lundi 20 octobre 2025

Concert à Capri ou l'âme de l'île sur un archet :Trilogie de Capri Partie III chap I



 Trilogie de Capri: La maison ensorcelée" Partie III

Chapitre premier

Musique au palais ou l'âme de Capri

Un coup de froid venait de frapper l'île de l'éternel été, et chacun, en haut des montagnes au sein du village paysan d' Anacapri, ou en bas, au coeur de la mondaine petite cité de Capri, toussait et se lamentait. Les pharmaciens seuls souriaient, mais les chiens aboyaient jour et nuit du fond de leurs jardins de citronniers, furieux d'être délaissés par des maîtres malades, les chats promenaient des regards hautains sur ces humains qu'un simple refroidissement rendait si piteux,  et les armoires se remplissaient de "compresse" et sirops parfaitement inutiles.

 Nous étions finalement de la partie, grelottants de fièvre et arborant un nez rouge tomate, cela nous réconfortait presque ! Et la tentation de nous embraquer pour Procida, le caillou des pêcheurs sur lequel l'égoïste Lamartine eût la méchanceté d'inventer une Graziella séduite et abandonnée, nous quitta en un simple éternuement. 

Après quelques semaines, nous étions de retour, encore sous l'émotion de ce mariage capriote qui avait  fait jaillir, à l'instar d'une fontaine  frémissante, l'âme grecque de ces habitants d'une île qui à l'apogée de sa gloire romaine s'enorgueillissait de parler la langue de Périclès.

Capri était le rocher d'Apragopolis, le doux séjour des rêveurs engourdis  par le soleil et y danser à perdre haleine le sirtaki des dieux m'avait enlevé loin des miasmes de la nostalgie, ce mal qui, sur l'île, me suivait comme un parfum entêtant au hasard des sentiers abrupts et des bosquets de Pins ployant vers les gouffres.

Or, la grande- Grèce se blottissait sous les brumes bleues de l'Antiquité. L'île des corsaires, des aventuriers, des empereurs, des princes et des rois, des bergers rusés et des plus belles filles du monde, le pays des Sirènes et des Atlantes, la terre de l'escalier aux marches taillées pour des éléphants, ce chemin de pierres aberrant,  élevé par des Phéniciens légendaires, s'enfonçait dans ses eaux de clair saphir.

 Le roc des mythes éternels  perdait sa réalité, à l'instar d'un amour que l'on tente de retenir sur le balcon tremblant de l'espoir inutile.

L'île avait pris un coup de froid et nous un coup de désamour .Qu'y cherchions- nous en fin de compte ? Une maison à l'histoire confuse qui nous échappait avec une obstination lassante ? Un refuge loin des tumultes d'un monde perpétuellement en rage ?une envie de relever un défi absurde, être propriétaire d'une ruine à Capri, voilà qui prouve un destin hors norme !

 Mais, nous n'éprouvions aucune vanité, et aucun vain sentimentalisme, la vérité était beaucoup plus simple : nous avions aimé à la folie une île qui ne nous aimait qu'avec une charmante parcimonie ..

Cela valait aussi pour ce bizarre fantôme au chapeau aplati qui s'ingéniait à me donner des rendez-vous datant de deux siècles, ou à semer la panique dans mon esprit en faisant apparaître et disparaître une bague romaine sertie d'une émeraude fendillée. Talisman douteux ou anneau de la destinée ?

Je ne voulais plus croiser les relents alarmants de cet obscur amour passé, épisode trop vague et trop douloureux à la fois pour séduire une personne ayant encore le goût de la vie .

Je ne voulais plus rien et surtout plus m'attacher encore et toujours à ce rocher solaire qui défait les siècles et les orages avec un dédain suprême.

Or Capri n'avait pas dit son dernier mot et elle nous envoya carrément une ambassadrice qui ne se doutait nullement de sa mission ..

Le soir marchait à pas de loup sous les feux roses et pourpres d'un soleil peu pressé de prendre son bain au sein de la mer laiteuse, nous avions vaguement compris qu'une visite allait bouleverser notre humeur morose de personnes fiévreuses et enrhumées au beau milieu de leurs rapides vacances .

 J'avais ouvert le petit portail ouvrant sur une ruelle qui aux temps antiques aurait charrié les eaux sans doute tranquilles d'un ruisseau, certains écrits l'attestaient, hélas, on ne pouvait mettre la main dessus !

Or, je croyais tout ce que tout ce qui sortait d'une bouche capriote , et me préparai en en écouter bien davantage. 

L'amie de Marina Piccola osa traverser la pelouse vers les deux malades, escortée d'une Madone glissant sur l'herbe, une Madone angélique et gracieuse qui aurait volé ses traits à la déesse du Printemps. C'était tout simplement la fille de notre amie, dans la fleur de l'âge et pareille à une apparition, créature blonde, évanescente et diaphane, évoquant à la fois l' Antea du Parmesan et  la Primavera de Botticelli.

 Envoûtés par cette beauté qui ne se doutait nullement de l'être, nous évitons nos doléances et vantons la douceur revigorante de l'air vespéral, et taisons notre ennui suscité par cette maudite grippe vous ôtant votre envie d'avoir envie.

'Aimez-vous vraiment Capri ?" interroge alors notre amie, jeune femme énergique, oeuvrant dans la communication insulaire, et habitant, fortune rarissime, juste en- dessous de la grotte des Pêcheurs, sur la baie de Marina Piccola. Cette impavide et ravissante îlienne comptait certainement quelques Sirènes dans son ascendance, surtout dans ce côté-là de l'île, abrités par les monstrueux Faraglioni, massives  tours naturelles émergeant des flots et domaine privé des princesses de la mer...

Cette question aussi abrupte qu'une falaise du côté du Parco Astarita, le jardin suspendu de la via Tiberio, me navre le coeur.

 Comment me soupçonner de désamour ? Et pourtant, la flèche va droit où il faut ..;

 "En réalité, je ne sais plus, je pense avoir tout vu, tout compris, je suis allée sur tant de sentiers, et j'ai parlé avec tant de gens ! Mais, Capri m'aime-t-elle moi ? Nous aime--elle encore ? Nous a-t-elle jamais aimés ? Se souviendra- t-elle de notre fugace passage si d'aventure nous n'y revenions plus ? 

Laura lit dans mes pensées malgré mes éternuements, ce don est d'ailleurs partagé par la plupart des Capriotes de souche, vous serez toujours transparent comme l'eau d'aigue-marine  pour un îlien déterminé.

"Cela n'est pas très grave, et j'ai une idée de médicament adapté.

 "L'Homme- Mari objecte que la table est couverte de doliprane italien et autres produits sérieux aptes à ranimer même un Français en détresse...

"Je ne parlais pas de votre raffreddore ! Quelle importance ? Nous l'avons tous et nous guérirons tous, non, je voulais dire votre désenchantement, votre désillusion, vos doutes, ici. Je ne faisais pas allusion à  vos impôts, ou à la crise politique de votre pays; de toute façon  nous souffrons des mêmes préoccupations, sans oublier le destin, les amours, le travail de vos enfants. Or, cette écume s'en reviendra à la mer, vos enfants sont grands, votre pays en a traversé de bien pire.

 Vous voulez vous détacher de l'île, mais serez-vous capables de vivre sans ce dur rocher , sans ces retours qui vous ramènent là où vous vous sentez enfin à l'abri, chez vous, libres et éternels ? Ce sentiment, c'est celui qui a incité tant de voyageurs à ne pas reprendre le bateau ...

 Ecoutez ! demain, Capri vous donne rendez-vous, un concert, quelque chose de très discret, loin de la foule déchaînée, se prépare en l'honneur des très jeunes lauréats d'un concours de violon, ne posez pas de questions ! Laissez la musique vous prendre par le coeur, rendez-vous demain au Palazzo Cerio, à 17 heures, vous serez peu nombreux, mais la musique vous sauvera du désenchantement ...

Je me sauve ! Ma fille doit pendre sa leçon de conduite, elle passera son permis à Naples, c'est la loi et plus facile que sur nos routes à-pic !"

La Madone et la magicienne s'évaporent avec la rosée du soir ... 

"Un concert ? Au point où nous en sommes, cela nous guérira peut-être ..;"

"Ou nous achèvera ! " dit l'Homme- Mari en se mouchant.

Et c'est ainsi que le lendemain, sous un soleil soudain brûlant, nous quittons à contre- coeur notre jardinet et ses deux citronniers vénérables pour descendre en- bas, autrement dit dans le village de Capri jadis haï par les bonnes gens d'en-haut.  Cette animosité séculaire séparant la cité des montagnards  et paysans de celle des marchands et aubergistes, aurait pris fin, mais est-ce vrai ? 

Ce n'est pas le moment de débuter une enquête sur ce sujet épineux entre tous !

En français disciplinés, rompus aux concerts, et désireux de prouver notre respectueuse courtoisie envers un aréopage de très jeunes talents capriotes, nous arrivons avec une bonne demi-heure d'avance sur la volée de marches menant à la porte massive d'un haut palais classique, à l'ombre de la Chiesa de San Stefano, patron du bourg mondain et bruissant de Capri.

Détail peu romanesque : nos poches et mon sac à main débordent de nouveaux remèdes miraculeux achetés à la pharmacie des Arcades. Notre fréquentation des apothicaires de l'île se poursuit à un rythme intense, ce qui m'agace terriblement !.

Mais que se passe-t-il encore ?

 Le hall affiche bien un beau portrait de la Signora Gubitosi, une Patricienne de la Belle -Epoque, bienfaitrice des jeunes passionnés de violon et piano-forte, la date est la bonne, l'heure sera exacte dans une vingtaine de minutes, par contre, l'escalier est vide, les couloirs déserts, et nul mortel ne hante  l'ancienne maison de l'ancienne famille la plus célèbre de l'ile, la dynastie Cerio:  l'un archéologue, l'autre maire, tous écrivains, artistes, mécènes, historiens, les Cerio, généreux et passionnés, furent au coeur, au centre, au vif de Capri pendant un bon siècle ... 

Il y eut les Médicis à Florence, il y eut les Cerio à Capri ...

En attendant, dans leur antique demeure, il n'y a personne !

Un pas retentit au-dessus, des voix , l'écho d'un violon que l'on accorde, et une dame fort étonnée de nous voir plantés dans le noble escalier envahi par la pénombre vespérale, nous prie de lui expliquer  quel forfait des Français, un mouchoir à la main, les visages exsangues et le nez rouge, se préparent à commettre dans la maison Cerio, Je montre la belle affiche, et d'un ton enroué, propose d'acheter nos billets pour ce "Concerto dei vincitori " du concours des nobles Emilia et Elsa Gubitosi.

Un éclair jaillit derrière les épaisses lunettes de la dame angoissée, ces Français sont juste des excentriques, mais semble-t-il inoffensifs, et même mélomanes.

" Les billets ? Pas de billets ! Entrez et patientez, vous avez beaucoup d'avance, personne ne commence à l'heure indiquée voyons, nous ne sommes pas en Suisse ! Les artistes joueront quand ils le sentiront, mais accommodez- vous..."

