de ta main, quelle merveilleuse transmission de pensée !« 

Je crois atteindre le comble du ridicule, éclate de rire, puis me crispe, grimace, et  finis par bafouiller …

 Simonetta soupire, persiste, m’encourage, soupire à nouveau et au bout d’une kyrielle d’essais manquant terriblement de naturel, décrète que le dernier sera concluant si je me force un peu !

Ne suis-je en train de tenir mon rôle habituel ?

Je n’ose répondre qu’il m’arrive rarement d’ouvrir ma porte déguisée en sapin de Noël proférant des mots décousus …

« Calme, calme,cara amica, dai!”

Simonetta avait raison, cette fois, nous parvenons à un résultat honorable !

Si seulement l’Homme-Mari  et le jardinier au béret ne se tordaient de rire au beau milieu de la cour, je me sentirais presque la Diva du jour …

A l’intérieur, Flora ne rit plus, son front se plisse, ses mains voltigent, les colliers se suspendent aux pendules, et même au cou d’un buste de princesse de l’poque de Marie-Antoinette, des guirlandes de bracelets coulent sur du velours bleu nuit, et notre petite chatte grise  disparaît  en se saisissant d’un immense sautoir : sa proie dans la gueule, elle se rue  au-dehors comme une flèche insaisissable !

Heureusement, la présence d’esprit de l’Homme-Mari nous sauve d’une perte douloureuse,le sautoir est retiré sans dommages , la chatte offusquée monte se cacher dans notre chambre, et, comprenant que les deux artistes souhaitent méditer en paix, nous nous réfugions épuisés devant notre courrier du jour.

« Personne ne se désiste, aurons-nous assez de champagne ?  Ah, c’est ton portable, c’est la pâtissière oui, quel jour nous serons demain ? Je vous demande pardon ? Demain tombe un samedi, vous le savez-bien, quoi ? Mais non ! vous avez confondu samedi et dimanche, mais c’est épouvantable !  Vous y parviendrez ? Vraiment ? Je vous fais confiance, notre sort est entre vos mains … bien, à demain … »

Je respire, accepte la tasse de thé de l’Homme-Mari, et murmure d’une voix blanche :

« Nous venons de frôler le drame absolu, la pâtissière voulait tout préparer pour dimanche… Si elle n’avait eu l’intelligence de nous appeler, nous n’aurions rien eu demain … « 

Flora, entrée sur la pointe des pieds, a tout entendu, sa compassion se lit sur son pur visage de statue  Grecque.

« Cara amica, je sais ce qui va t’apaiser, tu as en vraiment besoin, je me repose maintenant, Simonetta se concentre toute seule, écoutons ensemble un poème de notre Leopardi que tu aimes comme si tu étais Italienne, ferme les yeux, et écoute, c’est là, sur ce site, un signe du destin, j’ai vu le recueil bilingue, quelle bonne idée, ouvert à cette page sur la cheminée…

La première page du Canto notturno di un pastore errante dell’Asia”... »

Pris de panique, l’Homme-Mari s’échappe, tandis que la voix d’un acteur célèbre s’élève en modulant :

« Che fai tu  luna, in ciel ? Dimmi, che fai

Silensioza luna?

Sorgi la sera, e vai,

Contemplandi i deserti; indi ti posi.”

Je suis la Lune qui va et se perd, je ne suis plus cette maîtresse de maison courant après les petits- fours  et mourant de peur que l’exposition de ses amies de Naples ne soit un fiasco injuste … Demain semble si loin …Capri semble si loin... et cette émeraude fendillée sur sa bague Romaine ? Allons, c'est juste un souvenir dérobé à je ne sais quelle confuse histoire sentimentale, une bague tordue, dénuée de valeur... Pourquoi la cacher ? Elle ne tenterait aucune cambrioleur doué de bon sens !

Enlacé au long chant douloureux et languissant, une voix moqueuse flotte dans le courant d'air :

"La bague à l'émeraude cassée parle d'amour, de folie, d'éternité, porte- là et tu comprendras ceci: les grandes passions ne meurent jamais et ton histoire certaine et incertaine palpite encore à Capri..."

Une autre voix prosaïque et agacée me rappelle que, si le dîner chauffe, le couvert n'est pas dressé... 

A très bientôt pour la fin de cette aventure de deux Napolitaines et d’un sac de bijoux au pied des Pyrénées,

 Lady Alix ou Nathalie-Alix de la Panouse

 

 


Douceur d'octobre au pied des Pyrénées
Crédit photo Vincent de La Panouse

 


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