Balade à Berlin II: sous le soleil de mars et la brise du printemps
De la rue Oderberger au château de Sanssouci
Déambulations au fil de l'histoire et la poésie de l'instant
Un an venait de s'écouler avec la vivacité d'un torrent montagnard depuis le mariage romantique de notre fils aîné et de sa fiancée Berlinoise sous les colonnes ornées d'or du manoir de briques rouges qui abrite la mairie de Pankow. Nous n'avions à dire vrai, rien vu de Berlin, à l'exception des vertes pelouses de la rivière de ce beau quartier, et restions convaincus que cette ville pareille à un gouffre se lèverait, en ouvrant sa bouche de dragon, pour mieux nous engloutir si d'aventure nous y revenions.
Or, métamorphosés en futurs parents, les éternels amoureux nous priaient de les rejoindre en troquant nos préjugés, craintes et autres fardeaux imaginaires contre un fugace séjour voué aux déambulations entre passé, présent et avenir, sous un soleil imprévu.
Bizarrement, le temps dans notre Sud s'était mis à l'hiver, la lumière du printemps avait viré au gris, et la tempête menaçait. Signe du destin : à en croire les jeunes époux, le climat berlinois nous réchaufferait, le nôtre nous glacerait !Mais les chers enfants ne se moquaient- ils des parents et beaux-parents naïfs ?
Les jeunes mariés avaient besoin de nous, il était impossible de résister à cette injonction flatteuse. Après tout, une longue fin de semaine ne signifiait qu'une faible prise de risques. Les dates furent décidées, l'avion retenu, l'ancien établissement de bains mué en hôtel, où nous avions vécu nos émouvants préparatifs avant les "Ya" glorieux de Solveig et Théodore, fut dûment averti de notre arrivée surprenante et enthousiaste, un an plus tard.
Cette fois, la perspective de la piscine digne des antiques thermes d'époque romaine nous embellit l'humeur, je ne commis pas le regrettable oubli de l'an passé: les maillots de bain les plus élégants furent étalés en grande pompe dans les sacs (notre devoir n'était-il de susciter l'admiration des baigneurs en tout genre ? Enfin, le coeur débordant de bonnes résolutions; patience à toute épreuve et admiration sans failles envers le style de vie berlinois, aussi déroutant paraisse- t-il à nos yeux de rustiques tirés de leur campagne profonde, nous confiâmes nos destinées aux vols de la Lufthansa.
Comme il est d'usage quand vous prenez une correspondance, le premier avion vous dépose en retard, et votre angoisse vous titille, en dépit des sourires obligeants distillés par de remarquables hôtesses immuablement blondes et élancées. au triple galop, sacs en bandoulière, nerfs à vif, vous interrogez les panneaux en récitant un bon numéro compris de travers, la prononciation anglaise vous a joué un tour, vous arrivez au mauvais endroit.
La Providence vous envoie une jeune fille au visage d'ange, s'exprimant de manière à rassurer dans leur langue natale deux Français en proie à un certain affolement. Sur cette lancée, vous interrogez dans votre allemand singulier un brave homme qui hausse un sourcil ironique, et, en guise de réponse, vous pousse dans une navette, sans trop savoir comment, vous parvenez au bon terminal....
S'en suit une course rageuse, et vous embarquez au moment précis de la fermeture des portes, vous êtes sauvé ! Berlin, ville surgie des brumes germaniques, brillera de ses feux d'ici une heure, vos enfants vous embrasseront, et vous retrouverez la température saine et glaciale de votre chambre dans votre charmant hôtel qui, comble du chic et de la rareté, conserve l'allure d'un vieux palais gothique. Une longue conversation décousue avec votre voisine, étudiante berlinoise qui vous jure de n'aimer que le sud de la France, et le voyage s'achève à votre intense soulagement.
L'Homme- Mari se réveille, et le prenant par le bras, vous le jetez à la fois sur le sol de Berlin et dans les bras des mariés de l'an passé. Solveig et Théodore incarnent la touchante image d'un inaltérable bonheur conjugal, encore exalté par l'attente du petit premier...
L'Homme- Mari cache son émotion dans un beau discours vantant la sureté, le calme, le sang-froid des conducteurs germaniques, du coup, un klaxon agresse nos oreilles, "En votre honneur ! C'est le seul entendu depuis ce matin ! " s'amuse à préciser gentiment Théodore.
La traversée dure assez longtemps pour nous étourdir; voici l'Hôtel O... ,orgueil de la rue du même nom, ancien Bains-Douches pour Berlinois soucieux de leur élégance avant le fléau des guerres; hélas, nos cerveaux semblant des plus enfumés ce soir, les interminables explications de l'exquise chargée de l'accueil résonnent de façon à les entendre, extrêmement confuses.
