jeudi 27 mars 2025

Balade à Berlin III : Mur, Palais et Brasserie où l'on brasse de la poésie



 Périple à Berlin entre Est et Ouest :III

 Vieux fantômes et jeunesse vive sous la lumière de mars

Dimanche matin  dans un quartier calme et cossu de Berlin, nous filons nez au vent, lâchés en liberté, encore sains de corps et d'esprits, et décidons de nous confier au hasard ou presque. La veille, en revenant d'un restaurant absolument italien, un énorme bâtiment nous barra le passage, vrai château hanté, mirage de tours, de clochetons, de flèches défiant la nuit aussi dense qu'un manteau d'épais velours; Intrigués, nous l'avions observé sans comprendre à quoi nous avions affaire. En tout cas, ce navire de briques aux plis, replis, cours et courtines, n'appartenait ni à l'Est ni à l'Ouest, mais à l'ancienne Prusse.

Le passé soulevait son voile le plus mystérieux, notre devoir était de nous précipiter à sa rencontre. Les "enfants" ne nous avaient-ils octroyés une grande matinée avant la balade classique de tout voyageur  un tantinet esthète vers l'île aux Musées ?

Mon sens de l'orientation des plus fantaisistes me joue des tours assez périlleux cette fatalité me poursuit, imprudente et sûre de mon intuition quasi ensorcelée, j'entraîne souvent, bien malgré moi, l'Homme- Mari en sens inverse de notre but tant désiré. 

 Cette fois encore, nous allons allégrement au bout d'une avenue rehaussée de hautes et massives façades d'une extrême variété. En dépit de leur pesanteur, décaties ou fleuries, les hautes demeures s'inspirent assez de l'exubérance des coloris et des ornements Belle- Epoque de notre côte d'Azur; hélas,  l'aspect souvent rébarbatif de l'ensemble modère la suavité de ces réminiscences méridionales...

 Pourtant, c'est un matin de fête improvisée au bas des immeubles cossus, les tables sont chargés de plats odorants et très nourrissants, le petit-déjeuner à l'allemande bat son plein, et les affamés s'en donnent à estomac joyeux. Le  fringant soleil délie les langues, et dessine les sourires, voici Berlin paresseux, Berlin brandissant sa jeunesse comme un étendard, Berlin aux jeunes enfants en poussettes parfaites, aux jeunes parents attendris couvant leurs merveilles qui trottinent vers les jardins, Berlin propice aux élans amoureux,  Berlin tournant résolument le dos aux fantômes de la douleur... 

Tout est bonheur dans ce coeur de Berlin désinvolte et bavard, et nous arrivons devant une petite butte couverte d'un parc bizarre évoquant manifestement un souvenir d'une extrême gravité. L'atmosphère change, Berlin prend le soleil mais le vent tournoie sur un étrange domaine où les promeneurs réservés et taciturnes suivent leurs chiens impétueux rêvant de grands espaces. 

Où sommes-nous ? D'un côté, la musique d'un orchestre de rue se mêle à la brise qui elle-même envoie des tourbillons d'âpre poussière, une foule oscille entre les tentes d'un marché aux puces qui ne nous tente guère. "Mauer Platz" m'explique un passant que mon ignorance étonne...

 Je ne comprends pas, puis, une étincelle jaillit, nous marchons sur les vestiges du Mur ... 

L'horizon est fermé par une ligne continue d'immeubles mélancoliques, un relent de tristesse indicible  serre confusément le coeur... Nous rebroussons chemin vers l'Ouest et remontons cette fois  tout droit vers l'imposant château de briques rouges dont les tours, les cheminées de briques, frôlent le ciel pâle. Nous entrons dans une grande cour pavée, remarquons un "Kino", et  en face de ce cinéma de quartier, un panneau portant ce nom prometteur: " Kulturbrauerei"! 

De plus en plus fascinés, nous longeons des manoirs, des salles, de larges escaliers,  la tête nous tourne un peu, et les pavés résonnent devant les porches arqués des hautes dépendances scintillant du feu de leurs briques rouges. De joyeux groupes de citadins enfin désoeuvrés méditent  au fil des terrasses, en buvant les rayons presque chauds de l'astre printanier. Cette enclave prodigieuse, vouée à la culture, à la lecture,  à la peinture, à la danse, à la musique, palpite sous ses ondoyantes et lumineuses facettes,  et adoucit certainement les moeurs !

D'ailleurs, une ruelle propose sa coquette et rougeoyante maison de la Poésie, et j'en chavire d'émotion: foin de la mélancolie, l'antique Brasserie brasse de l'Art et propose aussi de la bière ...

Goguenard  et aimable, Théodore nous guette à la sortie de cet univers à la fois tranquille et bouillonnant, et nous confie son attachement à ce refuge extraordinaire où  spectacles et concerts divertissent la jeunesse cosmopolite. Mais, l'heure avance et Solveig souhaite que notre prochaine errance se termine sur l'Allée des Tilleuls; "Unter den Liden"ou "Sous les Tilleuls" s'écoule lentement l'allée des rois, des empereurs, des Dames en paniers froufroutants et manteaux de soie verte, des gentilshommes en habit brodé d'or,  étape classique des visiteurs exigeants de notre style, paraît-il. 