Nous nous accommodons sur de jolies chaises dorées et gardons un silence implacable. Rassurée, la dame inconnue nous abandonne à notre sort de mélomanes audacieux et impatients .Sur les murs pâles du salon de musique s'élèvent de hauts trumeaux aux miroirs patinés, couronnés de feuillages d'or. Ces belles glaces dépolies renvoient une image plaisante et émouvante de nos pauvres mines de Français éreintés par un rhume capriote, et j'avoue que ma sombre humeur vire au rose !

Ressembler à un monument en ruines et enrhumé ne vous rend pas la vie très agréable, me voilà presque réconfortée ...Le plafond est en arches à la mode capriote, la pièce austère, et seule une estrade  supportant un splendide piano luisant et lustré évoque un concert à venir ...

Une porte claque, et un jeune homme en blanc et noir , son violon vissé sous le cou s'installe sur l'estrade, et nous lance un regard moqueur. Un autre pas, lent, pesant, et voici que s'avance un homme  d'un âge certain, claudiquant vers le piano, le jeune violoniste dégringole vers lui, et le hisse devant le piano, tous deux se saluent, et sans tergiverser davantage, se lancent dans un morceau endiablé ...

Les murs reculent devant cette fougue, les  chaises se remplissent, une poignée de spectateurs prend place en bavardant, sans souci du duo fantastique,  un caniche enrubanné est installé comme le Saint- Sacrement sur les genoux d'une imposante notable cliquetante de bijoux, le beau monde se déverse ça et là, et les musiciens se lèvent et disparaissent, ce n'était qu'une répétition orageuse et superbe !

 L'organisatrice en chef est Napolitaine, le teint ambré, l'allure déterminée, le sourire resplendissant, elle entonne une sorte de péan de la victoire en l'honneur de ces vainqueurs, tous sublimes, et d'ailleurs, le premier va nous éblouir comme jamais, si, si, le voilà !

Ce virtuose sort d'un portrait d'un maître de la Renaissance Italienne, un Florentin plus qu'un Capriote, svelte, agile, la crinière rousse en bataille savante, il esquisse une courbette et entre en transes: son violon lui échappe des mains, ses yeux deviennent de braises, ses cheveux palpitent, Paganini revient du royaume des Ombres !

Nous sommes sous le choc! Le hardi violoniste tente de suivre les élans tumultueux de son archet ensorcelé, bondissant à la façon d'un fauve libre et lâché de sa prison ...

 Magicien, maître, esclave, ce jeune homme aux cheveux roux nous arrache à notre vaine désespérance.

Son violon surgit dans notre nuit, s'abat sur notre soif, serait-ce l'étoile montante de Capri ? 

Nous le croyons de tout notre coeur !

 Dix minutes plus tard, nous sommes éperdus d'admiration face à une frêle jeune fille au doux nom d'Iris, qui timide et menue, va élever la musique dans le firmament de sa passion de la vie.

 Mince à l'extrême, une longue tresse noire battant son fourreau noir, Iris empoigne son violon, et celui-ci tremble, sanglote, se tord, se noie, s'ébroue sur le fil insensé des grandes, des folles espérances de la jeune fille. Toute son âme meurt de douleur et exulte de ravissement. Une interrogation nous foudroie: le bonheur est-il de ce monde ?"Il trillo del diavolo "(Tartini) change la douce fée en lionne exigeant sa proie, la vie est un combat! Elle l'osera ! Puis Saint-Saëns nous fait chavirer de tendresse tant la fougue de la délicate  Iris exalte sa foi en l'avenir, de toute la force de son archet voltigeur ...

Mais, nous sommes à Capri où les Sirènes envoient leurs facéties, voilà que le petit caniche désire se mettre au diapason, et sa maîtresse, oubliant la ferveur de la belle musicienne, éclate de rire à l'instar de ses voisines brillantissimes ...

 Les spectateurs font une ovation à la sage et bouillante Iris, deux autres jeunes gens lui succèdent, pleins de fièvre et de bravoure, Chopin, Prokofiev, et une envolée vers les cieux de la passion...

Mais pourquoi sommes-nous si peu à soupirer, sourire, pleurer et reverdir ?

Les ancêtres  de ces jeunes îliens ont dû autrefois ravir les voyageuses en crinolines, entassées dans les esquifs pittoresques les menant sous la voute de la Grotte Bleue, leurs descendants nous font voguer sur les eaux musicales grâce à leur talent sobre, puissant, inflexible...

Récompenses et prix sont décernés sous un déluge d'applaudissements et d'aboiements du caniche tout content d'en avoir terminé avec cet étrange divertissement bruyant ..;

 On nous remarque, on nous remercie, mais qui sont ces Français ?

"Comment? Après-demain, à la Villa Rosa d'Anacapri, vous revenez ? Quel enthousiasme ! Vraiment, très rare, très flatteur !" Les artistes affectent une mine émue, et ce petit cercle s'évapore ...

Nous respirons les effluves parfumées des boutiques de luxe sur la Piazzetta, la multitude habituelle sirote un verre, bavarde, affiche la moue conquérante de ceux qui ont osé prendre un apéritif  en ce lieu insignifiant, mais sacré temple du snobisme international. 

 Ces voyageurs ignorent que Capri se moque d'eux, Capri leur échappe, Capri vient de nous révéler son coeur, son âme, et du coup, notre désamour a cessé ... Comment avons-nous pu croire que Capri nous abandonnerait ?

 Mais, nous irons tout de même entre deux pharmacies et trois éternuements, au concert de la Villa Rosa, serons-nous déçus cette fois ? 

  A bientôt, 

 pour la suite de cette Trilogie de Capri, 

 Nathalie-Alix de La Panouse ou Lady Alix

 Blog littéraire depuis dix ans ...

Un roman sur une amante de Talleyrand: "Les amants du Louvre"

 et ce roman à Capri  formant trilogie: "La  maison ensorcelée"



Jeune virtuose à Capri, palais Cerio, mercredi 7 octobre 2025
Crédit photo Vincent de La Panouse

Concours international Elsa et Emilia Gubitosi







 

 

samedi 4 octobre 2025

Bonheur fou et Fiat bleu ciel ou Mariage à Capri épisode III "La maison ensorcelée" Partie II chapitre 38



Le goût du bonheur dans une Fiat bleu ciel 

 Mariage à Capri épisode III 

Roman à Capri: "La maison ensorcelée", seconde partie

Un frémissement secoue les invités qui n'en croient pas leurs yeux.

 A l'entrée de la plus gracieuse église d'Anacapri, La petite Fiat bleu ciel, avec à son bord la jeune mariée tant attendue et son père fier comme Auguste en personne, s'apprête -t-elle à rouler vers l'autel nuptial ?

Rien n'est impossible à Capri surtout quand le bonheur est de la partie, et quel bonheur !

La joie sans bornes de ces nouveaux époux qui vécurent l'immense patience d'un cortège de longues fiançailles.. Toutefois, ce goût inné du bonheur que chaque habitant de l'île divine cultive avec une joyeuse désinvolture ne va pas jusqu'à pousser l'inconvenance dans ses ultimes limites, et notre cher ami Salvo est le premier à respecter ce qui doit l'être !

 Ainsi, la petite Fiat bleu azur reste sagement en vue sur le parvis de l'église ! Et c'est au bras de son père cachant mal son immense émotion que la plus exquise des mariées s'avance vers l'autel de son destin ...

La future épousée glisse à l'instar d'une fleur vivante oscillant sur sa longue et fine tige, son cou délicat surgit d'une corolle épanouie, son voile frissonne sous un chignon accentuant son profil pur,  son visage reflète le bonheur parfait et la sérénité souriante de celle qui fait confiance à l'amour et à la vie.

Le jeune promis napolitain n'en croit pas ses yeux, son jeune et beau témoin le soutient dans cet instant magnifique qui le voit tendre la main à sa fiancée plus belle que jamais !

L'assemblée trépigne de joie, et soupire d'attendrissement, ce couple fait fondre les coeurs ! Imposant, immense, et majestueux, le prêtre, au comble de la joie, souligne la  grandeur des vertus conjugales avec des mots si éloquents que nous les comprenons  d'instinct, mais son lyrisme enjoué s'achève par une sentence pour le moins extraordinaire: "L'amour est fatigant!"

La jeunesse proteste, du côté Napolitain, on refuse cette noble parole ! Les belles Capriotes se contentent d'une moue  et d'un sourcil relevé ... Qui vivra verra !

 Or, les personnes ayant vécu un long chemin ensemble se regardent et approuvent ...Le consentement est demandé, le consentement est donné! La ferveur atteint son paroxysme, pleurs, applaudissements , concert de louanges, les mains éclatent, le concert des violons s'emballe, la liesse manque déborder comme un torrent d'avril, et la statue de San Antonio, protecteur d'Anacapri, semble s'animer et bénir ce couple que le Saint prend avec un vif bonheur sous son aile...

Le prêtre reprend son discours, mais change de ton, le voilà grave,  quasi officiel, presque ennuyeux, nous sommes désorientés, que se passe-t-il ? Le prêtre dont nous admirions l'étincelant brio, est maintenant fort appliqué à nous lire laborieusement un texte qui n'en finit plus...Un texte qui ne semble pas très catholique ...

Et pour cause !

 "C'est le code civil, j'en suis sûr !" murmure l'Homme- Mari abasourdi.

Nous avons le privilège d'écouter les articles de loi régissant les mariages civils, au sein d'une église et de la bouche du prêtre de la Paroisse, encore une surprise à l'italienne...

Le pensum prend fin, l'assistance, mouvante et excitée, s'empresse de froufrouter, rire, sangloter, chuchoter ou piétiner vers la sortie tandis que nos époux et leurs témoins disparaissent vers la sacristie, mariage italien ou non, les registres ne sauraient être oubliés. Emus et un peu perdus, nous voici soudain les mains remplies de pétales de roses, un cercle d'amateurs passionnés s'agglutine devant la Fiat bleu ciel que son  impassible chauffeur en grande tenue s'acharne à protéger de cette manifestation de légitime curiosité. une rumeur galope, la petite machine céleste aurait eu Sophia Loren, reine de Naples , comme marraine !

Sous un ouragan de pétales de roses, et un tonnerre d'acclamations, les jeunes époux se hasardent vers leur carrosse azuré, mais la foule  leur réclame un baiser, puis deux, puis trois, la foule reste insatiable, ce spectacle amoureux lui arrache des bénédictions toujours renouvelées !

 Les époux posent, sourient et grimpent à bord de la petite Fiat bleu ciel qui s'enfuit vers un horizon que nous souhaitons tous limpide et bleu, comme le ciel aujourd'hui sur Capri...

Mais qu'allons-nous devenir pendant que la petite Fiat céleste caracole sur les promontoires hasardeux au risque de précipiter dans un gouffre le couple audacieux ?

Nous voilà désoeuvrés, abandonnés, la jeunesse Napolitaine s'enfourne dans un bar, les beautés Capriotes s'évanouissent comme des mouettes au fil des ruelles, sans doute vont-elles se repoudrer, se rafraîchir, parfaire un visage parfait et rajuster une robe impeccable ! 

