lundi 12 mai 2025

Rencontres à Capri une nuit de tempête: "La maison ensorcelée" Chap 28 Partie II

Nouvel Ulysse  et nouvelles Sirènes au port de Capri

Roman à Capri  "La maison ensorcelée"

 Chapitre  28 Partie II


Nous venions de descendre  du dernier bus Anacapri- Marina grande, en lançant à la ronde force congratulations et remerciements énamourés. Ne quittions- nous, sains et saufs en dépit des virages frôlant les précipices, le bus de l'ardente amitié ?  L'itinéraire avait fait jaillir des  fontaines d'effusions à l'italienne, les Dames embarquées si tard,  et déversées tour à tour dans les arrêts les plus insolites du trajet périlleux, s'étaient éclipsées en manifestant un torrent de larmes émues, d' adieux sublimes, , et d'intarissables  promesses de se revoir le lendemain... Ce spectacle au fil des gouffres aurait pu s'intituler: "Voyage nocturne  à Capri" et ravir les amateurs éclairés de "Comédies à l'italienne" .

 Ces Dames tenaient leur rôle, héroïnes du dernier bus dévalant la route la plus effrayante du monde pour préparer la cena à leurs époux adorés ...  Quelle plus touchante preuve de l'amour conjugal ? 

Nous-mêmes offrions l'image du sincère dévouement parental,  les yeux rivés sur le portable de l'Homme- Mari, guettant le moindre signe émanant de notre passager maritime que nous imaginions   perdu au sein des flots.

 Un cri nous échappa en semant la curiosité des ultimes voyageuses, ces Français cherchaient- ils un hôtel  où dormir en pleine nuit ?  

Que non pas, s'ils bravaient l'horreur de cette route obscure que giflaient les rafales irascibles, c'était dans le seul et louable dessein d'attendre leur grand fils sur le quai !  Ah ? Par ce temps, descendre au port pour un grand garçon capable de se brouiller tout seul, vraiment, ces Français ! Quels  sentimentaux!

Comme si quelqu'un de sensé arrivait par le dernier bateau une nuit de tempête ! 

 Or, c'était bien le cas,  Fils Dernier venait de laisser un message impavide  sur notre portable : il venait de monter de justesse à bord du dernier bateau, et ce ferry fringant le bateau, chargé d'une poignée d'audacieux  piquait droit sur les falaises de Capri. En dépit de l'épaisse nuit privée d'étoiles, des vagues furieuses, de la brume suffocante, et du mal de mer gagnant ses compagnons de traversée,  Fils Dernier gardait l'espoir d'un bon repas dans le meilleur restaurant du Port.

 Cette injonction pressante nous saisit d'épouvante,  le port si désordonné, si joyeux, s'était métamorphosé en un lieu solitaire, obscur, humide, terriblement dénué de chaleur humaine et de douceur de vivre capriote.

"Si, miracle, regarde, au bout du quai, une lumière, entrons, et prenons ce que l'on voudra nous proposer, mon Dieu! des Sushis ! Pourquoi l'unique endroit ouvert en ce soir de tempête nous inflige-t-il des plats japonais ?"

Mais qu'importait le plat pourvu que nous éprouvions le réconfort d'une douce température entre des murs épais nous préservant de l'âpre vent et de la profonde mélancolie de ce port livré à sa maussade et  sombre solitude. 

Nous faisons ainsi une apparition fracassante dans la salle décorée de coquillages, les jeunes filles  repliées derrière le comptoir haussent de surprise leurs beaux sourcils noirs  lancés d'un trait magistral sur leur front de Patriciennes Romaines,  un cri s'élève depuis une table couverte d'un panier de fruits de mer. Ciel ! notre vue de parents pitoyables et tremblant de froid inspire- t- elle à ce point l'effroi d'honnêtes convives cosmopolites ? Or, le cri se précise, et forme mon prénom, c'est bien mon humble personne qu'une voix à l'accent un peu rauque clame devant la maigre assistance sidérée !