Sans se laisser ébranler, Théodore et Solveig nous ouvrent la voie avec une magnifique détermination. Rien n'est plus facile, il nous suffit de descendre, de remonter, de tenter d'ouvrir une lourde porte donnant sur une cour, de remonter supplier que l'on nous aide car la carte ignore notre volonté, de redescendre, de nous égarer dans un dédale de corridors lugubres, et pour achever ce cauchemar nocturne, de sortir de son repos mérité une jeune femme apeurée que nous accusons à tort de s'être installée à notre place! Erreur épouvantable ! Nous avons tous pris un S pour un 5, nous fondons en pleurs, en excuses, en regrets éternels et nous enfuyons à l'instar d'écoliers craignant un terrible châtiment !
La chambre s'ouvre enfin, aussi épuisés que des aventuriers venant de percer le secret des sources du Nil, nous prenons congé des futurs heureux parents en promettant d'être sains de corps et d'esprit le lendemain, c'est décidé, nous visiterons le château du légendaire Frédéric II, et admirerons avec enthousiasme les miroirs d'eaux et les cygnes de ce monarque, ses vignes, hélas, sont encore protégées du climat et invisibles jusqu'aux beaux jours; nous arrivons trop tôt !
L'intérieur du château risque fort d'être fermé aux visiteurs précoces, punition de notre impatience ou sombre fatalité ? Rendez-vous est tout de même décidé, nous ne nous laisserons pas abattre! D'abord, un déjeuner dans le coeur historique de la charmante bourgade de Postdam, avant une longue déambulation autour du légendaire manoir de ce terrible roi qui cherchait à incarner le monarque éclairé entre tous. Son pompeux "Sanssouci" couronné d'or nous éblouira l'après-midi. notre devoir de voyageurs philosophes accompli, nous baisserons nos exigences les jours prochains. Pour le moment, nous promettons de survivre le lendemain matin, libres et vaillants, sans l'aide de nos enfants légèrement inquiets de nous abandonner à deux rues de chez eux: notre réputation d'étourderie nous encombrerait -elle à ce point ?
Le jour se lève, frais et rose, la piscine est bleue azur et nous mourrons d'envie d'y oublier les affres du voyage, impossible, le jeune couple nous intime l'ordre de le rejoindre au plus vite, il y aura du monde sur les routes: les Berlinois sont aux anges, c'est un Huit mars absolument férié en l'honneur des dames, "Toutes les boutiques sont fermées, quel dommage!" ne peut s'empêcher de me confier Solveig..."
En conséquence, tout Berlin ne songe qu'à s'évader, de préférence vers Postdam et "Sans Soucis !" remarque Théodore avec son exquise courtoisie habituelle.
Nous voyageons en cette fin de matinée, sous un ciel d'un bleu lavé de frais, en 1750. Mon imagination s'enlève au point de me représenter ma famille cahotée dans une diligence en compagnie de ce diable d'homme de Voltaire cueillant, pour sa glorieuse arrivée dans le refuge du monarque éclairé, une floraison de phrases lapidaires, ces "mots" à sa façon, témoignant que son tour d'esprit reste le plus délicieusement insolent du monde.
Aussitôt les sévères avenues de Berlin oubliées, la vaste campagne du Brandebourg, cernée de bois et de prairies, ciselée de lacs et de rivières vous invite à un périple au coeur de l'ancienne Prusse. Toutefois, l'autoroute se charge de rompre nos envolées romanesques en nous infligeant la lenteur des embouteillages bien de notre époque.
Sur la grande place de Postdam, les cloches résonnent sur les toits de tuiles gris, grenats, parfois vert amande, la fraîche lumière du renouveau tant désiré embellit les austères façades rouges, titille les pignons tarabiscotés, éveille l'optimisme des sages promeneurs. Le soleil n'éclaire- t- il la sévère contrée de Brandebourg de ses rayons bienfaisants après neige de février, et hiver monotone ? Pour un peu on crierait au miracle !
Berlin monumentale semble fort loin de cette ville à l'atmosphère désuète, le temps ici s'écoule avec une quiétude éminemment provinciale ...
Le jeune couple hésite, nous marchons au hasard, et ce dernier bon prince nous ménage une surprise: au détour d'une rue, nous voici au coeur ravissant d'un bourg de l'ancienne Hollande, un vrai bouquet à lui seul ! voici des jardinières de tulipes fleurissant sur les fenêtres entre des moulins miniatures et des sabots en faïence bleue et blanche. Quel délice de flâner en considérant les maisons hautes, rehaussées de gracieuses volutes, parfois égayées de volets blancs décorés de losanges de la plus vive nuance émeraude, avec les yeux ébahis d'un voyageur du siècle dernier. nous prenons d'assaut une auberge désuète où l'on nous sert des plats nourrissants, parés de noms mystérieux, sauf pour les mortels parlant l'ancien néerlandais à la perfection, avec des sourires radieux et une déférence étonnante, nous prendrait- on pour des personnages illustres ?