Cette fois, nous suivrons ce mouvement de fuite, et ignorerons l'heure inscrite sur le faire-part. Nous venons de le comprendre, il est de bon aloi d'oser un retard assez conséquent, sans pour autant frôler l'impertinence. C'est d'un pas extrêmement lent que nous cheminons vers les citronniers plantureux sous lesquels la fête s'épanouira, bercée par les feux du soleil couchant.

Or, serions-nous marqués du sceau de la fatalité ? Serait-ce une plaisanterie des moqueuses Sirènes ou d'un dieu immortel blotti dans l'ombre vespérale ? 

En dépit de notre prodigieux retard, nous nous retrouvons en pleine solitude ! Si l'on excepte un essaim de serveurs trop affairés pour prêter attention  à ce couple égaré...toutefois, deux magnifiques arches de fleurs immaculées prouvent qu'une soirée de mariage se tiendra bientôt, des bouquets  non moins exubérants parsèment les tables,, un buffet copieux prend forme, allons, tous ces détails sont encourageants, mais cela ne suffit guère à nous encourager, en réalité, nous mourons d'envie de nous éclipser... Mais, les divinités capriotes de l'amour matrimonial nous prennent en pitié. Comme par enchantement, le très aimable fils de Salvo nous empêche de filer à l'anglaise !

Nous ne sommes pas du tout en avance, ce sont les autres qui sont en retard!

Cette délicatesse a le don de nous ranimer considérablement ! et nous serrons dans nos bras la superbe épouse, drapée dans un frou-frou de soie jaune d'or de ce courtois jeune homme, et leur  blond chérubin  d'un an à peine, levant sans peur ses grands yeux impérieux: l'orgueil de la famille !

Salvo manifestement sur un nuage emboîte le pas à un premier arrivage d'invités très distingués,  et nous nous témoigne aussitôt la sollicitude réservée à des personnes fragiles, offrons- nous à ce point un aspect défraîchi ? Les invités, familles îliennes et du continent jacassent à coeur-joie, font un sort au champagne, et nous font l'honneur de ne pas sourciller en entendant notre italien capricieux, au contraire, notre présence amuse, attendrit presque: des Français timides et sentimentaux qui plus est amoureux de Capri comme à l'époque du grand Tour, cela existe encore ?

Les bavardages, ponctués de gestes d'une vibrante ferveur, se poursuivent pendant que les facéties des jeunes Napolitains augmentent de plus belle,  le jeune époux à peine revenu de ses itinéraires du vertige, manque célébrer son mariage au fond de la piscine, sa jeune épouse obtient sa grâce de justesse! le dîner nous prend par surprise, et son déroulement somptueux, plats capriotes et ballet échevelé des jeunes camerieri,  rythmé de chants, de danses, s' embellit encore de la déclaration d'amour chantée par le jeune marié en dialecte Napolitain, sa voix de velours suscite de nouveaux sanglots et une approbation unanime, il a fait son devoir ! 

Le père de la mariée, notre ami Salvo, en profite pour lui reprendre un long moment sa fille  bientôt perdue, en l'entraînant dans une tendre valse où se chuchotent de belles confidences avouant l'amour infini d'un père pour sa fille adorée...L'amour est dans l'air , mais aussi l'affection et l'amitié, et très vite les nourritures terrestres sont oubliées au profit des danses infernales!

 Je suis emmenée dans une ronde, puis un sirtaki endiablé, qui  rajeunit, reverdit, et ranime l'âme grecque  de l'île...La fête vire au tourbillon, même l'Homme- Mari est emporté de force, et se laisse faire,  heureux comme un adolescent.

Sur ce flot de spontanéité joyeuse, arrive une immense tour en sucre blanc que les mariés découpent  en riant, une lumière subtile, poudrée d'or et de poussière de lune, nimbe le jardin de citronniers,  la nuit capriote, à l'instar de la nuit grecque n'est pas la nuit, "c'est seulement l'absence du jour", ainsi que le murmurait le vicomte de Chateaubriand...

Le plus beau des mariages s'achève dans un soupir de bonheur ...et nous repartons, veillé par la masse hautaine du Monte-Solaro, gardien de tant de fêtes, de tant de drames, gardien de l'invisible passerelle capriote qui  relie encore entre le monde antique au nôtre ...

Mon éternel fantôme, celui qui a tenté de hanter mes jours sur l'ile se manifestera- t- il désormais ?

Une étrange nostalgie me poursuit malgré la joie simple de ce mariage parfait.

D'où vient ce lien qui m'attache à une île toujours secrète au-delà de sa fausse réputation de paradis perverti ? Qui me donnera la clef d'une histoire perdue ? 

Quant à cette maudite maison en ruines blottie au coeur de la vallée la plus mystérieuse de l'île, quel espoir gardons- nous d'y entrer un jour avec un sourire de propriétaires ? Notre rêve nous a emportés trop loin, la réalité ne nous prendra pas au sérieux ...A moins d'un hasard miraculeux, mais le hasard n'existe pas à Capri.

Je commence en à avoir assez de cet attachement un peu absurde, parfois, il est bon de s'éloigner afin de mieux revenir; et si nous allions à l'aventure vers Procida ou la lointaine Ventotene ?

"Pourquoi pas , rétorque l'Homme- Mari, du fond de son charmant état d'invité à un mariage à l'italienne bien arrosé.

Fin de la seconde partie du roman capriote: "La maison ensorcelée"

A bientôt pur la suite de ces péripéties capriotes, 

dans le cadre du roman "La maison ensorcelée" ou Trilogie de Capri

  première et seconde partie, 

et désormais troisième partie

 Nathalie- Alix de La Panouse

 ou Lady Alix



L'art de vivre à Capri, sur les rochers du Faro septembre 2025
                                                            Crédit photo Vincent de La Panouse






lundi 22 septembre 2025

Mariage à Capri: Surprises et savoir-vivre! épisode II "La maison ensorcelée" partie II chap 37

Surprises et savoir-vivre ou un mariage à Capri

Episode II 

"La maison ensorcelée" Roman à Capri

 Seconde partie Chapitre 37

 L'art de bien recevoir se cultive de façon exquise sur l'ensorcelante île des Sirènes, toutefois, certaines aimables personnes poussent ce délicieux savoir-vivre à l'extrême, ce qui déclenche chez les invités payants la sensation surprenante de retomber en enfance .

Ainsi, notre très généreuse logeuse décida que notre bonne mine titillait ses talents de pâtissière émérite. Injonction nous fut donnée de nous lever à une heure fort matinale, de la rejoindre dans sa salle à manger, d'admirer sa décoration raffinée alternant les tons  bleus et blancs à la mode capriote, sa cheminée rehaussée de l'azur le plus profond, sa nappe en soie du plus tendre turquoise, de respecter  l'ordre drastique des couverts et petites assiettes, et de nous gaver de gâteaux à étouffer un berger affamé. L'Homme- Mari, désarçonné par cette pyramide de recommandations, se trompa avec un charmant naturel, allant jusqu'à confondre l'assiette à douceurs et celle préposée à sa grappe de raisin quotidienne, la cuillère à confiture et celle servant à remuer le sucre dans une tasse si fragile qu'elle n'apparut qu'une fois ... Nous étions de tels ours ! ou des Français si désinvoltes !

Je m'évertuai à badiner, à plaisanter, mais notre logeuse ouvrait de grands yeux face à des fautes de goût d'autant plus impardonnables qu'elles nous échappaient purement et simplement ! N'avions-nous tous deux poussé l'inconvenance jusqu'à déposer, l'Homme- Mari un humble morceau de beurre enveloppé de papier, et moi le faire-part du mariage, sans pitié envers la nappe précieuse ?  N'avions-nous osé avouer  en souriant que la recette des sublimes brioches de notre hôtesse s'éloignait de celles emplissant les boulangeries de notre pays ? 

Mais, comment prouver notre gratitude à une bonne dame, capable se se lever à l'aube afin de nous étourdir de douceurs parfumées au citron ? La réponse ne tarda guère... Les dernières bouchées avalées,  et en dépit de notre avalanche de compliments,  nous fûmes priés de déguerpir au plus vite, le ménage n'allait pas tarder, n'avions-nous repris des forces ?

Allons ! qu'attendions- nous pour arpenter  les venelles d'Anacapri et admirer le soleil luisant sur la mer depuis la Migliera dont nous venions étourdiment  de chanter les merveilles ?

Une marche dans l'air parfumé, voilà ce qui nous préparerait à ce fameux mariage dont tout Anacapri bruissait ! Miracle de l'atmosphère capriote, au lieu de regimber, nous obéissons, dociles et disciplinés comme de charmants écoliers. Que ne ferait-on pour satisfaire une dame  si occupée ? 

Notre maîtresse de maison a bien d'autres soucis qu'une invitation à un beau mariage à Capri ! Honte à nous, oisifs et flâneurs !

 Le jardin est long comme un jour de pluie. Sa pelouse à l'anglaise, parfaitement arrosée, et taillée aux ciseaux, sans doute selon le voeu des anciens propriétaires britanniques qui la cultivaient  avec un soin prodigieux, en souvenir de leur  patrie abandonnée au profit des merveilles de Capri. Autour de nous, haies touffues  et buisson robustes libèrent les effluves d'un tourbillon de pétales bleues ; une vraie mélodie en bleu majeur encerclant la villa massive dont les arches altières cachent les secrets de notre hôtesse.

 Au sein de maison vaste et majestueuse, on nous a gratifié d'une pièce qui fut certainement un placard dans des temps plus cossus... Qu'importe ! Il nous fallait un toit et du silence afin de nous montrer dignement à ces noces d'aujourd'hui, nous sommes comblés ! Enfin, presque ...

"Oui, dit l'Homme- Mari, toi, tu te contentes d'un rien pourvu que tu sois à Capri, moi, j'aurai préféré une chambre où l'on puisse respirer, as-tu remarqué que la fenêtre avait disparue ? La porte ne suffit pas à laisser l'air entrer, si jamais je venais à suffoquer, j'irais dormir sur la pelouse, mais, cela va scandaliser la bonne dame !"

"Tu seras privé de gâteaux  et mis au piquet !"

 Nous arpentons au hasard la via Filietto, étroite, serpentine, étirée devant des hauts murs à l'austérité adoucie de glycine soyeuse. Il est encore bien tôt, le soleil darde ses rayons avec une intense délectation sur les roches levées autour  du village. Ces remparts forgés par les Titans, rougissent sous la lumière qui coule en ruissellements  pourpre, fauve et vert sur les pentes des montagnes. Pourtant, l'ombre veille au fil des recoins encombrés de pots de lauriers- roses de ce labyrinthe humide, pareil à un gros ruisseau éparpillé en de multiples affluents !