"Oui, c'est moi... Mon Dieu ! Stefanie ! "

L'Homme- Mari en suffoque presque d'étonnement, je balbutie quelques mots en mélangeant l'italien, l'anglais le français et l'allemand, et nous finissons notre entrée triomphale en nous effondrant sur la banquette, en face des prodigieux crabes que trois sirènes  contemplent avec plus d'admiration que de convoitise.

Stefanie, Capriote de coeur, Allemande de naissance, citoyenne du monde charmante et frémissante de vie au quotidien, surgit toujours à l'improviste. C'est un personnage plus qu'une personne; une vraie rescapée du grand Tour, et chacun de Capri à Anacapri, de Marina Grande à Marina Piccola, du Faro au monte-Solaro, s'accorde à proclamer qu'elle commande à la pluie  de cesser, et au beau temps  de scintiller, surtout au sein de  héritiers de nom et de coeur de l'ancienne société cosmopolite de l'île. 

 Ainsi, grâce à son énergie indéfectible, renaît sans cesse le vieux mythe des exilés de Capri..

 Cette étrange cohorte réunissait sur les belvédères insoutenables et les jardins de palmiers et de roses,  peintres accablés de chaleur, écrivains forcenés, révolutionnaires léthargiques, poètes désespérés, oisifs débordés, dépressifs superbes,  Russes, Allemands, Anglais, Suisses, parfois Français à l'instar du  follement beau et atrocement malade , comte de Fersen. 

De l'aube du romantisme aux rugissements de la première guerre mondiale, ce petit monde, acharné à s'inventer un  destin ou un refuge, hors du commun, édifiait ses Villas à l'antique en creusant les falaises, et s'invitait à goûter afin de se pâmer du haut de terrasses audacieuses, interdites aux mortels frileux, devant le Vésuve menaçant ou glorieux, les Faraglioni pompeux ou le golfe de Salerne, proche et lointain, si tentant et si impassible.  

Stefanie est peut-être une descendante des Sirènes. On le murmure sur  les bancs perchés au-dessus des gouffres hautains et terribles, des vallons touffus, des fauves falaises à pic d'où montent tant de voix immatérielles quand le soleil pourpre plonge au sein de la mer laiteuse. 

 Les voyageurs d'Allemagne, ses ancêtres, n'en furent- ils  les fervents adorateurs ? Ne charme- t-elle son prochain de son regard vert- bleu et de sa voix mêlant toutes les langues de la terre ? J'espérais la retrouver sur les sentiers aux pierres glissantes, ou les terrasses mondaines du divin rocher,  elle a lu dans mes pensées et, la rumeur publique lui a déjà appris la raison de notre présence devant sa corbeille de crevettes, crabes et coquillages.

"Ma fille!" présente-t-elle avec une  bien naturelle fierté. La jeune fille, fine et fuselée, chevelure sombre et visage aux traits ciselés à l'extrême, me lance un regard où tremble l'indécise nuance de la mer au matin sur les rocs brillants, une fille des Sirènes sans nulle hésitation!

 Par son père, n'appartient- elle à une ce ces lignées ininterrompues depuis trente siècles sur cet inexpugnable nid de pirates Grecs, de Patriciens romains,  de  pêcheurs capriotes avisés qui n'hésitèrent pas voici deux siècles à  attraper les vagues de la Grotte Bleue par l'écume afin d'attirer les voyageurs fortunés dans leurs filets ? L'Homme- Mari tombe immédiatement sous le charme, ce qui prouve que mon intuition a des chances d'être une vérité !

 "Et, voilà notre amie venue d'Australie qui découvre le mauvais temps à Capri ! Elle va découvrir aussi  votre fils,  celui qui connaît l'île, pas l'autre qui est le portrait du cavaliere français qui servit Napoléon, puis  habita cette maison en ruines qui va être vendue aux Enchères bientôt et fera fuir les gens doués de bon sens. un jardin d'herbes folles, et une villa décatie, une allée qui ne sert à rien, et pas de place pour une voiture ! Pas d'autorisation pour une piscine !  Aucune vue sur la mer, sauf si vous grimpez sur le toit dont la majolique se brise... Son prix baissera fatalement, pour la même somme, vous avez le choix, et même sur les pentes de Marina Piccola.