"Mais non, ils sont toujours aimables, et vous les amusez, vous avez une allure tellement originale, très Old-England ! Non, je ne me moque pas, vous êtes parfaits ! "
Ravis de susciter la douce hilarité du quartier Hollandais de Postdam, nous repartons d'un pas énergique à la recherche du parc de Sanssouci. L'avenue s'étire comme une journée de juillet. Où ce château se cache-t-il ?
Le parc royal, ce vaste enclos peuplé de fées germaniques se déroberait- il à nos yeux de Français philosophes osant l'ironie et défendant à la pointe de l'épée le droit de suivre son propre entendement ?
Cette obscure crainte se révèle heureusement vaine, le parc vient à nous par surprise, et nous entamons une flânerie reposante le long de sa rivière paresseuse. A la joie des enfants des myriades de crocus d'un mauve délicat ou d'un blanc de neige fraîche déferlent en vagues exquises sur les talus, en défiant la mélancolie des buissons ravagés par le gel ...
Le château se hausse au-delà de la superbe volée de marches d'une infinie majesté. L'hiver dure encore, ainsi, de part et d'autre de l'escalier somptueux, d'étranges niches, évoquant des cages closes sur un éternel secret, abritent les précieuses vignes, ces merveilles frileuses.
Le château aligne ses balustres, ses puissants Atlantes d'or, et s'allonge d'un seul jet; cette belle ligne rompue au milieu par sa coupole, fleur vert-de-gris couronnée d'or. Point de visites aujourd'hui, Adieu rêves de Rubens, Van Dyck, et autres génies, adieu désirs de galeries chamarrées et de salons dorés, nous saurons nous contenter de la vue sur les frondaisons et bassins, et redescendons l'escalier envahi par d'honnêtes et placides familles. Voltaire gambada peut-être sur ces degrés noblement usés, en devisant avec son royal disciple, certainement doué de la même vigueur !
Deux philosophes fringants qui eurent peut-être la faiblesse de saluer les cygnes hautains, vrais seigneurs de ce parc malmené par les cruelles intempéries.
Je ne m'explique pas l'intérêt esthétique des guérites encerclant le grand bassin , un souvenir des gardes empanachés ?
Solveig, cheveux captant la suave lumière, épanouie come une divinité des jardins, Flore ou Pomone, rit sans pitié :
"Bien sûr que non ! Ces cabanes protègent les statues pendant la mauvaise saison !"
Or, ma maudite imagination m'avait représenté une armée miniature de robustes soldats de plomb roulant des regards féroces ! au détour de l'allée, en amateurs d'eaux dormantes reflétant le ciel, nous déplorons tous le vide d'un bassin de taille assez modeste.
L'Homme- Mari ne résiste pas au plaisir enfantin d'y sauter, sous le prétexte de le mesurer dans le but fort louable de se concentrer sur un projet familial. Théodore le suit d'un bond, et tous deux sans souci du ridicule, débutent une discussion passionnée sous les regards intrigués des visiteurs, vraiment ces Français, quel toupet ! La discussion n'en cesse pas pour autant : les dimensions de cet aimable bassin ne seraient-elles parfaites si, éternel sujet de controverse, nous élargissions notre vieux miroir d'eau afin de le rendre digne de notre descendance, que nous nous représentons déjà en future petite troupe certainement incapable d'affronter nos étés sans avoir les pieds dans l'eau ?
"C'est immense, tu as la folie des grandeurs ! !"décrète Théodore"
"C'est juste comme il faut, fais- moi confiance, je suis doué de bon sens , en douterais -tu ? rétorque l'Homme- Mari.
Heureusement, le soir tombant à une allure plus vive que dans nos régions sudistes coupe net l'intensité du débat, et nous rebroussons chemin vers le bourg,
Qu'avons-nous aimé en ce beau parc luttant courageusement contre les méfaits du gel ?
Sans doute cette poignante atmosphère tissée de l'écho des anciennes causeries aussi enjouées et entraînantes que celle opposant Théodore et l'Homme- Mari, ce souvenir de bonheur et de douceur de vivre, apanage des domaines enchantés, cette majesté tranquille, ce château gracieux dont l'or patiné a eu le bon goût de perdre son arrogance ancienne, et ce parfum subtil de terre humide, de fleurs timides, de buissons chauffés de soleil qu'ici tout respire.
Demain, le jeune couple nous abandonne jusqu'au déjeuner, nous filerons le nez au vent, à la recherche d'un dimanche Berlinois par un temps clair et tiède qui fera sortir les citadins sur les terrasses des cafés, un Berlin livré au farniente à la sortie de l'hiver... Vivement demain !
Berlin nous étonnera- t-elle ?
A bientôt, pour un itinéraire berlinois des vestiges du mur aux palais royaux, en passant par une ancienne et prodigieuse brasserie pareille à un château hanté ...
Nathalie-Alix de La Panouse
ou Lady Alix
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Quartier Hollandais à Postdam, mars 2025 Crédit photo: Vincent de La Panouse |
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