 Le Monte-Solaro  libéré de ses brumes, nargue le ciel et monte une garde farouche sur la paix du bourg. A peine englués dans les venelles, nous croisons un ami  qui surgit de la fraîcheur matinale. Exclamations, embrassades, comment, nous déjà ? Ah ! le mariage ! Non, hélas, il n'a pas eu l'honneur d'être convié à ces noces qui se préparent à vive allure, on s'active du côté de l'église, on  y monte des colonnes, des arches, des  guirlandes  de roses et d'orchidées, et l'effervescence grimpe, à l'instar des fleurs merveilleuses....

"Mais, cari amici, demain  au petit bar, devant la Casa Rossa, vous me raconterez tout, si vous êtes levés bien sûr !  vous danserez tellement, comment se lever ensuite ? Ah ? Votre logeuse exige que vous preniez vos brioches à une heure si matinale ? Mais cette dame ne sait-elle que l'on se divertit trop à des noces capriotes pour sortir tôt de son lit le lendemain ? Comme je vous plains !  Ah ! Cette dame est Napolitaine, ces Napolitains ! Dansez en tout cas, pendant un mariage  de chez nous, l'amour, l'affection  dansent ensemble." 

J'ai très envie de méditer sur ces paroles  chantantes, mais la venelle me fait perdre la tête, et nous voilà perdus  entre deux porches intimidants, perdus à deux pas de l'église, à trois pas de la casa Rossa, à cinq de la via Giuseppe Orlandi, rue en principe  piétonne,  vouée aux lentes errances des touristes,  et aux bavardages des gens du cru  qui semblent y poursuivre  une  tumultueuse conversation perpétuellement recommencée.

 L'Homme- Mari est perplexe, un sortilège nous force à repasser plusieurs fois devant le même portail, la même courette, le même mur sur lequel se prélasse le même chat ironique, un beau chat de Capri, hautain et rouquin. Je lutte pour ne pas céder à la mélancolie, je songe à ce chat blanc au regard d'aigue-marine envolé vers une autre vie dans mes bras, voici si peu de temps, et sur cette île où les félins de compagnie goûtent aux charmes  éternels du paradis terrestre...

Cette maudite via Filietto devient terriblement oppressante,  pourtant, l'espoir jaillit, un détail me revient, le salut est proche  si nous refusons la tentation de tourner encore et encore: "Filons tout droit ! " L'Homme- Mari accepte, faute de mieux et  nous sortons du labyrinthe, un flot de lumière vive nous accable, nous avançons sur la place favorite des promeneurs du soir,  et butons presque sur la statue  en bronze verdi de la chèvre tenace et hardie montant sur son échelle, symbole d'Anacapri, la montagnarde obstinée. On nous a vu, et des appels fusent !

 Impossible d'avancer !  A chaque pas, jaillit un flot de paroles, de prières de "tout raconter" et de "Danser",  je m'aventure à promettre de façon inconsidérée un récit détaillé de ce mariage de l'année à une kyrielle de gens qui m'implorent de revenir le lendemain, de la fruitière de la place au Palazzo bleu, à la dame du magasin de plantes et d'aliments pour chiens et chats, nous pleurons d'ailleurs ensemble sur nos animaux envolés,  sans oublier la jeune fille de la jolie boutique à une seconde de l'église, qui profite de la tentation de l'Homme- Mari envers  un polo bleu azur, pour me supplier de décrire ma robe de fête,  alarmée de cette modestie , elle exige que je rallonge au moins ma voilette. Ai-je un collier de perles de famille ? Ah ! Combien de rangs ?deux seulement, quel dommage, mais lui aussi ce collier, vous pourriez le rallonger ... non ?"

 "Un mariage à Capri, cara signora, c'est un mariage extraordinaire, tout le monde va verser des larmes,  votre coiffure doit surprendre, vos bijoux étinceler, toutes les invitées vont briller, j'ai de la chance, le cortège passera juste devant mon magasin, mais, venez chercher un second polo demain,  je vous ferai une réduction, et vous me raconterez la soirée ..."

A l'autre bout de la rue piétonne, un bosquet de citronniers fait l'attrait d'un haut lieu de festivité, un endroit à la renommée cosmopolite où nous sommes priés afin d'entourer les jeunes époux de notre affection, à l'heure où le soleil  rouge piquera droit au sein de la mer de lait. Poussés par la plus élémentaire curiosité, nous allons aux nouvelles, en cheminant  avec une nonchalance trop affectée pour être sincère, arborant la mine la plus indifférente, et scrutant le moindre mouvement , le plus infime bavardage. Or, rien ! Le silence absolu règne sur ce lieu voué aux fêtes les plus élégantes !

 Un horrible doute nous serre le coeur, nous serrions- nous trompés  de jour ? 

"Mais non ! ' s'amuse franchement Arturo, notre ami écrivain sensible et créateur des lunettes les plus poétiques qui soient jamais sortis de l'imagination capriote.

" Vous savez, ici, les horaires ne signifient pas grand chose, le mariage aura bien lieu, le reste ? Vous verrez bien ! On ne parle que  de cette fête, cela prouve qu'elle vous attend, et de notre balcon dominant le bosquet de citronniers, nous vous observerons en cachette ! Venez dîner demain soir, vous nous raconterez, pensez que la musique nous empêchera de dormir, heureusement, notre petite ne revient à l'école que dans quinze jours, bien plus tard que chez vous, pauvres petits Français !

 Allora ?  nous sommes tellement heureux de vous montrer notre premier foyer, nous avons enfin trouvé notre appartement, et nos racines en même temps, vous visiterez notre toit, on y assiste aux plus beaux couchers de soleil du village , à huit heures, non, rien, votre présence est une cadeau .. Et, j'y songe, la maison abandonnée en bas, celle de votre ancêtre, aucune nouvelle ?

 Vous savez qu'elle menace de s'effondrer ? Je suis désolé, vous aviez encore un espoir ... Tout peut arriver, vous êtes à Capri!"

 L'enthousiasme de notre plus ancien ami d'Anacapri ne nous gagne guère cette fois. Mais, cette folle histoire d'une cabane à Capri ne doit pas amoindrir notre fierté de marier notre belle nièce de coeur dans  moins d'une heure !

Une musique argentine résonne dans l'air réchauffé par un soleil complice.

 "Mon Dieu! Les cloches sonnent déjà ! Au secours ! "

Nos tenues à la française endossées, notre belle simplicité affichée, ma voilette maigrelette se balançant sur mon front inquiet, nous nous hâtons à travers les rues désertes, le souffle court et le rouge aux joues, comme si une escouade de Carabiniers moustachus menaçait notre liberté de Français invités à un mariage à Capri.

La ravissante placette sur laquelle s'élève à l'instar d'un éventail gracieux l'église de Santa Sofia n'est peuplée que d'un vol de pigeons insolents. Le soleil frappe les deux colonnes de roses immaculées  entourant la porte fermée. Les cloches cristallines ont cessées leur tintement harmonieux, pourquoi ce silence, ce vide ? Le soupçon éprouvé ce matin m'étreint à nouveau ... Soudain l'heure inscrite sur le faire-part tinte majestueusement ... Personne ne surgit pour autant ! Serions-nous les seuls invités à respecter outrageusement  l'heure imprimée ? Quelle faute de goût ! Devrions-nous rebrousser chemin et cacher notre honte ?

 Non, il fait vraiment trop chaud !

"Entrons à l'abri, nous verrons bien quelque chose de rassurant, les musiciens accordant leurs violons, d'autres invités étourdis, d'habitude en France, si vous arrivez à l'heure, toute l'assistance vous lance un regard courroucé, et là, nous allons passer pour fous !"

L'église bruisse doucement, sur l'autel, une fontaine de roses déverse son parfum, trois personnes en tenues négligées agitent les mains afin de rythmer de passionnantes confidences, on nous scrute sans grande sympathie,  mais à notre immense soulagement, une jeune fille  s'efforce de déployer sur l'allée principale un chemin de papier blanc, c'est très bon signe ! Toutefois, la quiétude l'emporte sur  la fièvre et l'agitation ... 

Derrière nous une dame caresse son chien en priant la Madone, un léger vacarme filtre sous la porte refermée... Une autre jeune fille aux yeux impérieux répand de mignons carnets sur les bancs, nous sommes sauvés, ce sont les livrets du mariage ! L'écho montant du dehors se précise, la porte est secouée comme par un vent furieux, et déferle une vague  puissante de jeunes gens  en sombres costumes cousus sur leurs corps, chaussures à l'éclat de miroir, chevelures luisantes dans le cou, barbes de trois jours, et lunettes noires du plus farouche effet.

Nous n'avons pas une seconde pour nous remettre de cette vision sidérante,  voilà que dans ce sillage typiquement Napolitain, tournoie maintenant  un opulent bouquet de jeunes filles en robes jaune, verte, rouge, rose,  dont les talons d'une altitude extrême froissent le tapis de papier . Les regards sont de braise ou d'eau de mer, les chevelures se balancent sur de puissantes hanches, les décolletés ont franchi les limites du risqué ...  Or, nous sommes en Italie du sud, la ferveur n'est pas un vain mot ou un sentiment ignoré, l'aréopage de jeunes séducteurs à la napolitaine se signe, le nuage de jeunes beautés capriotes s'agenouille, et nous prions pour le bonheur de ces mariés qui ne se montrent pas !

Un murmure respectueux  bourdonne, c'est le prêtre de la paroisse, un géant débonnaire à la bonté chevillée au corps qui gagne la sacristie en distribuant des paroles bienveillantes, les musiciens disparaissent à sa suite,  et un cortège distingué envahit les bancs. 

Le mariage à l'italienne va commencer !

Une clameur  couvre presque le tintement des cloches vigoureuses, la porte s'ouvre à grand fracas, les invités  rayonnent de joie, le prêtre tend les mains, et le jeune marié le regard noyé d'émotion  s'avance, une main dans celle de sa mère en larmes, l'autre dans celle de sa grand-mère plus réservée...

 La traversée de l'église prend l'allure d'un voyage  initiatique, l'assistance tente de garder calme et sérieux, les jeunes capriotes envoient des baisers, les jeunes Napolitains des gestes d'encouragement, le témoin vient donner l'accolade à ce fiancé sur le point de s'exiler par amour à Capri. 

Que Naples sera vide sans lui !Quelle épreuve pour sa mère ! Que ses amis seront déchirés !

L'amour est un maître redoutable ! Bienveillant et patient,  le prêtre arbore un large sourire en dépit des sanglots maternels... La mère de la mariée s'installe avec une touchante dignité  au bras de son fils, très élégant et serein, sa jeune épouse à la mode de Milan arrache un cri d'admiration, sa robe impossible à porter sauf par elle, une envolée de satin jaune d'or, chatoie comme un rayon de soleil, sa beauté mutine et classique trouble les esprits pourtant habitués aux visages parfaits partout répandus sur l'île des Sirènes.

 L'église frissonne d'impatience joyeuse, les chants sont entonnés avec fougue, les cloches s'obstinent à annoncer la mariée qui se fait désirer ...

Viendra-t-elle ? Des applaudissements éclatent en fanfare sur la placette sans couvrir un grondement de moteur, le jeune fiancé pleure de joie, la mariée et son père sont au rendez-vous !