J'y pense, le ferry est en retard, non, ne vous levez- pas !  Votre fils, ne risque rien, ces bateaux sont équipés pour la grosse mer, toutefois, était-ce-ce prudent de l'inciter à embarquer quand le golfe s'enfle de tourbillons ? Tranquillisez- vous mes amis ! commandez plutôt un rizzotto, c'est la spécialité de Maria, elle est merveilleuse, tout le monde est merveilleux dans ce restaurant, et le plus merveilleux , c'est qu'il soit ouvert ce soir , juste pour nous ! Vous avez vu cet après-midi ? Je n'y croyais pas, tous les bars de la Piazzetta fermés! "

" Sauf un ..." 

"Bien sûr, celui de mon cher ami, si aimable, si dévoué à sa clientèle, et il vous a trouvé si sympathiques,  vraiment originaux, il faut que vous reveniez !"

Stefanie reprend à peine son souffle, je rassemble mon vocabulaire italien, fantaisiste, allemand, fort maigre, et anglais rachitique et tente de la suivre en jonglant avec idées, confidences, souvenirs, histoires de famille, potins de Capri, et de Naples, Simonetta, notre amie commune, la créatrice de bijoux à la mode de Pompéi, a changé de coiffure mais pas d'amoureux. nous poussons un soupir ! et Stefanie de reprendre la conversation à une allure absolument napolitaine. La voilà maintenant  déterminée à nous annonce une nouvelle destinée à calmer notre angoisse muette à l'égard de ce dernier bateau affrontant l'ire du golfe; Or comment cesser d'imaginer  Fils Dernier à la merci des flots enragés ?

  Mais Stefanie, Sirène confiante  en la bonté de son grand-père Poséidon, insiste, nous devons l'écouter, son grand ami, le propriétaire de la villa la plus secrète de la via Tiberio, l'heureux gentilhomme qui s'enorgueillit d'une allée veillée par un cortège de colonnes façonnées selon le voeu de Tibère, acceptera par amitié de nous laisser déambuler dans son parc épais comme une forêt vierge. c'est un privilège inouï, une faveur insigne !

Non il ne vous connait pas, mais il a tellement entendu dire des choses amusantes sur vous et votre manie de recevoir un appel au secours de chaque maison en ruines de Capri, une dans l'endroit le plus reculé, l'autre dans le plus fréquenté, une rose, une blanche, une au bord d'un gouffre, elle n'existe plus d'ailleurs, le Palace d'Anacapri l'a achetée, et pourquoi pas un rocher livré au soleil, celui qui vous a tant fasciné au large des Galli  durant votre croisière à Amalfi la pluvieuse ?Oui, j'ai écouté des échosde vos confidences, amenés de ci-de là, tout se sait à Capri !

Ah, vous les aimez sans oser le dire, ces  îles Galli, inaccessibles, hantées par les pirates, envahies de mouettes irascibles ! Ne rêvez plus, leurs habitants ne céderont jamais un caillou de leur  farouche archipel.

 Laissez- les mourir d'ennui sur leurs rochers arrogants, et oubliez, je vous en prie, ce mythe ridicule d'Ulysse attaché à son mat par ses compagnons aux oreilles bouchés de cire sur les rivages sinistres de ces pauvres petits récifs flottants.

 Jamais le héros de Troie, l'Homme aux mille ruses n'aurait eu la sottise de se laisser séduire par les voix enjôleuses de ces fausses Sirènes aux ailes déployées, aux becs avides de le dévorer, des volatiles plus que des oiseaux de mer ! Rien à voir avec nos Sirènes gracieuses, ondoyantes, et blanches comme l'écume, les filles des grottes aux teintes prodigieuses, les protectrices de l'invisible , celles qui jaillissent des Faraglioni les soirs pareils à celui-ci ... Les Sirènes  d'Homère habitent encore chez nous ! Vous n'en doutiez tout de même pas, mes amis ?" 