Cette douce flatterie nous insuffle courage et bonne humeur afin de déambuler en suivant les méandres de l'invisible frontière séparant encore l'Est et l'Ouest de cette ville troublante, tantôt ouverte, tantôt secrète. 

Quel beau nom, l'Allée des Tilleuls ! Cela tinte dans ma mémoire, vert refrain volé à Rimbaud scandant avec malice la folie délicieuse de la verte jeunesse: 

"On n'est pas sérieux quand on a dix -sept- ans,

 Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants.

On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin,

L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière, 

Le vent chargé de bruits, la ville n'est pas loin, 

A des parfums de vigne et des parfums de bière."

 L'Homme- Mari a déjà envie de son bock ! Le soleil grimpe dans le ciel et le climat Berlinois avoue son ambition de rivaliser avec la douceur Napolitaine. Le mois de juin nous narguerait- il dans les prémices du printemps ? L'humeur décidément guillerette, nous respirons les senteurs flottant par - delà les jardins  fourmillant d'enfants énergiques et de parents en extase, Berlin a des allures de  joyeuse pouponnière... 

C'est très réconfortant  et contribue à la cordialité de ce coeur de grande ville, vouée aux habitants d'horizons cosmopolites qui s'ingénient à vivre ensemble sans leçons de morale ou tentations d'agressivité. Bien sûr, cette sérénité se ressent surtout par un dimanche de beau temps, mon idéalisme s'égare peut-être dans un optimisme rapide ...A la vérité,  on cherche les Berlinois de souche  dans ces foules exubérantes s'interpellant en anglais, français, italien, espagnol, suédois, turc, portugais, et, comme par surprise, en allemand ...  

Une église, Zionkirche, vaste, rouge sombre, en façade, opulente et sévère, et manifestement en travaux, propose son ombre et sa fraîcheur, et je propose une prière en l'honneur des enfants de notre famille, à venir ou déjà nés.

Solveig  murmure que cet endroit béni est un sanctuaire qui a vécu bien des drames, à l'instar de la ville. Bâti vers 1830 sur une petite colline plantée d'un vignoble, le saint lieu inspire la paix et aide ceux qui aspirent à la Foi. Détruite en grande partie par les bombardements, malmenée à l'époque de l'Allemagne de l'Est, l'église a survécu et s'est relevée de ses malheurs.

 Aujourd'hui, devant une frêle bougie, nous récitons le "Je vous salue Marie", dans une église protestante, mais qui nous en voudra ?

Certainement pas l'organiste déployant sa romantique chevelure, courbé sur son instrument, concentré à l'extrême sous les arcades, les fresques, les vitraux, les échafaudages sur lesquels s'activent d'habiles ouvriers, ne serait-ce le symbole de Berlin: sa force vive tissée de reconstruction, Foi, vigueur, et musique ?

En guise de présent, on nous glisse ce psaume  universel:

" Le Seigneur est mon berger:

Rien ne saurait me manquer

Le Seigneur me conduit,

Je ne manque de rien.

Si je traverse les ravins de la mort, 

Je ne crains aucun mal, 

Car tu es avec moi: 

Ton bâton me guide et me rassure."

En l'occurrence, notre guide reste Solveig, nous la suivons étonnés par ce fleuve évoquant la Seine, justement l'énorme Cathédrale surgit derrière un pont, nous songeons à Notre-Dame, le jeune couple prend la pose, pour un peu, Berlin et son île des Musées éclipseraient Paris !

L'homme- Mari admire les édifices pompeux et nous supplie d'avoir pitié d'un marcheur émérite qui désire une halte sur un banc,  en face du Palais Royal restauré en partie avec force béton ... Toutefois, le théâtre rose  et ravissant, s'emplit d'une foule élégante, et  des flots de jonquilles jaune citron croissent sur l'épaisse herbe verte au-dessous d'une belle terrasse arborant le titre de Galerie Populaire; voilà qui me titille, cette terrasse à l'allure italienne, au nom français et aux accents révolutionnaires, incite au farniente...  Saurais- je jamais ce que cache cette Galerie Populaire ? Quel dommage de ne pas avoir encore une journée à arpenter cette monumentale partie d'une ville frémissante de contrastes. 

Au loin nous devinons la masse grandiloquente de la porte de Brandebourg,  je cherche les fameux tilleuls verts de la promenade, je ne vois que de l'air qui poudroie et des façades glorieuses et massives. La légèreté pourtant existe et nous repose : enlevée sur les ailes d'un violon langoureux, un chant se brise, la chanson d'une jeune fille en proie aux tourments de l'amour, ou de la révolution, en réalité, je ne comprends pas un mot, mais la mélodie nous berce ... Jusqu'au moment fatal où l'Homme- Marie, agitant son portable, clame sa colère confuse: 

"Grève générale demain à l'aéroport !  Annulation des billets,  panique à bord, rentrons tout de suite supplier l'hôtel de ne pas nous jeter dehors ! "

"Mais , quel bonheur! Berlin tient à nous, demain, nous ferons des courses, irons prendre un café à la Galerie Populaire et dînerons encore une fois en famille ... Théodore et Solveig nous prêterons bien un matelas ?" 

 A bientôt ! Pour Berlin ou l'Italie, le feuilleton se poursuit, 

 Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix 





Berlin: quartier Oderberger, la brasserie de la culture

                                                  


 

 

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