"Dans une Fiat bleu ciel !  ils ne vont pas entrer en voiture dans l'église ? "

A très bientôt pour la suite de ce mariage à Capri !

 Nathalie-Alix ou Lady Alix de la Panouse

 

                                              Un escalier à Anacapri montant vers le paradis...
                                                             crédit photo Vincent de La Panouse, septembre 2025


 

jeudi 11 septembre 2025

L'art u bonheur ou Mariage à Capri épisode I : " La maison ensorcelée" Partie II Chap 36


L'art d'être invité à des noces extraordinaires à Capri  I

"La maison ensorcelée " Partie II

 Chapitre 36 « La maison ensorcelée"

L’heure était incertaine, dans un jardin qui ne nous appartenait pas, nous avions confié à la terre de Capri un chat que nous connaissions à peine, un ami oublié et retrouvé qui nous avait demandé notre affection avant de quitter sa vie de seigneur et de commencer la suivante, selon les rites de la déesse Bastet.

Hélas !  en dépit de cette certitude, nous l’avions tout de même perdu, et ce drame bizarre me serrait le cœur. Or, notre tristesse sincère, mes sanglots torrentiels venaient de trouver une récompense prenant la forme d’un petita coffre de bronze, enfoui depuis l’âge d’or de ces Grecs de haute taille, les Tyrrhéniens superbes, qui laissèrent leur nom de pirates à la mer roulant ses flots d’aigue-marine, de Naples à la Sicile.

Mais, nous n’osâmes y toucher, cela aurait outragé notre deuil, ce chat, je l’avais aimé, coffre au trésor ou boîte de Pandore, cette trouvaille meurtrie par les siècles attendrait un peu. A part nous, qui aurait l’idée de la débusquer au sein de ces broussailles ?

La nuit s’écoula sans daigner me gratifier ne serait-ce que d’un quart d’heure de sommeil dans notre palais blanc, nous occupions désormais le logis du bas. L’appartement allongé de sa tourelle était, toujours, à notre désespoir, loué pour deux ans , et sans la consolation de la vue sur le Monte-Solaro piqueté de lumières, je tournai en rond entre la loggia aux colonnes massives, œuvre d’un architecte Suisse qui s’était efforcé de préférer la pesanteur à la grâce, et le jardin de poupée planté de son vénérable citronnier.

 De vagues visions m’assaillaient, des paroles indistinctes, et toujours ce chat me fixant de ses yeux si bleus, si énigmatiques, et bienveillants, un Seigneur, un vrai Seigneur, que voulait-il me dire depuis son voyage dans les limbes invisibles aux yeux mortels ?

A l’aube, je laissai l’Homme-Mari dormir, et m’élançai au jardin interdit, me glissai comme la veille entre les grilles disjointes, et vit un buisson de jasmin surplombant l’humble mausolée du chat -seigneur, des broussailles, de la terre remuée, une rosée généreuse ranimant les frêles fleurs rouges, roses, jaunes et blanches, ouvrant leurs corolles sous la fraîcheur de l’air. Aucun vestige antique, nul coffre aux ciselures blessées, au métal meurtri… La fortune, si cet espoir avait existé, s’était envolée.

De retour, l’âme lasse, au charmant logis, je m’écroulai devant la cafetière réconfortante.

« Quelqu’un nous a observés, c’est certain, et s’est emparé de ce coffre, qui de toute façon, ne nous appartenait pas … Je ne sais quoi en penser, je regrette surtout de n’avoir pu sauver ce pauvre chat si malade… ».

 Je m’y attendais, dit sombrement l’Homme- Mari, de toute façon, il aurait fallu déclarer ce trésor, à la mairie, aux Carabiniers, aux archéologues, à l’état Italien, que sais-je,  à une pyramide de quémandeurs ! Nous n’en aurions même pas tiré de quoi déjeuner dans un restaurant à touristes. Cesse de pleurer, sur cet animal. Ecoute, où qu’il soit maintenant, ce chat blanc éprouve de l’affection et de la gratitude envers cette dame qui l’a veillé jusqu’au bout…

 Oublions cette aventure, revenons aux affres de la réalité, et soyons -heureux et honorés de revenir si vite, même s’il s’agit d’une folie, en tant qu’invités à notre premier mariage capriote, c’est une preuve de confiance assez rare, cela effacera ce drame, toi qui aimes tant les animaux, je comprends à quel point tu restes marquée … Le temps guérira ce sinistre chapitre capriote …et ce mariage en ouvrira un tellement réjouissant ! »

L’Homme- Mari avait sans doute un solide bon- sens, mais ce chat ne se laisserait jamais oublier, j’étais certaine que nos routes ou nos vies nous ramèneraient l’un vers l’autre, cette intuition m’était chuchotée par l’île, et ses habitants immatériels …

Toutefois, après deux mois à n’oser plus souffler mot de Capri autour de nous, et à s’évertuer à subir l’épreuve de la fameuse réalité, nous débarquons, les traits ravagés de fatigue, sur la terrasse Napolitaine du très raffiné Gambrinus, lieu de prédilection des voyageurs encore un tantinet romantique, en face du Teatro di San Carlo, cher à Stendhal.

Le mariage de l’année au pied du Monte-Solaro, dans l’église la plus exquise d’Anacapri, était annoncé le lendemain, et nous ignorions le moindre des rites capriotes. Je me souvenais d’un beau tableau exposé à la Casa Rossa, cette maison extravagante juchée comme une tour orientale, dans un carrefour d’Anacapri, œuvre d’un excentrique colonel sudiste ayant embrassé la vocation de la médecine, tout en tombant amoureux d’une ou plusieurs filles de l’île, L’homme venu du nouveau monde, était célèbre à l’époque pour son caractère proprement infernal : « Frappe et soigne » son surnom en disait long …

Mais, reconvertie en musée, la maison portant une bienvenue en grec ancien sur sa porte, présente aux esthètes ou curieux, les œuvres de peintres amoureux de l’île, en particulier, une évocation émouvante d’un attachant « Rito matrimoniale à Capri ».

 L’artiste y  a  magistralement saisi  une belle jeune mariée à genoux, dans une pose alliant le  respect à la  grâce,  qui embrasse la main de sa future et ravissante  belle-mère, quasiment aussi jeune qu’elle, une minute avant d’entrer à l’église devant cortège nuptial  patient et famille attentive…

Les spectateurs sont à la fois fort distingués et méditatifs, leurs tenues modestes mais soignées, l’intérieur témoigne d’un quotidien rustique et laborieux, un art de vivre  difficile et honorable,  voué à la dignité d’une grande famille. Cette merveilleuse scène nous fait entrer dans l’intimité mystérieuse d’un véritable clan insulaire, en suggérant une réalité dure soutenue par la Foi et l’espérance.

Je me doutais bien sûr que cette fort honorable coutume, fixée pour l’éternité par le charmant français Edouard- Alexandre Sain, vers 1860 n’était plus exigé par les belles-mères modernes ! 

» Ne vous inquiétez- pas, mes amis, nous avait martelé Salvo, ce sera juste un petit mariage, vraiment, une fête très simple, habillez- vous comme vous voulez, tout ira bien !  Pas de cadeau, votre présence, vous qui venez de loin, suffira à nous combler, les jeunes époux n’ont besoin que de vos sourires et de votre gentillesse. »

Sur ces courtoises paroles, éminemment capriotes, un faire-part des plus raffinés, noué de fleurs du jardin de la fiancée, avait déployé ses ailes vers la France, afin de nous convier à une messe en la blanche et gracieuse église de Santa Sofia, suivie d’une fête dans un endroit célèbre pour son bosquet de citronniers, juste au bout de la rue.

L’esprit inquiet, j’optai pour des tenues affectant une sobriété désinvolte, volants   froufroutants mais à la discrète nuance marine pour moi, et veste classique pour l’Homme- Mari. Ce « mariage simple » le serait-il réellement ?  Le doute m’envahissait au fur et à mesure que la date se rapprochait … 

Consultés au sujet du don rituel, les jeunes mariés de l’an passé, en personnes d’expérience, nous conseillèrent de participer à la future Lune de miel… Porcelaines, argenterie et autres bagatelles avouant un art de vivre désuet étant reléguées d’office à la cave ou au grenier !

Nous sommes à la veille de ce matrimonio caprese, et tentons de reprendre des forces après le marathon habituel, lever à trois heures du matin, parking lointain à quatre, formalités à cinq, envol à six et atterrissage à Naples à huit, rythme éperdu et accepté avec bonheur par les fervents amoureux de la côte Amalfitaine. Voici le cœur  de Naples, entre Santa Chiara et la Piaaza del Plesbiscito. Le port n’est pas si loin, et l’air frais monte de la mer, les promeneurs s’énivrent des clameurs s’élevant de la grouillante via Chiaia. Le Palazzo Reale s’allonge, rouge et noir comme un roman français. Bien à l’ombre, sur la longue terrasse du Gambrinus, nous jouons aux désœuvrés désinvoltes, choyés par un essaim de camerieri en uniformes blancs et noir, s’efforçant de vous donner la touchante illusion que Naples salue votre arrivée avec un enchantement sincère …

« Mais vous partez si vite ! », dit Simonetta, notre amie Napolitaine de la tête aux pieds, adorée des camerieri, et étonnée de notre désir de grimper à bord du premier bateau en cette belle matinée qui voit Naples en ce début septembre chatoyer sous l’opulente lumière de l’été.

Je confie nos affres, nos doutes, nos désirs de bien faire, un mariage à l’italienne, déjà, c’est tellement impressionnant, mais à Capri ! Et nous serons les seuls Français, les seuls étrangers ! Et si nous froissions les susceptibilités, sans le savoir ? Et si nous arrivions en retard à la cérémonie ?

« Oh, cela, c’est impossible, les mariages ne commencent jamais à l’heure indiquée ! Pourquoi ces angoisses ? Tu as pensé à une robe longue et d’une couleur éclatante ? non ? Ah ! Eh bien après tout, une Française se doit d’être plus ou plutôt moins … Dai ! une petite robe, mais pas de noir, sous peine d’infliger un affront, ou porter malheur, du noir à un mariage, qui y songerait ?  Oh, des volants, bien !  Tu me rassures ! du bleu marine ? Dio mio, tu es d’humeur mélancolique en ce moment ? En dépression ? Non ? Alors vraiment fatiguée…Ma pauvre, reprends- toi, écoute une amie, je ne peux te laisser assister à un mariage de chez nous en bleu marine, comme si tu étais une écolière ou une femme qui n’a plus de passion de la vie.

Franchement, juste à côté, via Chiaia, il y un choix de tenues d’invitées à un vrai mariage de chez nous. Des robes magnifiques, rouge carmin, jaune citron, vert pistache, oui, voilà la nuance qui te flattera, le vert pistache, adoucit le visage et donne de l’éclat au regard, surtout avec une immense écharpe argentée, pourquoi ris- tu ?  Longues, amples, ou moulantes, peu coûteuses, je te le jure, les robes parfaites ! Pas le temps ? Quel dommage, le bateau attendra, il y en a toute la journée des bateaux !