"Bonsoir !" Fils Dernier, sac au dos, mine impavide,  pull encore imprégné des senteurs marines, s'assoit sans façon et prie la plus ravissante de l'équipe de lui apporter n'importe quelle nourriture capable de lui faire reprendre goût à la terre ferme.

J'ai très envie de remercier les Sirènes de leur clémence, mais je me contente de crier de joie.

Cette fois, l'atmosphère un tantinet hantée, tourne à la fête improvisée, les verres se remplissent de vin blanc de Campanie, la patronne du restaurant nous régale d'un gâteau au citron, le meilleur de Capri, et toute la salle supplie Fils Dernier de raconter sa nouvelle Odyssée.

Le retour tient de l'acrobatie, notre groupe amical et pompette cherche en vain un taxi, mais, ô miracle, après le dernier bateau, le dernier bus illumine les ténèbres glacées, le chauffeur est un ami de Stefanie, et surtout un homme d'expérience que les manies des voyageurs ivres et joyeux n'étonnent guère. Bon prince, il nous appelle le dernier taxi acceptant de grimper vers Anacapri. Délivrés de la terreur d'avoir à remonter à pied la route la plus obscure, la plus dangereuse, la plus hantée de l'univers, nous remercions les Sirènes, les mânes d'Auguste, qui inventa l'art du farniente sur nos hauteurs sauvages,  celles de son neveu Tibère dont l'austère solitude capriote fut si  injustement malmenée par la postérité, et la Providence. qui montre parfois le bout de son nez aux âmes en détresse ! 

Stefanie, sa fille, son amie s'évanouissent dans les venelles blanches du bourg. Malgré les promesses et les embrassades, je sais que seul un caprice capriote nous réunira à nouveau ! Mais, pourquoi cette image de marches de pierre s'écroulant au bord d'un précipice ? Cette vision a surgi dès les jeunes femmes englouties par la brume soyeuse...

Le portail grince, les citronniers sont deux divinités d'or et la loggia arrache un compliment à Fils Dernier sensible à cette grandeur décadente.

" Je vous donne rendez-vous demain dehors pour le petit-déjeuner,  il fera moins froid que dedans ! c'est incroyable,  vous avez vraiment l'art de louer des maisons glacées ! Cela ne nous change pas de chez nous  ..." dit-t- il ensuite, désabusé, en inspectant les pièces parcourues d'un air salubre ...

Puis, il ajoute gentiment; " Cela vous irait-il d'aller demain à la recherche de cet escalier de Tibère que vous cherchez depuis si longtemps ?

 Du côté de la Villa de ce poète à moitié fou, le mangeur d'opium ? Au moins, cela nous réchaufferait !"

 En parents soumis, nous approuvons cette injonction cachant un ordre courtois.

Je n'en suis pas mécontente, contrairement à l'Homme- Mari qui aurait largement préféré s'adonner à une sieste. sous les citronniers. Pourquoi  cet escalier mythique s'empare- t- il de nos pensées, serait-ce un tour de Capri ? On m'a vanté cette descente folle qui amenait jadis Tibère vers sa plage de rochers favorite, certains de nos amis prétendent y avoir organisé des cortèges à la mode antique, flambeaux en main, dois-je ajouter foi à ces amusantes vantardises ?

 Et si le redoutable  escalier avait  définitivement chu dans la mer lors des  dernières tempêtes ...

"La Villa Lysis en tout cas mérite la longue promenade sous le soleil  qui nous donnera l'impression de nous métamorphoser en voyageurs intrépides et endurants de l'autre siècle ! 

Pourvu que les mânes du poète disparu, ce Jacques Fersen qui sut mourir de son propre ennui mortel, se soient enfin calmées, cette maison respirait une mélancolie si puissante voici quatre ans qu'elle en gâtait le paysage le plus extravagant de l'île..."

A bientôt, 

Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix



Port de Capri dans le lointain un peu avant  la tombée de la nuit

                                                        Avril 2025, crédit photo Vincent de La Panouse  




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