Oh, vous serez quand même très appréciés, après tout, vous avez le droit de porter ce que vous voulez, les Français gardent toujours leur chic, même s’il semble un peu triste… Tu me raconteras ! et surtout, dansez ! Pas de réserve, pas de timidité, faites plaisir aux mariés, à leurs parents, parlez beaucoup, mangez beaucoup, buvez beaucoup, dansez comme des jeunes gens, dansez, toute la nuit bien sûr, enfin, bonne chance, vous allez reverdir ; vous verrez, ce mariage vous rendra votre printemps, c’est cela un mariage à l’italienne !  L’amour, l’affection, l’amitié, vous les respirerez comme un bouquet parfumé. Et, vous dites que l’époux vient de Naples ? Alors, ses amis le suivront, et le mariage sera extraordinaire, les Napolitains ont cela dans le sang, la musique, le chant, le goût de la vie … »

 A l’instant des adieux, notre amie s’amuse encore de nos gros sacs en bandoulière sur nos épaules courbées, de nos mines de personnes ayant du sommeil à rattraper d’urgence, de mon inquiétude ridicule. Voilà le taxi, Simonetta agite la main, et scande sur l’air d’une chanson : » Dansez !  Dansez, mes amis ! n’oubliez- pas, il faut danser, pensez à Zorba le Grec ! Capri est une île grecque… La danse, pour vivre sur les ruines, pour sourire au destin même s’il vous tourne le dos … »

« Bien, nous danserons, mais quoi ? La tarentelle ?  J’en frémis d’avance !»

L’Homme- Mari réplique d’un ton épuisé :

« Pour le moment, c’est le bateau qui va danser, regarde la houle, nous souffrons d’une espèce de malédiction, à chaque fois que nous traversons le golfe, la mer s’énerve, aucune importance, cela nous réveillera, et Capri vaut bien quelques secousses ! »

L’île danse au loin, voilée de soie grise, austère, hiératique, citadelle monumentale et divine, à nulle autre pareille, ce matin, d’humeur maussade et hautaine.

Le bateau remue des gerbes d’écume, le vent nous malmène avec hargne, le ciel se fâche, serions-nous rejetés du paradis perdu ?

Or, comme à l’accoutumée, le soleil scintille sur les eaux tranquilles du port resplendissant, les falaises se teintent de reflets d’or vert, en grimpant vers le bourg, les maisons blanches luisent entre les lauriers-roses et les jasmins, le Monte-Solaro lève sa tête de lion impassible, et le grand Sphinx de la villa San Michele, veille toujours sur la Scala Fenicia  du haut de son balcon de marbre.

« Quoi de neuf, ? » s’enquiert l’Homme- Mari auprès du taxi taciturne et bienveillant qui frôle avec l’habituelle maestria de ses pairs, le cortège des bus remplis de sardines humaines (sort qui sera le nôtre dans un avenir proche !)

« Humidité ! trop d’humidité et pas assez de monde, vous revenez déjà ? Un mariage ! Oui, demain, un beau mariage alors ! Ah, oui, je connais le padre de la  spoza, un homme très bien, une famille de l’île depuis la nuit des temps,  cela valait la peine d’avancer votre séjour,  un vrai mariage de chez nous, joyeux, familial,  pas comme ces gens qui viennent se marier ici pour être chics, mais cela rapporte de l’argent, on ne crache pas dessus. Vous partez ensuite ?   Vous revenez à l’automne, quand tout le monde s’en va, vous avez raison, donc, cela vous coûtera moins, dites- moi, vous ne pouvez vivre loin de Capri, et l’humidité, vous la supportez ? »

J’essaie d’explique que notre ancienne maison en France souffre d’une humidité qui transforme celle si abhorrée sur l’île en sécheresse.

Le chauffeur ne me croit pas ! mais, en capriote courtois, il se contente de me sourire, et sans exiger de somme exorbitante, de nous déposer avec douceur à l’entrée du quartier le plus resserré d’Anacapri, un vrai filet à papillons, formé de venelles dérobant une enfilade de jardins secrets, un lieu où l’on se perd et se retrouve, un labyrinthe peuplé de chats silencieux et de passants discrets, le cœur inconnu du bourg …

 Nous voici devant une Villa déployée sur ses arches blanches, jadis élevée par un couple d’excentriques Anglais. En ses robustes murs à la mode romaine, (sous l’égide d’une dame fort respectable et un peu méfiante, les Français ont-ils si mauvaise réputation ?) une chambre modeste, mais à une encablure du mariage, nous permettra d’avoir un toit …

« A presto, et surtout, dansez demain !  Ne soyez pas timides, dansez ! »

Un bosquet de fleurs bleues, une treille de raisins blancs, et, au-dessus de nous, le Monte-Solaro délivrant son impériale tête de sa couronne de nuages, c’est de bon augure pour demain …

Demain, nous danserons ! A deux pas  de cette maison ensorcelée où dort  l’étrange chat blanc au regard bleu, dans un jardin qui a toutes les chances de ne jamais nous appartenir …

 

A bientôt pour la suite de ce mariage à Capri,

 Natahlie-Alix ou Lady Alix de La Panouse

 « La Maison ensorcelée » Roman capriote, partie II, chapitre 36

 

                                                               
                                                                              Le Grand Sphinx d'Anacapri, 
                                                                         crédit photo Vincent de La Panouse

 

 

 

 

 


mercredi 27 août 2025

Le chat au regard d'aigue-marine ou Roman à Capri "La maison ensorcelée" Partie II Chap 35



L'étrange don du chat aux mille vies

La maison ensorcelée  ou Roman à Capri

 Partie II chapitre 35

(Ce chapitre est dédié au chat  Agathos qui fut notre compagnon au grand coeur pendant huit ans)

   Nous étions seuls avec un chat au seuil de sa beauté dernière, seuls dans une étroite rue d'Anacapri, figés devant la porte flanquée de colonnes d'un sauveur d'animaux en visite dans un village du côté d'Amalfi, de Sorrente, de Nerano; un sauveur inutile, envolé au moment où le plus merveilleux chat de Capri luttait pour retenir un ultime souffle de vie. 

Le chat au pelage de neige gémissait dan mes bras tout en m'implorant de son immatériel regard d'aigue-marine. Si les Sirènes possédaient des félins de compagnie, le pauvre animal appartenait assurément à cette espèce choyée par les princesses de la mer.

Il nous fallait le secours moral et concret d'une bonne âme, à défaut de ce parfait mais invisible vétérinaire: "En rendez-vous à Sorrente", nous apprit- on en pleine rue, hélas! et les braves gens de se désoler : "Un si beau chat, vraiment exceptionnel, ces yeux presque humains, et tellement tristes, quelle pitié, comment allez-vous faire ?"

 Tout simplement nous tourner vers un sauveur, et bien sûr ce fut Salvo qui se matérialisa avec son habituelle mine d'homme descendant direct d'Ulysse, autrement dit quelqu'un d'avisé, auquel rien n'échappait, encore moins les dernières fantaisies des amis français.

 Salvo ne nous gronda, ni ne nous félicita,  en ami impavide et guide patient que rien ne perturbait si ce n'est les humeurs du Vésuve, il nous sauva. Sans pour autant sauver le chat blanc au regard d'azur, humide de douleur et débordant de tendresse, qui avait décidé que je l'aimerai d'un amour absolu à l'heure ultime.  

Cette triste affaire ne concernait que moi, et à mon immense étonnement, la maison ensorcelée. 

C'était- là manifestement le domaine de ce félin fragile que frappait  un mal inconnu teintant de gris son beau pelage de neige et assombrissant ses yeux si clairs. La maison et moi étions mêlées à la même affaire et devions l'affronter d'un même coeur.

 Salvo supplia notre logeuse napolitaine de nous laisser deux jours de plus, il lui présenta de façon excessivement sombre la météo du moment, et nous présenta comme deux pauvres hères incapables de supporter le mal de mer suscité par la forte houle. 

La mer avait beau égaler la tranquillité d'un lac suisse aux beaux jours, la force de persuasion de Salvo était si irrésistible que notre charmante propriétaire, qui pourtant jouissait d'un balcon ouvert sur le golfe, accepta cette fable qui aurait fait mourir de rire même un enfant en bas-âge, s'il l'avait entendu de la bouche d'une personne moins douée pour venir, coûte que coûte, en aide aux amis. 

L'Homme- Mari prétendit à nos collègues étonnés que sa Femme- Epouse souffrait d'une grave et mystérieuse intoxication: mensonge plausible pour tous ceux qui s'imaginent que les voyages entraînent des maux innombrables et inexplicables. Puis, son mensonge doctement énoncé, il s'enferma avec son ordinateur bien-aimé,  oublia Capri pour des domaines moins poétiques, et m'abandonna au mélancolique rôle de gardienne d'un chat qui avait surgi jadis dans mes ténèbres, et s'était abattu sur ma soif de je ne sais quel rêve impossible.

 Les chats ont plusieurs vies, et dans l'une d'elles, il avait été mon ami, il m'avait consolée de je ne sais quel drame silencieux. Voici qu'un destin opiniâtre nous avait ramené l'un à l'autre, mais au pire moment, pourquoi ? Restait- il encore un espoir de le sauver, fut-ce en le nourrissant comme un enfant ? Et si j'embarquais sur le prochain bateau à destination de Sorrente ?

 Ou si  tous deux nous attendions le vétérinaire au port ? Un coup d'oeil sur son corps agité de tremblements m'ôta cette envie, à quoi bon tourmenter ce pauvre malade qui risquait de succomber pendant cette descente au bord des gouffres dans un bus étroit ou un taxi ouvert au vent ? d'ailleurs, le tumulte du port l'accablerait, j'ignorais quelle allure avait le vétérinaire, je le manquerai à coup sûr, et mon chat fermerait ses yeux couleur de ciel pur... Il s'en irait dans mes bras, au sein d'une foule hilare et indifférente...comment lui infliger cette trahison ?

 Je voulais que soit doux et confiant son envol vers un monde où certainement on acceptait les chats capables d'aimer leur maître, en passant par la petite porte, mais en y entrant  tout de même.

Or, j'avais toujours espéré croiser le chemin d'un félin d'une beauté aussi remarquable. Je n'étais pas victime d'une imagination titillée par l'atmosphère de Capri, un lien existait entre nous, ce chat avait compté pour moi, et j'avais compté pour lui.  Soudain, une étrange certitude m'envahit, voyez- vous, les chats savent vous envoyer des injonctions pressantes en usant de télépathie, ceux qui m'attendaient en France ne s'en privaient pas,

Et cet inconnu si fatigué me priait de le ramener chez lui, c'est- à dire, chez moi, au bout de l'humble chemin empierré que fermait le portail aux vertes volutes de cette ruine qui me semblait plus familière que la vieille maison du sud de la France dont nous endurions l'humidité et les caprices depuis tant d'années.

 Je porte mon pauvre malade avec d'infinies précautions quand en descendant la via Follicara, un appel manque de me faire trébucher. Le chat ne bronche pas, signe des plus angoissants. Sur l'escalier grimpant vers la piazzetta d'où s'élance un arbre de Judée, j'aperçois la bonne âme des félins d'Anacapri, Felicia, ronde et souriante, la délicieuse créatrice de la communauté féline du village" d'en-haut ".Or, est-ce bien la charmante jeune femme avec laquelle j'ai plaisir à bavarder, ou ... 

Ne me suis-je déjà laissée prendre au jeu des Sirènes qui adorent se poster sur votre chemin, en empruntant l'apparence de vos amis ou connaissances ?

Felicia, Sirène ou pas, me salue, puis sa mine enjouée vire à la tristesse incrédule en découvrant le lamentable fardeau  que je berce dans mes bras.

 " Mais c'est le seigneur, dit-elle, dans son italien musical, celui auquel tous obéissent, le vrai maître des ruelles et des toits, il vit depuis si longtemps dans le jardin de la maison abandonnée que je le croyais immortel avec de pareils yeux, il vous aime, in n'a jamais oublié le soir où vous l'avez entouré de vos bras quand il grelottait sous la pluie, une nuit de tempête, si épaisse, si froide, et vous aviez le coeur rompu, ce chat vous rendu l'envie de vivre. C'était il y si longtemps, presque deux siècles si je me souviens bien. Dio mio, le pauvre, comme il semble fatigué... Qu'a dit le vétérinaire ? Ah, je comprends ,c'est la fatalité,  il n'y a plus qu'à prier Saint-François... Il a tant lutté pour son domaine, son destin a toujours été de lutter en vrai cavaliere, il a déjà vécu tant de vies, et en vivra d'autres.

 Les chats au regard bleu n'ont pas sept mais mille vies. Les chats blancs comme l'écume, aux yeux reflétant le ciel et les vagues de la mer profonde, lisent les pensées et sont les confidents des Sirènes.. Elles leur racontent d'incroyables choses quand elles reviennent la nuit bavarder sur les plages de rochers.

Dai! Veillez sur lui, et vous le retrouverez un jour, je me sauve, je n'ai que trop parlé ... Vous avez tant de peine, vous pleurez sur lui, il le mérite, il vous aimait tant autrefois...  Croyez- moi, cara amica, ayez- confiance, regardez au-delà de votre chagrin, ne craignez pas d'invoquez les Sirènes!."

" Et dans quel espoir, je vous le demande, dis- je indignée, ces Dames- Poissons traitent bien mal leur confident ! Voyez comme il souffre, c'est trop tard, je le ramène chez lui, dans son jardin abandonné, et nous attendrons ensemble..."

Le temps de serrer le chat contre mon coeur, Felicia a disparu ...Aucune trace de sa silhouette sur le raide escalier de la via Follicara, personne autour de moi, personne en bas, ai-je inventé, cette fugace conversation, suis-je en proie au délire ? Que m'importe ! Encore une longue marche, le soleil ne nous épargne pas ses feux, les pierres du sentier roulent, piquantes et traîtres, enfin, le portail, je parviens à me faufiler jusqu'à la terrasse aux balustres délabrés, et installe le chat sur mon cardigan.

J'étale nourriture et eau, et m'efforce de l'alimenter à la cuillère, le malheureux me lance un regard désolé, et refuse tout. Il pose son museau sur ma main, un oiseau chante en cascades du côté de l'allée de pins immémoriaux, une musique court en sourdine autour de nous, un air que j'ai entendu, si souvent et si peu, celui qui traversait mon rêve d'un jardin gardé par un portail vert, au bout d'un interminable sentier. Je ferme les yeux pour mieux écouter,  le chat s'appuie plus fort, je crois qu'il va enfin se reposer, trouver un répit salutaire. 

Hélas, d'un sursaut, le voilà qui se lève comme pour répondre à un maître invisible, puis il ouvre ses yeux, fixe un point devant lui, et fait mine de s'élancer, se ravise, et se blottit entre mes bras, me lèche la main, je le caresse, mon coeur fond de tendresse, je voudrais retenir la vie qui s'écoule, les grands yeux bleus me fixent encore, l'espoir le plus délirant m''emporte, je veux un miracle, le chat me lance un regard humide d'amour , un regard plus qu'humain, et, au bout de ma peine, j sens que  son souffle s'est éteint ...

Le froid de l'insondable peine me glace et me pétrifie. Ce deuil me frappe comme si je venais de perdre le plus cher de mes amis, j'ai une pauvre fourrure blanche encore tiède contre mon coeur et ne sais qui implorer. La maison inerte, vide, languissante, se réveille  peu à peu, rumeurs  et plaintes bourdonnent, on pleure avec moi, mais ce chagrin ne me touche pas, il vient de trop loin. 

Que pleurent les fantômes ensevelis en ces murs, ils ne m'intriguent ni m'intéressent.

Moi, je voudrais l'aide d'un vivant, et, en écho, retentit une voix bien connue, Salvo ? Non, pour une fois, c'est l'Homme- Mari qui se glisse entre deux fentes du mur demi- écroulé. J'en remercie le Ciel !

" Oh, le pauvre chat, je m'en doutais, mais si vite... D'après Salvo, il aurait mené une existence de guerrier, toute la communauté féline rampait devant lui, et ses yeux bleus impressionnaient les habitants qui le traitaient en demi-dieu auquel on doit offrir confort et nourriture succulente. Salvo affirme qu'il avait déjà plusieurs vies, donc, rassure- toi, sa nouvelle existence vient de commencer, ne pleure plus, écoute- moi ... 

Nous allons lui rendre les honneurs dues à son rang de Seigneur, et l'enterrer dans ce jardin, où si Capri le veut, nous entrerons un jour en propriétaires, et non en intrus risquant de récolter une bonne amende des Carabiniers. si tu peux le veiller sans t'effondrer, je cours acheter une bêche chez le quincaillier en haut de la montée. Calme- toi, tu as fait tout ce qui était envisageable pour qu'il se sente aimé  jusqu'à son dernier souffle..."

Cette façon d'envisager un drame avec tant d'optimisme me ramène à un héros littéraire adulé par les générations qui croyaient en l'amour pur, à l'honneur et aux fins heureuses. Mon chat blanc n'est pas mort en vain, il a accompli une mission, cette certitude absurde me ranime et à travers mes sanglots, je bafouille une leçon de littérature.

"Te souviens-tu du roman de cape et d'épée le Capitaine Fracasse, un chat à la robe de soie du plus beau noir, y réconfortait son maître, le piteux baron de Sigognac, beau et talentueux garçon que sa pauvreté enfermait vif dans son château saccagé et décati. Puis, vint le sourire d'une fille de prince qui s'obstinait à rester humble comédienne, puis, les aventures, la victoire au duel, et la récompense de l'amour;  une pluie de bienfaits tomba sur le jeune baron et ses tours délabrées. La nuit du mariage de son maître, le chat, tout étonné de dévorer à sa convenance, lui qui avait enduré tant de famine, s'abattit sur le lit du baron, emporté par une crise de gourmandise... 

Or, en lui creusant sa dernière demeure, le baron en pleurs mit au jour un coffre mystérieux. Il salua son brave chat, et déposa son lourd chargement devant sa jeune épouse, jeune femme  bonne et sensible qui soupirait en songeant au gentil animal qui n'avait guère profité de la neuve prospérité de son maître.   Connais-tu la suite ?"

" Je la devine, sur le lit nuptial s'étala un trésor légendaire, je présume ?" 

Je recouvre de mon cardigan le pauvre chat, et supplie l'Homme- Mari de se hâter, qu'importe le destin d'un chat littéraire ? 

"A la place du baron, dis- je, j'aurai préféré garder mon chat en vie.

 Un flot de pièces d'or oubliées par un ancêtre occupé à guerroyer en Terre Sainte ne pèse pas plus qu'une plume à côté de la vie d'un bon chat aimant ! mon cerveau est ravagé ..."

Jardin et maison, escalier décati, balustres fendues, chant d'oiseaux mélancoliques, herbes soulevées par une brise fraîche, parfums de miel et de fleurs, célèbrent ensemble l'envol du seigneur aux yeux bleus vers une vie inconnue. L'Homme- Mari s'active, la terre ne se laisse pas entamer, un très long moment s'étire, mes pleurs s'apaisent, mais mon coeur me fait mal. Enfin, nous faisons nos adieux...

 l'Homme- Mari redoute les incursions de bêtes malveillantes, il creuse davantage et, dépose le chat dans une cavité beaucoup trop vaste.

Est-ce la fin de notre plus triste aventure capriote ? Il nous reste à fermer l'autre partie du dernier refuge. Voici que la bêche heurte quelque chose, un bruit de métal froissé retentit, l'Homme- Mari se penche, et  débusque une sorte de boîte de bronze gravée de médailles antiques...

Allons, serait-ce encore un tour de Capri ou sombrons- nous dans la folie ?

A bientôt, pour la suite de la seconde partie de mon  roman-feuilleton "La maison ensorcelée" ,

 Nathalie-Alix de La Panouse 

ou Lady Alix



Symphonie d'aigue-marine sur le golfe de Naples
Crédit photo Nathalie- Alix de La Panouse
Capri bourg, avril 2025





mardi 12 août 2025

L'heure des Sirènes ou Roman à Capri" La maison ensorcelée" Partie II chapitre 34

 A Capri, l'heure des Sirènes, avril 2025 crédits photos réservés V de L P


  L'art de ne plus savoir à quelle Sirène se vouer:

Entre invitation à un beau mariage capriote et maison disparue 

Cela faisait plusieurs années que nous parvenions à nous échapper de façon égoïste et opiniâtre sur les falaises d'Anacapri, le village des antiques bergers du rocher de Capri, connu même des esquimaux ou des Papous et en réalité inconnu au commun des visiteurs s'évertuant à s'enquérir de ce qui "en vaut le coup" entre le bateau du matin et celui de l'après-midi.

Cela faisait aussi un nombre assez remarquable d'années que nous nourrissions le rêve absurde d'acheter à un prix raisonnable une masure des plus tentatrices édifiée sur le roc d'un sentier fréquenté par une poignée de promeneurs et une flopée de chats, tous unis par la recherche invétérée de la plus inaltérable solitude. 

 Notre bel engouement s'était encore accru après la découverte que l'humble ruine aurait sans doute abrité un de mes ancêtres, officier  qui déploya une bravoure sublime  en boutant les Anglais de la roche capriote en octobre 1808, avant, une fois l'île sauvée de l'ambition britannique et de la possession française, de s'y réfugier corps et âme, tout en offrant un toit aux peintres et poètes de passage.

Cette générosité est maintenant ensevelie sous le sable du temps, l'atmosphère de la maison, le rossignol  du vieux jardin, le froissement mélodieux des ramures des immenses pins sur son allée, en parlent encore toutefois.

Au détour d'un chemin ne menant nulle part si ce n'est aux escaliers interminables descendant vers la mer, et après avoir écouté les conseils bizarres d'un gentilhomme affublé d'un chapeau un peu désuet, ce qui est le cas de beaucoup d'hommes élégants en Italie, le hasard, qui n'existe pas à Capri, m'avait incité à suivre un chat fort déterminé qui me guida jusqu'à un portail en fer verdâtre veillant sur le plus vétuste et le plus parfait des escaliers de Capri.

J'étais arrivé au port ... Le jardin qui hantait mes songes enfantins frémissait de ses buissons échevelés derrière la grille décatie. Cette certitude atteint son comble avec l'assentiment subit de mon Homme-Mari qui pourtant ne comptait dans sa glorieuse troupe d'ancêtres aucun fou disparu jadis au bout d'un sentier d'Anacapri. Cette ruine, flanquée d'une terrasse aux balustres cassés, aux majoliques fendues, à l'harmonie proprement capriote, était la nôtre, depuis les temps immémoriaux, les Pélasges Grecs venus de la haute -mer, les corsaires , les Sirènes d'Ulysse et celles dont les noms se sont perdus dans les brumes de l'antiquité ...

Hélas, nous avions oublié que sur l'île des anciens dieux et des nouveaux Heureux du monde, le moindre tas de gravas valait son pesant d'or fin !D'espoir en bataille, de fausse nouvelle d'héritage insensé, aux méchancetés des princes de l'immobilier, nous arrivions à la déroute d'une vente aux enchères par le tribunal de Naples. Quand, combien ? 

L'obscurité s'épaississait chaque jour davantage, pourtant, si la maison ,proposée certainement à son prix excessif,  restait invendue, elle reviendrait à la baisse. Le temps allait peut-être se montrer notre allié ... si les Sirènes voulaient bien nous donner un petit coup de main ...

Or, ce soir, la veille de notre retour en France, nous ne pouvions nous permettre que des séjours fugaces, Capri semblait nous témoigner son soutien :

On nous y invitait à un mariage ! Faveur rare, honneur insigne !

Notre merveilleuse petite nièce de coeur, la douce, la ravissante, le sourire de Capri et la grâce d'Anacapri réunies sur une seule exquise jeune fille allait enfin épouser son éternel fiance, un jeune apollon qui n'avait qu'un défaut: être Napolitain au lieu de descendre d'Auguste ou de Tibère ou des pirates Grecs conquérants de Capri. Ne parlons pas de la fugace influence française sous le règne du volcanique et éblouissant Murat !  

Je n'ose bien sûr avouer que nous venons, le jour- même, de réserver notre logis habituel, un mois juste après le déroulement de ces noces  qui promettaient de répandre tant d'amour et d'amitié dans l'air pur de l'île que même le monte-Solaro risquait d'en fleurer le consolant parfum. Or, il nous incombe de lancer un appel urgent aux dernières chambres encore libres au moment de ce mariage dont, raffinement oblige, les campanelles chanteraient l'allégresse à la fin de la haute- saison.

Peut-être serions-nous obligés de goûter au confort des rochers ou des prairies à pic-des précipices !a ce moment de l'année, la terre ne se précipite-t-elle sur les terrasses de Capri ?

J'ai soudain la crainte extrême que la messe soit célébrée en l'église ombrageant la Piazzetta !

Autant dire, l'équivalent d'un mariage aux invalides, ou en l'église de la Madeleine, et sur la place la plus encombrée au mode de juillet à la mi- septembre ... Mais, il faut observer les coutumes du pays, et tant pis si celles de la contrée des Sirènes s'amusaient à bouleverser les amateurs de solitude et de paix que nous restions, à Capri ou dans notre campagne reculée...

"C'est un signe du Ciel, notre anniversaire de mariage se fête le jour des noces de Giulia!

 J'ai assez d'économies pour retenir le séjour, et l'Homme- Mari se fera une joie de nous prendre les billets d'avion ..."

 L'Homme- Mari, un peu pris au dépourvu par cette invitation aussi séduisante que peu raisonnable, ne sait quoi répondre et  se contente d'approuver d'un sourire; puis, devant les visages radieux de nos amis, .l'attendrissement et l'affection qu'il éprouve à l'égard de notre Giulia, l'emportent et le voilà congratulant l'heureuse et généreuse famille.

 "Bien sûr, dit Giulia, mon fiancé et moi désirons une cérémonie très simple, mais très belle, très fervente, et bien sûr, ici , chez nous, en notre église de Santa Sofia, la plus charmante d'Anacapri. Pourquoi descendre en bas ?"

L'Homme- Mari laisse échapper un soupir heureux, et j'embrasse la future mariée sans chercher à feindre mon soulagement !

 Nous resterons sur la montagne, au pays des bergers, et des rêveurs, la noce grimpera bravement les traverses de l'ancien hameau de Caprile avant de resplendir dans cette église pareille à un coquillage immaculé de Santa Sofia, nous sommes sauvés de l'agitation irrépressible de Capri  et de la horde de curieux prenant un beau mariage pour un spectacle offert par l'Office du tourisme !

 C'est le coeur léger que nous revenons sous les étoiles claires , la mer laiteuse au loin ne bouge pas  pus qu'un lac paisible, sa voix se fait refrain ténu, et les buissons  aux  roses fleurs de Câpres  frémissent sur le sentier bordant les maisons de pierre aux jardins de citronniers blottis au pied du Monte-Solaro.

L'Homme- Mari me rappelle que demain  nous faisons une ultime folie: un déjeuner dans le jardin le plus vanté d'Anancapri, un cadeau à Arturo et Léna, notre écrivain, créateur de lunettes extravagantes, opticien zélé et dévoué, violoniste sensible, homme d'affaires et doux rêveur,, mélange typiquement capriote, et sa jeune femme courageuse et patiente

.Ensuite, sonnera l'heure du départ ...

Ne pas acheter cette maison maudite qui nous nargue depuis plusieurs années, s'amuse à nos dépens, ne doit pas nous aigrir, qu'importe après tout , sur ce rocher antique, sur ce morceau de Grèce flottant, ce souvenir vif de l'Odyssée, nous comptons désormais des amis fidèles, nous existons  en dépit de la rapidité de nos séjours et de notre absence totale de dépenses mirobolantes !.

Toutefois, quelque chose m'oblige à ne pas abandonner, demain, avant le rendez-vous, je filerai vers le portail vert outragé, et je tenterai de défier le destin. J'ai l'intuition que quelqu'un a besoin de moi,..

Cette certitude m'ôte le sommeil, et m'envoie à l'heure du premier bus sur les marches usées de la traversa couverte d'herbes humides aboutissant au chemin ignoré que je connais trop bien ...

 Voici le portail toujours ravagé, le jardin aux broussailles toujours échevelées, et un miaulement rauque, plaintif, l'appel au secours d'une créature souffrante 

Je n'hésite plus, tant pis pour les Carabiniers, les officiers de justice, les visiteurs étranges, animés des pires intentions certainement et qui plus est à l'égard des Françaises romantiques et amies des bêtes, j'avance entre deux fentes du mur, et cherche quelle bestiole céleste ou terrestre gémit de façon lamentable au sein de ce paradis en détresse..

sous un amas de feuillages , dissimulé par quelques branches cassées, un chat qui fut blanc comme neige, endure une douleur violente, le coeur serré, je me précipite, caresse le malheureux animal, et l'emporte dans mes bras.

 Les rares passants me lancent un regard approbateur, par contre, qu'il est pénible de garder la pauvre bâte contre ma poitrine sans lui infliger d'autres souffrances ... L'Homme- Mari, entouré de sacs, me voit entrer sur la point des pieds et installer un chat  presque inconscient,, à l'ombre de la loggia, à l'heure où il est grand temps de nous poster au restaurant, avant  les adieux et la descente au port.

 "Je ne pars plus, je ne déjeune plus avec nos amis, rien de cela n'a d'importance,  dis- je d'un ton définitif, ce chat a besoin de soins, le vétérinaire se trouve deux rues plus bas, à l'entrée du quartier Boffe, Salvo qui aime tant son chie,  et tous nos amis ou connaissances adorant leurs compagnons, m'ont expliqué qu'il avait sauvé des animaux dans un état désespéré..

Vois-tu,  s'il reste une chance de rendre ce chat à sa vie heureuse, je m'en voudrais toujours de ne l'avoir pas tentée ! Capri me le demande, les Sirènes aiment les chats blancs, c'est un signe, un défi, et de toute manière, je ne peux abandonner un animal qui m'a supplié de lui venir en aide, je l'ai entendu gémir dans le jardin de "notre" maison, essaie de comprendre : que nous habitions ou non cette maudite cabane en ruines, je sauverai son chat- gardien.

Je t'en prie, envoie un message aux amis, et explique à quel point la situation est grave, ils comprendront, ce sont des braves coeurs !"

L'Homme- Mari est loin de ce beau discours,  mais cela ne l'empêche pas de caresser le chat , histoire de me montrer sa bonne âme, enfin, pensant que ma folie momentanée va s'évanouir face à la réalité impitoyable, il désigne nos sacs amoncelés devant la porte.

"  Oui, Arturo et Lena nous pardonneront, cela ne sera que partie remise, mais tu ne vas pas rester seule ici, et où d'ailleurs, la charmante propriétaire s'attend à notre départ, nous avons du travail en France, et même plongée dans l'étourdissement habituel de Capri, tu t'en souviens ?

 Ce chat mérite d'être confié à un vétérinaire qui soulagera ses derniers instants, la bonne action sera accomplie, on ne t'en demande pas davantage , allons, c'est la tristesse du départ qui te fait réagir comme une enfant!  Nous avons juste le temps de déposer ton protégé, je vois très bien où, un porche splendide devant lequel les amis des bêtes piétinent".

"Non, je ne quitterai pas ce chat avant ... son envol chez Saint-François...

 C'est impossible, c'est ridicule, absurde, mais Capri l'exige, j'obéis à Capri."

 L'Homme- Mari soupire lugubrement, ouvre son portable, et  consulte les horaires variés des bus, bateaux et avions, moyens modernes de nous évader de l'emprise des Sirènes ou de la demi -démence suscitée par la l'île ensorcelée.

 " Je t'accorde ce dernier jour, mais ce soir, nous ne pouvons nous permettre de manquer l'avion, sinon, nous serons bloqués ici, obligés de louer n'importe quelle chambre je ne sais où, et risquant de perdre la confiance de nos associés divers .. Nous ne vivons pas de l'air du temps et tes Sirènes ne se soucient  de gagner leur  pain ou de régler leurs impôts !."

  Dix minutes plus tard, le ciel nous tombe sur la tête.,

Le vétérinaire est pris ailleurs, très loin, à Sorrente, ou Amalfi, ou les deux ! le cabinet fermé, la rue déserte, Salvo ne répond pas, l'Homme- Mari s'impatiente, passe des coups de fil, se querelle de l'autre côté, et me tance ..

 Mais, ce chat  aux yeux d'aigue-marine se meurt dans mes bras et je resterai avec lui  jusqu'au bout  ...

 Or, voici que chatoie le ciel rose, que soupirent les vagues de nacre et de miel, c'est l'heure des sirènes et je sens que ces bizarres filles du dieu de la mer  approuvent la décision d'une mortelle..

 A bientôt pour la suite de ce roman à Capri, 

 Lady Alix ou Nathalie-Alix de La Panouse